Management : faut-il favoriser la pensée divergente au sein de vos équipes ?

31 mai 2023

6min

Management : faut-il favoriser la pensée divergente au sein de vos équipes ?
auteur.e
Sylvain Guillet

Journaliste web

Entre pensée divergente et pensée convergente, il y a tout un monde. Managers, découvrons en quoi vous auriez tout intérêt à piocher dans les deux approches pour améliorer la performance de vos équipes.

« Apprenez à vous perdre dans les méandres de votre esprit » : voici le genre de conseil qu’on entend assez peu dans le cadre professionnel. En tant que manager, on assigne des tâches à ses collaborateurs afin qu’ils atteignent des objectifs précis. On n’attend pas d’eux qu’ils vagabondent d’idée en idée, mais qu’ils empruntent la voie la plus rapide vers la résolution d’un problème**. Pourtant, la pensée divergente suggère tout le contraire. En multipliant les solutions à un seul problème, il est possible d’envisager des pistes nouvelles et potentiellement plus efficaces. Serait-il temps de mieux intégrer la pensée divergente au sein des méthodes managériales ? Nous sommes partis à la rencontre de Sylvaine Pascual, coach spécialisée dans le plaisir au travail et la reconversion professionnelle, pour qu’elle nous parle de cette méthode de pensée.

C’est quoi, la pensée divergente ?

La pensée divergente est un processus intellectuel qui consiste à générer des idées multiples pour résoudre un problème unique. « C’est une façon de réfléchir qui fonctionne par association d’idées, et qui permet d’explorer une multitude de solutions créatives dans une situation donnée », explique Sylvaine Pascual. Le terme a été utilisé pour la première fois en 1956 par Joy Paul Guilford, un psychologue américain. Grand défenseur de la créativité, il a cherché à en étudier les mécanismes de manière plus scientifique.

Souvent associée à la créativité, la pensée divergente n’en est pourtant qu’une de ses composantes : « Elle explore une multitude de possibilités dans une même situation, là où la créativité peut déboucher sur une seule idée », affirme Sylvaine Pascual. Selon l’auteur et expert en éducation Ken Robinson, la créativité « est un processus qui consiste à produire une ou plusieurs idées originale(s) qui a/ont de la valeur », là où la pensée divergente est « la capacité à trouver de nombreuses réponses possibles à une question ». Les deux concepts sont donc bien liés, mais pas synonymes. Par exemple, si vous cherchez à devenir riche, vous pourriez user de la pensée divergente pour imaginer de multiples moyens d’y parvenir : se former à un métier rémunérateur, économiser, placer son argent, investir dans l’immobilier, créer une entreprise… Toutes ces solutions sont envisageables, mais aucune d’elles n’est originale ! On voit bien ici que la pensée divergente n’est pas forcément un gage de créativité.

Pensée divergente VS pensée convergente : quelles différences ?

À l’origine, si la notion de pensée divergente a été conceptualisée, c’est justement pour la différencier de la pensée convergente. Celle-ci pourrait avoir comme devise : « Chaque problème a sa solution ». Elle consiste à trouver une solution unique - presque indiscutable - à un problème donné. La pensée convergente relève donc davantage de la pensée logique, là où la pensée divergente laisse plus de place à l’exploration créative : « Elle va chercher à être la plus pragmatique possible, et aller directement vers une solution raisonnable et viable », affirme Sylvaine Pascual.

En réalité, « tout le monde a une pensée divergente et une pensée convergente », précise la coach. Néanmoins, « la vie en communauté, et en particulier l’école, nous forment plus à la pensée convergente qu’à la pensée divergente ». En effet, on nous apprend, dès le plus jeune âge, à faire preuve de raisonnement pour arriver le plus rapidement possible à une conclusion pragmatique. On laisse au final assez peu de place à l’imagination et à la créativité. Et cela n’est pas sans conséquences : dans le livre Break Point and Beyond : Mastering the Future Today, les psychologues George Land et Beth Jarman détaillent les résultats d’une étude qui met en lumière la perte de créativité progressive qui intervient durant l’enfance. Selon les chercheurs, qui ont suivi 1600 enfants jusqu’à l’âge adulte, il en ressort qu’à l’âge de 5 ans, 98 % d’entre eux obtenaient des scores de « génies » (genius level) en créativité, alors qu’ils n’étaient plus que 2 % à l’âge de 25 ans. Qu’en est-il lorsque ces individus se retrouvent dans le monde du travail ? Le manager a-t-il la capacité d’inverser la tendance et de ressusciter la pensée divergente chez ses collaborateurs aux tendances convergentes ?

La pensée divergente, un outil managérial ?

La pensée divergente peut être un formidable outil de résolution des problèmes pour les managers, puisqu’elle encourage la proposition de solutions multiples et originales. « Il s’agit de solliciter la pensée divergente au sein de son équipe afin de faire émerger une multiplicité d’idées, pour ensuite explorer chacune d’entre elles et décider vers laquelle on va s’orienter », explique Sylvaine Pascual.

