« Je me bats pour l’égalité de chance », avec Bayram Tayari de #1semaine1CV

15 févr. 2023

6min

« Je me bats pour l’égalité de chance », avec Bayram Tayari de #1semaine1CV
auteur.e
Caroline Douteau

Journaliste

contributeur.e

Le réseau professionnel LinkedIn n’a plus aucun secret pour lui. Et avec son mouvement bénévole #1semaine1CV, le self-made man marseillais Bayram Tayari a déjà mis en relation des centaines de chercheurs d’emploi et de recruteurs partout en France. Conseils de coachs bénévoles ou d’influenceurs « stars » et actes de solidarité… tout un art dont ce père de famille, sans diplôme, s’est fait maître. En toute simplicité.

Vous êtes à l’origine de l’initiative #1semaine1CV sur Linkedin. De quoi s’agit-il exactement ?

C’est un mouvement bénévole, hors circuit associatif ou institutionnel, qui fonctionne comme une chaîne de solidarité. Je partage un CV sélectionné parmi tous ceux que je reçois, en suivant la règle du « premier arrivé, premier servi ». Mais il n’agit pas d’un CV brut de décoffrage : après réception, nous proposons des conseils pour l’améliorer à l’aide de mon équipe. Nous sommes 14 aujourd’hui à offrir ces services de coaching gratuits et de diffusion, avec un fonctionnement en binôme. Tout se fait en ligne, avec des conseils personnalisés pour la rédaction du curriculum vitae, des simulations de recrutement, de l’aide pour des photos ou des vidéos, etc… Pour certains, il faut tout reprendre à zéro, pour d’autres on aide à la recherche de postes et à la mise en relation avec des recruteurs. La plupart a surtout besoin de motivation, perdue après des dizaines de portes qui se ferment ou des candidatures sans réponses ! En 3 ans, on a pu ainsi aider directement entre 250 et 300 personnes à trouver un emploi, sur toute la France. Ça fait environ un candidat sur trois qui parmi ceux qui nous consultent.

Électricien dans une petite mairie près de Marseille, vous êtes désigné « Top voice influencer » et « Top voice emploi » par le réseau professionnel LinkedIn. Comment vous-êtes vous distingué ?

Les réseaux sociaux n’étaient pas du tout mon délire. C’est à l’occasion d’une tentative de création d’une application que je m’y suis mis. Avec mon frère, ingénieur informatique, et un ami, on travaillait sur un projet d’appli permettant de référencer des sujets ou passions pour créer des groupes d’intérêt. Mon frère me disait alors : « tu as la tchatche, essaye de communiquer sur les réseaux sociaux ! » J’ai créé un profil sur Linkedin pour présenter l’idée, recueillir des avis sur nos choix de logos, etc… Bon, l’aventure a capoté car on n’avait ni les moyens ni les compétences pour le mener à terme, mais finalement une petite communauté s’était créée sur le réseau. J’avais de plus en plus de followers étonnés par mon « street style » marseillais et mes posts. Je vais être honnête : un arabe, barbu et sans diplôme, ça jure un peu dans ces pages. Mais comme c’était assumé, ça a attisé la curiosité d’étudiants et de candidats. Je me suis dit que je serais utile en les aidant à acquérir de la visibilité. C’est comme ça que fonctionnent les réseaux sociaux, non ? Alors il faut savoir entrer dans la partie.

Quelle expérience du monde du travail aviez-vous ? Et en quoi vous a-t-elle aidé à porter l’initiative ?

Après un Bac S, j’ai suivi un BTS en électrotechnique que je n’ai pas terminé. J’étais en alternance mais je voulais me marier, fonder une famille et pour ça, travailler. La recherche de boulot était une souffrance. Pôle emploi m’avait orienté vers l’électro-technique. Une fois en alternance, on me dit que ça ne recrute pas. Ça me rendait dingue. Heureusement que ma famille me soutenait et me poussait à m’accrocher. Alors je suis passé par des tas de petits boulots : j’ai suivi une formation de mécanique hydraulique pour réparer les camions poubelle, j’ai réparé des appareils électro-ménagers, puis j’ai enchaîné avec peintre en bâtiment, jardinier… Enfin, grâce à une association d’insertion, j’ai réalisé un stage pour la mairie de la Seyne-sur-Mer, et ils m’ont embauché comme électricien.

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Quels profils ont les personnes qui vous consultent ?

Je suis souvent contacté par des personnes d’origine africaine et nord-africaine, peut-être parce que je leur parais accessible ou qu’ils se retrouvent en moi, je ne sais pas. En tout cas, la discrimination à l’embauche est encore une réalité. Je reçois des messages de candidats qui se sont retrouvés bloqués par leur prénom ou leur photo. Je suis passé par là, je sais qu’on perd confiance en soi, on pense qu’on est un moins que rien puis on rentre dans le délire de victimisation dont il est difficile de sortir. Je réponds : « Qu’est-ce que tu préfères : cacher ta photo ou ton prénom ou assumer qui tu es, ton histoire, ton parcours ? » Ils choisissent souvent la deuxième option, qui, c’est vrai, est la plus difficile, et demande persévérance et recul.

