Les heureux hasards de Lenny Guerrier, directeur artistique et créateur de mode

28 juin 2019

6min

Les heureux hasards de Lenny Guerrier, directeur artistique et créateur de mode
auteur.e
Clémentine Marot

Chef de projet marketing freelance dans les secteurs mode et art de vivre

À 37 ans, Lenny Guerrier est la preuve qu’ambition peut rimer avec spontanéité. Ce grand curieux à l’âme d’entrepreneur qui admet volontiers n’avoir jamais rêvé d’une carrière dans la mode s’est peu à peu imposé comme un acteur incontournable de la nouvelle création française.
Plus qu’aux plans de carrières tout tracés, Lenny croit surtout aux rencontres et à l’envie : l’envie d’apprendre, de mettre en avant des talents prometteurs, de se lancer comme designer de mode, et de repenser les codes d’un milieu encore très cloisonné.

Aujourd’hui Designer et Directeur Artistique Lenny Guerrier, revient sur son parcours loin des écoles de mode et des studios de couture, et sur sa vision résolument ancrée dans l’air du temps.

Lenny, tu es à la fois créateur de mode, entrepreneur, Directeur Artistique… Comment définis-tu ton métier ?

Je suis avant tout entrepreneur/freelance, c’est-à-dire, que j’interviens en tant que consultant sur des problématiques diverses, j’apporte des idées pour des marques de mode, accessoires et chaussures (Converse, New Era, Reebok, Adidas, Leather Corwn…). Cela peut aller de la création d’une collection, d’une image à la construction d’une stratégie de développement.
Designer de mode et Directeur Artistique je le suis devenu ces dernières années. J’ai co-fondé le lieu LAPAIX à Paris en 2015 et je travaille maintenant sur ma première ligne de vêtements SILWET.

Pourquoi ce choix de cumuler plusieurs casquettes ?

Je fais partie de la génération des «slasheurs» qui s’épanouit en menant plusieurs activités. Ce concept n’est pas encore totalement intégré en France, mais les mentalités évoluent doucement. Il faut que les gens comprennent que l’on ne fait plus un seul métier pendant 20 ans. On a tendance à penser que les personnes qui font plusieurs choses en même temps ne peuvent pas se donner à fond, c’est faux, au contraire c’est une force : tu continues à apprendre des choses et tes expériences se nourrissent les unes des autres.

« Je fais partie de la génération des slasheurs qui s’épanouit en menant plusieurs activités. Ce concept n’est pas encore totalement intégré en France, mais les mentalités évoluent doucement. »

Toutes mes activités sont intimement liées, et sont rassemblées au sein d’un lieu hybride LAPAIX, que l’on a co-fondé il y a trois ans avec Theodoros Gennitsakis qui est à la tête du magazine, agence et marque de vêtement Pressure.

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Quelle est la vocation de ce studio-galerie ?

C’est un laboratoire pluridisciplinaire en marge de ce qui existe à Paris actuellement. Notre idée est de présenter le travail et œuvres d’artistes - peintres, photographes, sculpteurs, performers, designers…- et de leur proposer une plateforme où ils peuvent s’exprimer. Nous organisons des événements en lien avec l’actualité artistique parisienne.

C’est un lieu atypique pour une galerie, qu’est-ce qui vous a séduit ici ?

Au départ, nous cherchions un studio/showroom et nous avons trouvé cet espace caché dans un parking en face de chez Cartier, rue de la Paix. Il y a ici quelque chose d’underground et en même temps d’ultra luxe. Ce sont des paradoxes qui nous parlent beaucoup à Théo et moi. Cet espace est un pont entre ce que l’on fait, et ce qui nous intéressent : la mode, l’art contemporain, la photographie, la musique et le design.
On essaie depuis trois ans de décloisonner tout ça afin de créer un dialogue et un pont entre ces différents mediums.
Tous les événements que nous organisons nourrissent ma créativité et me permettent de rencontrer des personnes très talentueuses d’univers différents ce qui est très enrichissant.

« Tous les événements que nous organisons nourrissent ma créativité et me permettent de rencontrer des personnes très talentueuses d’univers différents ce qui est très enrichissant. »

Quel a été ton parcours, comment es-tu arrivé dans l’univers de la mode ?

Par des chemins détournés ! J’ai une formation de marketing et de communication. Après mes études j’ai commencé à travailler avec l’agence de publicité Nogood Industry qui possédait un espace rue des Martyrs à Paris. En 2006, je suis devenu DA et acheteur de cet espace, NOGOODSTORE, afin d’y présenter des créateurs de mode principalement scandinaves dont j’avais senti l’émergence quelques années auparavant.

