Managers : comment évaluer la charge de travail « ressentie » de vos équipes ?

05 juin 2023

5min

Managers : comment évaluer la charge de travail « ressentie » de vos équipes ?
auteur.e
Ingrid de Chevigny

Freelance Content Writer & Content Strategist pour start-ups B2B

La charge de travail ressentie par les salariés français serait en forte hausse. Mais en quoi diffère-t-elle de la charge de travail réelle ? Et surtout, comment l’évaluer pour assurer le bien-être de ses équipes ?

« Je suis complètement débordé ! » : vous êtes-vous déjà retrouvé face à un membre de votre équipe visiblement épuisé, alors que vous considériez que sa charge de travail était tout à fait gérable ? Si oui, c’est sans doute parce que vous avez sous-estimé sa charge de travail « ressentie » ou « subjective ». Et cela doit vous alerter. Car une charge excessive peut avoir des conséquences très néfastes en matière de santé mentale.

En France, une charge de travail ressentie en forte hausse

Dans l’étude Les Français au travail : dépasser les idées reçues (février 2023), l’Institut Montaigne pointe un phénomène plutôt inquiétant : un quart des salariés jugent leur charge de travail excessive. Et cette charge ressentie est en forte hausse : 60 % des salariés estiment qu’elle a augmenté au cours des 5 dernières années. Pourtant, et c’est tout le paradoxe, le temps de travail effectif n’a, quant à lui, pas significativement augmenté sur la même période. Autrement dit, les salariés français se sentent de plus en plus surmenés, alors qu’ils ne travaillent pas plus d’heures qu’avant.

« En matière de charge de travail, ce qui compte, c’est surtout l’intensité. On peut très bien avoir un temps de travail très long et une charge faible », confirme Thierry Rousseau, chargé de mission à l’Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail) et rédacteur en chef de La Revue des conditions de travail. On peut donc travailler 50h par semaine dans la sérénité, tout comme on peut être en burn-out sans dépasser les 35 h.

Charge de travail : tout est une question de perception

L’Anact a développé un modèle baptisé PRS, qui décompose la charge de travail en 3 concepts clés :

  • La charge de travail prescrite (P) : ce sont les tâches attribuées au salarié, et les objectifs attendus par le management.
  • La charge de travail réelle (R) : il s’agit des efforts réellement déployés par le salarié pour réaliser ces tâches et atteindre les objectifs.
  • La charge de travail subjective (S) : c’est l’évaluation que fait le salarié de son propre effort, en prenant en compte sa situation personnelle.

Adrien Chignard, psychologue du travail et des organisations, spécialisé dans la prévention du stress et des risques psychosociaux, en donne une illustration : « Imaginons un salarié à qui son manager demande de faire un reporting, en lui disant que cela devrait lui prendre 10 minutes. Ça, c’est la théorie, et c’est ce qu’on appelle la charge prescrite. Dans la pratique, le salarié y passe 30 minutes car l’outil dédié ne fonctionne pas bien. Cette durée, c’est la charge réelle, qui est donc bien plus élevée. Imaginez maintenant que ce salarié avait promis à sa femme de la rejoindre pour une séance de cinéma après le travail. Il arrive en retard à cause de ce fichu reporting. La charge de travail ressentie dépasse alors largement les 30 minutes ! », pointe-t-il.

Quels facteurs contribuent à une charge de travail ressentie élevée ?

Le temps de travail ou le volume des tâches à effectuer n’est donc finalement pas un indicateur suffisant pour évaluer la charge de travail ressentie. Les facteurs explicatifs sont plutôt d’ordre subjectifs. Selon l’Institut Montaigne, il s’agit avant tout d’une relation dégradée avec le management, d’une forte charge psychique, et d’une faible autonomie au travail.

