Candidats : en recherche d’emploi, misez plutôt sur vos liens faibles !

25 oct. 2022

7min

Candidats : en recherche d’emploi, misez plutôt sur vos liens faibles !
auteur.e
Elise Assibat

Journaliste - Welcome to the Jungle

Dans un monde où l’inflation gronde et l’incertitude règne, s’assurer un emploi n’a jamais été plus urgent. Pourtant, ceux qui nous sont chers sont rarement d’une grande aide pour y parvenir. Et si nous faisions fausse route en comptant sur notre cercle proche pour trouver un job ? Et si, à l’inverse, le secret d’un recrutement réussi se cachait du côté des connaissances plus éloignées ? Décryptage du retour en force d’un phénomène bien connu des sociologues, les liens faibles, avec Amandine Mathivet, sociologue du travail et Hervé Bommelaer, coach expert en networking.

Rien d’anormal à ne pas oser se tourner vers les connaissances en pleine recherche d’emploi : notre relation se limite à un minimum d’échanges par an. Voire à une absence totale de contact. Alors pourquoi les solliciter pour nous aider sans qu’ils ne nous doivent rien ? C’est justement la théorie de la force des liens faibles. Succès garanti.

Zoom sur les liens faibles

La théorie de Mark Granovetter

Notre cercle proche se constitue de notre famille et de nos très bons amis. On parle alors de liens forts pour désigner les relations qui nous unissent à eux. « À l’inverse, les liens faibles désignent donc ceux que nous ne connaissons pas très bien, voire pas du tout, explique la sociologue du travail Amandine Mathivet. Mais ici, les liens faibles font surtout référence à une théorie pensée par un sociologue américain, Mark Granovetter, dans les années 70. » À l’époque, ce dernier cherche à comprendre comment se structure le marché de l’emploi. Non pas en traitant de l’offre et de la demande comme les économistes avant lui, mais en se concentrant sur les acteurs de ce marché. « Comme tout bon sociologue, c’est en interrogeant un grand nombre d’échantillons parmi les chercheurs d’emploi qu’il découvre que la majorité des gens trouveraient non pas un emploi via leurs liens forts mais plutôt via leurs liens faibles », poursuit Hervé Bommelaer, coach expert en networking. Il se rend également compte de l’insuffisance des institutions à remplir ce rôle d’insertion à l’emploi et place donc les relations entre les individus comme premier facteur de réussite. Suite à cette étude, Mark Granovetter publie en 1973 un ouvrage, La force des liens faibles, et défend depuis l’importance du rôle des simples connaissances dans la recherche d’emploi.

Mais de qui parle-t-on exactement ?

Les liens faibles désignent avant tout les personnes qui exercent dans le même domaine que vous mais dont vous n’êtes pas proche. Parmi ces derniers, il existe deux catégories :

  • La première illustrée par des personnes qui nous connaissent un peu et que l’on connaît un peu. « Ce ne sont donc ni la famille, ni les amis, ni même les bons copains mais par exemple une ancienne relation d’école ou un ancien collègue d’il y a dix ans », illustre Hervé Bommelaer.

  • La deuxième catégorie, quant à elle, concerne des personnes que l’on ne connaît pas encore mais que l’on va rencontrer par le biais d’autres que l’on connaît un peu. « Alors si vos liens forts ne vous permettent pas de vous faire recommander, ce sont les liens faibles qui peuvent pallier cette absence », poursuit Amandine Mathivet. Voire même redoubler d’efficacité.

Un réseau aux avantages nombreux

Vous l’aurez compris, les liens faibles sont un outil prioritaire dans la recherche d’emploi. Et ne pas s’en servir serait contre-productif. « Car de la même manière que le mauvais chercheur d’emploi se jette sur les chasseurs de tête alors que ces derniers contrôlent entre 13 et 17% du marché et se coupent d’un potentiel plus de 80% du marché, se concentrer uniquement sur les liens forts réduit considérablement les opportunités », affirme Hervé Bommelaer. En réalité, notre cercle proche ne regroupe souvent qu’un groupe d’individus restreint, entre dix et vingt personnes maximum. « De plus, il est rare que les liens forts soient connectés à notre univers professionnel », ajoute la sociologue du travail. Alors même si nos proches aimeraient pouvoir nous aider, leurs réseaux ne nous concernent souvent pas du tout.