Au NOGOODSTORE, j’ai rencontré Riad, un passionné et archiviste de mode qui avait une énorme collection de pièces vintage de couturiers tels que Cristobal Balenciaga, Hubert de Givenchy, Christian Dior et des créateurs contemporains tels que Comme des Garçons, Yohji, Issey, Martin Margiela, Helmut Lang, Rick Owens….
Il m’a initié à l’univers de la mode, m’a transmis le goût des belles choses. J’ai appris à décrypter les collections, les époques, les formes… En 2017, nous avons relancé le label mode Basscouture qu’il avait créé en 2008. C’était un vestiaire constitué uniquement de pièces vintages revisitées, un concept 100% upcycling, complètement dans l’air du temps aujourd’hui mais assez novateur il y a 10 ans.
Cette première approche de la mode à travers les archives a été extrêmement fondatrice pour moi. J’ai appris à regarder le passé pour comprendre à inventer au présent.

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De 2012 à 2014, tu as tenu ton propre concept-store qui s’appelait COÏNCIDENCE : est-ce ton moteur, le hasard des rencontres ?

Ce sont ces rencontres qui ont jalonné mon parcours et m’ont mené d’un point à un autre. C’était un concept-store que j’avais développé avec l’aide de deux amis David et Charles. L’envie c’était de créer un lieu qui mettait en lumière des créateurs - français ou étrangers - et des marques, en mixant les influences. Je proposais des objets, des pièces de mode contemporaines mais aussi du mobilier design vintage. Nous avons été parmi les premiers à mettre en avant des designers tels que Martin Rose, Etudes, Amelie Pichard, Unused, Filling Pieces ou encore des marques comme Silent Damir Doma, Dark Shadow Rick Owens.

Il y a pas mal de hasards heureux dans ton parcours en effet, mais il faut aussi des qualités pour transformer ces rencontres, quelles sont-elles d’après toi ?

L’ouverture d’esprit, la créativité et de l’audace.
Petit, je n’avais jamais rêvé de travailler dans la mode. J’ai toujours aimé le vêtement et adopté un style particulier alors que j’ai grandi en banlieue parisienne. À cette époque je n’étais même pas au courant qu’il y avait des écoles de mode ou des écoles d’art ! Le fait de ne pas avoir une idée précise de ce que je voulais faire a sans doute été ma force.
Je me suis toujours laissé porter, et agi de façon intuitive, parfois naïve. Je crois que cette fraîcheur est un atout dans le monde de la mode qui est assez balisé.

« Petit, je n’étais même pas au courant qu’il y avait des écoles de mode ou des écoles d’art ! Le fait de ne pas avoir une idée précise de ce que je voulais faire a sans doute été ma force. »

Une journée dans la vie de Lenny, ça ressemble à quoi ?

Elles sont pleines de rendez-vous pour la programmation de LAPAIX avec différents curateurs, galeristes et artistes. Il faut aussi suivre la mise en place des prototypes, rencontrer les créatifs avec qui je veux travailler pour le développement de ma marque, parler avec des fabricants, rencontrer des nouveaux talents, faire des recherches, aller voir des expos ou des vernissages en traversant Paris sur mon vélo… !

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De quoi es-tu le plus fier aujourd’hui ?

Faire partie de la scène créative Parisienne qui, malgré ce que l’on pense, est très influente et contribuer à mettre en lumière des artistes et créatifs talentueux. Je suis fier d’avoir réussi, avec mes petits moyens, à être là depuis 2006 et d’avoir un lieu atypique comme LAPAIX sans avoir réalisé un parcours classique, ni travaillé dans des studios de grandes Maisons.

« Je suis fier de contribuer à mettre en lumière des artistes et créatifs talentueux. »

Comment envisages-tu les prochaines années ?

J’ai envie de mettre à profit tout ce que j’ai appris depuis plus de dix ans, de repenser et de faire évoluer mon métier. Aujourd’hui, présenter une collection, faire des showrooms ou des défilés, ce sont des événement promotionnels pour les marques établies, qui demandent beaucoup d’investissement en temps et en énergie et que je trouve obsolètes pour une jeune marque.

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Je veux prendre en compte l’évolution de la mode et les problématiques pour être davantage en adéquation avec la façon dont les jeunes consomment aujourd’hui : des circuits-courts, une collection que l’on vendra le lendemain de la présentation via un online store et des pop-up shop. Proposer une fabrication française ou italienne dans le respect des traditions et des conditions de travail.

« J’ai envie de mettre à profit tout ce que j’ai appris depuis plus de dix ans, de repenser et de faire évoluer mon métier. »

En avril, tu as lancé une nouvelle marque, SILWET, quelle est ton ambition ?

SILWET est un projet sur lequel je travaille depuis plus d’un an et demi. Mon envie est de proposer un label de mode qui serait en phase avec notre époque. “SILWET” c’est la traduction créole Haitienne du mot français “silhouette”. Je veux désormais présenter et vendre des silhouettes, et non plus des collections, qui sont fabriquées à partir de matiere “deadstock” afin de mettre à disposition un label créatif et upcyling.

Un dernier conseil aux sceptiques qui ne croient pas au hasard ?

Ma mère m’a dit un jour : « N’attends pas qu’on vienne te dire comment faire les choses, c’est à toi d’aller chercher l’information et le savoir. » Ensuite, lance toi et c’est en faisant que tu apprendras. Rien n’est parfait, il faut persévérer et provoquer le destin.

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