Adrien Chignard identifie en effet deux principaux modérateurs :

  • Le soutien managérial : « À volume de travail égal, des équipes peuvent avoir une perception très différente de leur charge, selon le style de management. Le style autoritaire et le style laisser-faire ont tous les deux tendance à augmenter la charge de travail ressentie », note-t-il.
  • Le soutien de l’organisation dans son ensemble : « Le climat de sécurité psychologique de l’entreprise joue beaucoup dans la perception de la charge de travail. Elle augmente par exemple lorsque les employés sentent qu’ils ne peuvent pas exprimer leur vulnérabilité, leurs doutes, ou bien donner leur opinion », ajoute-t-il.

L’équilibre entre la rétribution et la contribution est également un facteur important selon Thierry Rousseau : « Si vos efforts sont valorisés, le poids de votre charge de travail est a priori moindre que si la reconnaissance n’est pas au rendez-vous ». Il évoque par ailleurs les évolutions de l’organisation du travail comme de possibles facteurs aggravants. Le télétravail et l’hyperconnexion peuvent considérablement augmenter la pression sur les actifs, car « les contacts se multiplient et nous devons traiter un volume d’informations exponentiel ».

Comment appréhender la charge de travail ressentie en tant que manager ?

Les conséquences d’une charge de travail ressentie excessive peuvent être extrêmement dévastatrices. Il y a évidemment les risques humains, avec le burn-out et toutes les pathologies qui vont avec. Mais il y a aussi les risques business, puisque la démotivation, les arrêts maladie, ou encore le turnover peuvent faire chuter la productivité. Estimer la charge de travail perçue par ses équipes est donc un enjeu managérial clé.

Évaluer la charge de travail ressentie

Avant toute chose, l’Anact explique dans un guide qu’il faut éviter à tout prix de vouloir « mesurer » la charge de travail, en utilisant des indicateurs quantitatifs comme le nombre de dossiers traités, le nombre d’appels pris en charge ou encore le nombre de pièces produites. Il faut plutôt chercher à « évaluer » ou « estimer » la charge de travail.

Pour cela, il est important de faire preuve d’écoute, et de prendre régulièrement le pouls de son équipe. Adrien Chignard conseille par exemple aux managers de démarrer systématiquement leurs points de suivi hebdomadaires en demandant « Comment ça va ? Où en es-tu par rapport à ta charge ? ». La fréquence du questionnement est selon lui beaucoup plus importante que son intensité : mieux vaut aborder le sujet de la charge de travail 3 minutes toutes les semaines, plutôt que d’en faire un gros point trimestriel.

Comment alors réagir face à un collaborateur qui se plaint d’une charge excessive ? La première chose à faire, selon Thierry Rousseau est « de reconnaître le problème en évitant de lui ôter de l’importance, et d’encourager le dialogue ». En tant que manager, il est important de faire confiance à son équipe et de ne pas remettre en question sa parole. À partir du moment où un salarié tire la sonnette d’alarme, il faut donc prendre des mesures concrètes.

Diminuer la charge de travail ressentie par son équipe

L’important est d’apporter du soutien. Et Adrien Chignard rappelle qu’il en existe 4 formes :
1. Le soutien opérationnel, qui consiste à donner un coup de main concret, en déchargeant le salarié d’une ou plusieurs tâches.
2. Le soutien informationnel, qui repose sur le partage de conseils ou d’informations utiles par rapport à un problème.
3. Le soutien émotionnel, qui passe par l’écoute, la bienveillance, et le réconfort.
4. Le soutien d’estime, qui consiste tout simplement à rassurer la personne sur ses compétences, et sur sa capacité à réussir.

Dernier conseil donné par le psychologue, pour réduire la charge de travail ressentie par son équipe : intégrer les aléas comme la norme. « Nous avons tous tendance à prévoir nos agendas en les remplissant à bloc avec toutes nos tâches, comme si tout allait bien se passer. Mais il y a toujours des imprévus ! », explique-t-il. Tout le monde devrait donc, selon lui, se caler au moins deux créneaux de deux heures chaque semaine pour absorber la charge de travail supplémentaire liée aux aléas. De quoi gagner en sérénité, et réduire pour de bon la charge de travail ressentie de ses équipes !


Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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