Les liens faibles, quant à eux, sont beaucoup plus nombreux et offrent donc bien plus d’opportunités. À commencer par l’avantage de mieux correspondre à nos attentes. C’est ainsi que Mathilde a décroché son premier emploi dans une agence pub. « Je me suis tout de suite tournée vers des gens qui étaient experts dans mon secteur car leur parole était beaucoup plus légitime que celles de mes proches. » Et de fait, entre ses parents qui ne sont pas de la même génération et ne comprennent parfois pas ses aspirations et ses amis qui connaissent mal le secteur, faute de ne pas y travailler, la question ne s’est pas posée de faire appel à eux pour la guider. « Certes, ces liens faibles étaient beaucoup moins proches et nos rapports ne m’assuraient en aucun cas le job, mais le match était bien plus intéressant au vu de mon parcours. »

Par ailleurs, l’absence de charge émotionnelle peut également jouer un rôle important dans la relation entre liens faibles. « Car si la notion de l’affect est mise de côté, alors le contact se limite uniquement à un cadre professionnel », confirme Amandine Mathivet. Les enjeux relationnels ne viennent donc pas préoccuper la recherche d’emploi et vous offrent une plus grande liberté d’action. Une des raisons d’ailleurs qui a poussé Mathilde à oser contacter d’anciens stagiaires de l’entreprise qu’elle visait afin de poser des questions sur la culture de la boîte. Elle avait eu des échos très positifs lors de ses précédents stages à son sujet, et représentait ce qu’il y avait de mieux dans le secteur à ses yeux. Cette initiative lui a permis d’être mise en contact avec la RH et d’obtenir un entretien dans la foulée. « J’ai trouvé ça beaucoup plus agréable d’être en lien avec des personnes que je ne connaissais pas car si jamais le job ne me convenait pas, j’aurai eu beaucoup plus de mal à me désister en sachant qu’un proche m’avait recommandé. »

Comment tirer profit de ces liens faibles ?

Maintenant que leur usage vous a convaincu, il s’agit d’en tirer profit. Alors comment s’assurer un bon contact avec des gens que vous ne connaissez pas ? Tour d’horizon des conseils pour vous faciliter la tâche.

1. Bien s’entourer

Pour se créer un réseau, il faut d’abord avoir un objectif défini. Dans ce cas précis, on ne peut faire plus clair : trouver un emploi. « Je peux alors cibler les personnes qui peuvent m’aider à me rapprocher de mon objectif dans le secteur qui m’intéresse », continue Hervé Bommelaer. Pour cela, il faut commencer par en parler à la première catégorie de lien faible, c’est-à-dire aux personnes de mon secteur que je connais ou que j’ai déjà croisé dans ma vie professionnelle. L’idée est de clarifier votre demande en vous adressant à eux : je cherche à travailler dans cet univers, à ce poste, est ce que tu peux me faire rencontrer des gens du milieu ? De là se forme petit à petit un écosystème et il faut alors se rendre visible auprès de tous les gens qui gravitent à l’intérieur ou tout autour de cet écosystème. « Ces nouvelles rencontres vont à leur tour vous connecter à d’autres informateurs, d’autres veilleurs, toujours dans ce même écosystème et ainsi de suite », affirme Hervé Bommelaer.

Au bout d’un moment, le résultat est presque mécanique, je suis visible aux yeux de tous les liens faibles, connus ou inconnus, qui peuvent m’être utiles pour atteindre mon objectif. « C’est ce processus qui va me permettre de finir par rencontrer les décideurs, soit des gens capables de m’engager », conclut le coach en networking.