Avec ce rôle d’intermédiaire et d’observateur, quelles autres problématiques du monde du travail identifiez-vous ?

L’entreprise est de manière générale en complet décalage avec la réalité du marché de l’emploi. Les séniors ont beaucoup de difficultés à trouver un emploi ou à se reconvertir. Ils ont de l’expérience à faire valoir, mais on les maltraite en leur proposant des salaires de juniors. En même temps, les recruteurs exigent de l’expérience de la part de Bac+5 qui postulent à la fin de leurs études. Heureusement une nouvelle génération d’entrepreneurs et de patrons prennent le taureau par les cornes : ils recrutent même sans CV, simplement avec le diplôme ou la formation requise. De toute façon la période d’essai est faite pour tester la nouvelle recrue !

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« Oui, c’est compliqué de parler de soi, mais l’authenticité, le sérieux, et la motivation finissent par payer. »

Côté candidats, quelles erreurs observez-vous le plus souvent ?

Il faut arrêter de partager son CV brut. Et si ça n’accroche pas une fois, ça ne sert à rien d’insister en le re-publiant. Le plus important : indiquez vos diplômes et expériences professionnelles en haut de page. Le recruteur ne va passer que 30 secondes sur votre document en ligne. Accrochez son regard. Il est facile de trouver des modèles sur des sites comme Canva. Et pitié, sortez du CV copié-collé : rajouter un texte de présentation sincère et malin. On me dit: « mais Tahar, je n’ai rien à raconter ». Impossible ! On peut parler de sa situation, de ses échecs, de ses hésitations, mais pour se valoriser ensuite et montrer sa motivation. Oui, c’est compliqué de parler de soi, mais l’authenticité, le sérieux, et la motivation finissent par payer. Notre rôle est de les aider à mettre en place ce “storytelling” et une stratégie.

Vous rendez donc accessible des conseils habituellement réservés aux conseillers RH…

Oui, une communauté se crée rapidement si on commente un maximum de posts avec un point de vue, si on répond aux messages privés, aux commentaires sous le post. En plus du recours aux institutions, aux associations et aux candidatures spontanées, on ne peut plus faire l’impasse des réseaux professionnels. C’est primordial : on peut profiter de formations, de l’expérience de gens inconnus, ça peut aller très vite. Je cite souvent en exemple, Lenna étudiante en communication qui a recréé une maquette du journal L’Equipe pour solliciter une alternance. Elle s’est faite remarquer. C’est quand même dommage que les institutions ne forment pas aux réseaux sociaux. Je milite pour que Pôle Emploi, les missions locales, les lycées, les facs se mettent à la page en proposant ces formations très tôt.

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« Les spécialistes RH demandent souvent des sommes astronomiques pour leurs conseils. Moi je me bats pour l’égalité des chances, je m’adresse à ceux qui ne peuvent pas payer. »

Justement, mettez-vous en place des partenariats avec les collectivités sur Marseille ou ailleurs ?

Nous avons participé au forum de l’emploi avec la métropole de Marseille. C’est en réflexion, mais pour cela nous devrons prendre le statut d’association. Or j’aime notre liberté, notre indépendance et j’ai peur de perdre le message d’origine.

Certains influenceurs en recrutement se sont rendus célèbres dans le domaine, mais avec une formation RH. Avez-vous envie de vous orienter professionnellement vers le recrutement, plus généralement les RH et le droit du travail ?

Je me forme sur le tas, et je préfère rester à ma place. Les spécialistes RH demandent souvent des sommes astronomiques pour leurs conseils. Moi je me bats pour l’égalité des chances, je m’adresse à ceux qui ne peuvent pas payer, et je me fais aider par des pros.

Y a t il des sites, des médias que vous suivez et que vous conseillez à vos followers ou adhérents ?

Evidemment Welcome to the jungle, et l’émission B’inspired de Virginie Delalande sur bsmart.fr C’est toujours bon de consulter des profils inspirants pour retrouver l’envie : le podcast de Christel de Foucault, la “ patronne » est une mine d’or. En région, David Flamant est super actif avec le mouvement #iciçarecrute, et pour connaître les besoins côté recruteurs, allez voir du côté d’Hélène Ly.

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Dans un post vous déclarez : « Ma recherche d’emploi était une galère de ouf, aujourd’hui je suis considéré comme influenceur RH/recrutement/emploi, une belle revanche quand même». Le mot de revanche est fort ! C’est important de toujours trouver des défis à relever ?

Je ne cours pas derrière les récompenses, mais je suis fier car la reconnaissance du mouvement par LinkedIn fait des émules. Des abonnés nous ont rejoint ou lancé leurs propres initiatives, pour faire jouer à fond la solidarité.

Article édité par Gabrielle Predko et Gabrielle Tremblay, photo par Thomas Decamps

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