En bon manager, le premier réflexe serait alors d’organiser des brainstormings à gogo, mais attention ! « *Le brainstorming est à prendre avec beaucoup de pincettes, car il est assez contre-productif. Contrairement aux idées reçues, il débouche assez peu sur des idées créatives* ». Et ce pour plusieurs raisons : d’abord, pendant ce type de réunions, les personnes les plus extraverties ont tendance à prendre la parole tandis que certains collaborateurs - peut-être plus timides ou réservés - osent moins exprimer leurs idées. Second problème : les propositions sont peu débattues, peu « critiquées », et n’ont pas le temps de passer au tamis de la discussion. Ce qui donne, au final, assez peu de résultats.

Une bonne alternative, plus compatible avec les principes de la pensée divergente, serait de demander à chaque collaborateur d’imaginer plusieurs solutions écrites en amont, de prendre le temps d’y réfléchir par eux-mêmes, puis d’organiser une réunion à une date déterminée afin de confronter l’ensemble des idées au reste de l’équipe : « Cela permet à chacun de faire mûrir ses idées avant de participer à la réunion », ajoute Sylvain Pascual. De cette manière, on réunit les bénéfices de la réflexion individuelle avec la puissance de l’intelligence collective. Et s’il le faut, on vote !

Par ailleurs, la pensée divergente se révèle indispensable dans l’application de certains outils managériaux, tels que le diagramme d’Ishikawa. Cette méthode de gestion de la qualité consiste à identifier les multiples causes possibles à un problème donné, et de les représenter visuellement à l’aide d’un graphique en forme de poisson (chaque arête étant une cause possible à un problème unique qui se trouve au niveau de la tête). Nous sommes dans un cas typique de pensée divergente, puisqu’il ne s’agit pas d’associer une seule cause à un effet, mais de chercher une multitude d’origines possibles à une conséquence finale.

Comment stimuler la pensée divergente au sein d’une équipe ?

En tant que manager, on ne peut pas forcer ses collaborateurs à adopter une pensée divergente, mais on peut les encourager à la cultiver. À une échelle individuelle, cela implique de commencer par expliquer l’intérêt d’une telle démarche intellectuelle, pour ensuite proposer des pistes de développement : rêvasser, se promener dans la nature, lire… « Tout ce qui cultive l’imagination ! », conseille Sylvaine Pascual.

L’exercice classique proposé pour tester et pratiquer la pensée divergente est celui du trombone : vous devez imaginer un maximum d’utilisations possibles de cet objet. La majorité des personnes parviennent à proposer une liste de 10 à 15 idées, mais certaines peuvent aller jusqu’à 200 ou plus !

Il est également possible d’exercer la pensée divergente de son équipe à l’aide d’exercices simples : « On pose un livre - n’importe lequel - sur la table, et chacun l’ouvre à une page au hasard. Les collaborateurs doivent alors s’appuyer sur le premier mot sur lequel ils tombent pour générer une idée », propose Sylvaine Pascual. Bien entendu, ce mot n’aura certainement aucun lien avec le problème rencontré dans votre projet, ce qui va donner lieu à des propositions farfelues, mais c’est justement un excellent moyen d’encourager une pensée par association d’idées. « Cela peut permettre de faire surgir des solutions originales et créatives », soutient Sylvaine.

Pensée divergente en entreprise : quelles limites ?

Gardons à l’esprit que si la pensée divergente possède de nombreux avantages, il ne faut pas non plus la considérer comme une méthode miracle, car elle n’est pas exempte de défauts. On peut notamment lui reprocher son manque de pragmatisme : la gestion de projets et la résolution de problèmes nécessitent des actions concrètes et souvent rapides ; or, la pensée divergente peut créer un égarement nuisible à la productivité de l’équipe. « Si on ne sort pas du cadre de la pensée divergente, souvent il ne se passe rien derrière. On reste dans la généralité, avec le risque de ne pas avoir beaucoup d’exécution, de transformation d’une idée en action concrète », avertit Sylvaine Pascual.

De plus, en encourageant la pensée divergente de manière excessive au sein de votre team, vous prenez le risque de voir apparaître une course aux idées. Cette compétition créative peut faire perdre de vue à vos collaborateurs l’objectif initial d’un tel exercice, à savoir la résolution d’un problème bien réel. « Le but n’est pas que la solution soit originale pour qu’elle soit originale. Il faut pouvoir générer de nouvelles idées afin de trouver la manière la plus efficace de résoudre un problème », confirme Sylvaine.

Par ailleurs, la pensée divergente est une méthode qui ne peut pas être applicable à tous les membres de votre équipe : « Certaines personnes vont être plus réfractaires à la pensée divergente, parce qu’elles n’en ont pas envie ou que ça ne correspond pas à leur personnalité », explique Sylvaine Pascual. Et ce n’est pas grave ! C’est la diversité intellectuelle qui fait la force d’une équipe projet.

Ne faites pas l’erreur de recruter uniquement des collaborateurs avec un esprit « pro-pensée divergente ». Ce serait passer à côté de talents peut-être plus conformistes, mais aussi plus efficaces dans la résolution de problèmes : « Un manager n’a pas d’intérêt à avoir 100 % de son équipe qui est très axée sur la pensée divergente, très créative et du coup plus difficile à faire travailler ensemble », estime Sylvain Pascual. La solution ? « Combiner les deux pour trouver un équilibre », conclut la coach. Et ne pas oublier que lorsqu’il s’agit de trancher la question de la pensée divergente, les avis peuvent aussi être amenés à diverger. À bon entendeur.


Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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