2. La prise de contact

La prise de contact pose souvent question et il s’agit là d’un problème majeur dans la recherche d’emploi. « Tout d’abord car notre éducation repose sur une méfiance des gens que l’on ne connaît pas, révèle Hervé Bommelaer. On nous apprend depuis tout petit à ne pas demander, ne pas réclamer. » Or le réseau consiste justement à formuler une demande bien précise à quelqu’un que l’on ne connaît pas. « Alors même si notre culture nous pousse à nous freiner dans cette démarche, en se disant qu’on va déranger la personne en question, que cette dernière n’a aucun intérêt de nous répondre etc… Il faut forcer sa nature et aller à l’encontre de ces principes de sociétés pour oser », encourage le spécialiste.

Quant au meilleur moyen pour que des gens que vous ne connaissez pas acceptent de prendre le temps de vous aider, ce sera la recommandation. Après, tous les contacts faibles ne se valent pas bien sûr. « Il faut quand même que ces derniers aient une certaine influence dans le domaine professionnel que vous visez, qu’ils soient reconnus par le milieu », nuance Amandine Mathivet. Attention aussi, si vous repérez un profil intéressant, notamment sur Linkedin, et que vous avez une relation en commun sur le site. Il est important de toujours vérifier la nature de la relation. « Si la personne que vous contactez ne le connaît pas, la force de la recommandation va perdre de sa valeur », met en garde Hervé Bommelaer.

3. L’art de la recommandation

Pour obtenir un contact utile avec quelqu’un de notre écosystème, le mieux est de bénéficier d’une recommandation de la part de quelqu’un. C’est le cas de Justine, qui a pu trouver son job grâce au contact d’une ancienne collègue. Cette dernière lui propose de la mettre en relation avec une copine qui travaille elle aussi dans la transition écologique afin qu’elle puisse l’aider dans ses recherches. « Nous nous sommes rencontrées, et c’est elle qui m’a fait parvenir l’offre d’emploi que j’occupe à présent car elle connaît du monde dans le milieu, poursuit la jeune femme. Mais une chose est sûre, je ne pense pas que cette personne m’aurait partagé son réseau si nous n’avions pas une relation en commun ! »

D’où l’importance du mécanisme de l’écosystème si vous ne disposez pas encore d’un lien avec le profil qui vous intéresse. « Si vous sortez la carte de la recommandation, même si la personne est un peu embêtée, elle se sent obligé de le faire et huit fois sur dix elle vous reçoit, assure Hervé Bommelaer. Car elle ne sait pas encore qu’elle va prendre un plaisir immense, à se sentir utile, à se sentir valorisée pendant votre entretien. » Et lorsque vous lui demanderez des contacts pour continuer dans votre démarche de réseau, elle se fera un plaisir de vous les partager. Pour le coach, « c’est là toute la magie du réseau des liens faibles ».

4. L’outil incontournable des liens faibles : Linkedin

Aujourd’hui, l’époque nous offre un outil que Mark Granovetter n’avait pas imaginé en théorisant la question des réseaux sociaux : les réseaux sociaux numériques. « La plateforme Linkedin, rassemble tout un réseau professionnel en ligne, nous offre la possibilité de nous connecter à des travailleurs du même domaine professionnel que nous et même de leur envoyer un message », rappelle Amandine Mathivet. Ce réseau est donc un formidable moyen de se renseigner sur l’écosystème en amont. « Si je me rends sur le profil du lien faible que j’ai ciblé, je peux découvrir son parcours, d’éventuelles relations en commun, et ça me met dans une meilleure posture pour le contacter », poursuit Hervé Bommelaer.

« Rappelons toutefois que si Linkedin est un facilitateur, voire un accélérateur en la matière, le réseau ne permet pas non plus de jouer la carte de l’écosystème entièrement sur le numérique », nuance le coach en networking. Tout simplement car les acteurs en question sont des individus et non des logiciels. « Il est donc aussi important de se rendre dans les endroits valorisés par le domaine, et puis surtout de lire sur le milieu, s’imprégner de la culture du milieu et s’interroger sur la problématique étudiée par le domaine professionnel en question pour pouvoir en parler de vive voix », recommande Amandine Mathivet.

Finalement, il semblerait bien que les liens faibles aient bien plus à nous apporter que ce qu’on aurait pu penser… Alors à vous de jouer.

Article édité par Sami Prieto, photo Thomas Decamps pour WTTJ

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