Leadership : pourquoi les femmes travaillent… quand les hommes triomphent

11 juil. 2022

6min

Leadership : pourquoi les femmes travaillent… quand les hommes triomphent
auteur.e.s
Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Barbara Azais

Journaliste freelance

Environ 90% du leadership mondial est détenu par les hommes. Si les femmes sont plus compétentes et ambitieuses que leurs confrères en début de carrière, pourquoi accèdent-elles à si peu de postes à responsabilités ? Peut-on agir significativement contre les inégalités femmes-hommes au travail si l’on ignore les codes invisibles et les biais inconscients en vigueur dans les entreprises et qui profitent aux hommes aux dépens des femmes ? Ancienne vice-présidente de Procter & Gamble et désormais consultante et coache, Gill Whitty-Collins, signe “Les femmes travaillent, les hommes triomphent” (Ed. Larousse, 2022), un essai percutant dans lequel elle dénonce tous les aspects de la culture masculine dominante dans le milieu professionnel, laquelle nuit à l’évolution de carrière des femmes, mais aussi à la prospérité des entreprises elles-mêmes. Dans son livre, l’autrice démontre, chiffres et faits à l’appui, que les hommes ne seraient pas plus compétents, mais qu’ils auraient un rapport au travail plus stratégique. Entretien.

Votre livre s’intitule : “Les femmes travaillent, les hommes triomphent”. Cette affirmation n’est-elle pas difficile à entendre pour les hommes ?

C’est un peu controversé, c’est vrai. Mais je voulais dire quelque chose d’important : non pas que les hommes ne travaillent pas, on sait qu’ils travaillent, parfois même très dur. Je voulais dire que les femmes travaillent mais ne triomphent pas. Là est la différence. Beaucoup d’entre elles travaillent dur et estiment qu’elles ne pourraient pas faire plus, qu’elles ont atteint leurs limites. Pourtant, elles sont frustrées de voir leurs confrères triompher en travaillant autant, parfois moins. C’est ce qu’il faut comprendre.

Vous écrivez que « les hommes considèrent la représentation de leur comportement et de leur identité comme allant de soi, sans avoir conscience que les femmes vivent une expérience très différente dans le même contexte ». À quel point le monde du travail est-il dominé par la culture masculine ?

Dans tous les domaines professionnels, les hommes dominent en matière de leadership. Les données de Grant Thornton de 2016 indiquent que les femmes n’occupent que 24% des postes de direction aux Etats-Unis. Seulement 10,5% des gestionnaires de fonds sont des femmes. En 2019, seul 3% du financement mondial par capital-risque a concerné des start-up fondées par des femmes. A l’échelle mondiale, elles occupent moins de 10% des postes à responsabilités et seulement 7% des entreprises sont dirigées par des femmes. De même, seuls 9% des États ont une femme à leur tête. Que ce soit dans les entreprises, le sport, le cinéma, en politique ou dans les médias, les hommes dominent, sont majoritairement récompensés et mis à la Une… Donc si les femmes intègrent ces milieux, elles se retrouvent immergées dans une culture masculine dominante.

Vous parlez des « codes invisibles et biais inconscients dans les entreprises qui profitent aux hommes au détriment des femmes ». Toutes les femmes sont-elles conscientes d’être victimes de ces facteurs d’inégalité que vous décrivez ?

Certaines femmes n’en sont pas conscientes, surtout quand elles sont jeunes. Il y a aussi celles qui nient le problème de la diversité de genre. Lorsqu’on est une femme dans une culture masculine dominante, on ressent immédiatement qu’on n’est pas pleinement intégrée. On ressent des « forces invisibles » dans la culture de l’entreprise, même si on ne les comprend pas. Pour ma part, je ne les ai pas comprises avant d’atteindre un poste de direction et c’est lorsque j’ai participé à des réunions que je me suis rendue compte que je n’étais pas dans un environnement égalitaire.
Il y avait 80% d’hommes dans l’entreprise. J’ai vu l’impact sur mes collègues féminines et je les voyais se comporter différemment. Elles étaient plus réservées et parlaient moins. Les hommes étaient gentils et respectueux mais quand l’un d’entre eux parlait, les autres écoutaient attentivement. Quand une femme parlait, ils écoutaient différemment et attendaient qu’elle finisse ou l’interrompaient. La discussion se jouait quand les hommes parlaient, parce qu’ils se témoignaient inconsciemment plus de respect entre eux.

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« Nous écoutons et admirons généralement la personne qui est la plus sûre d’elle, qui n’hésite pas à prendre la parole, à se lancer dans de longs discours au lieu de faire de brèves remarques… ce qui n’a rien à voir avec une réelle capacité à diriger » - Gill Whitty Collins

Pourtant, selon les chiffres, les femmes ont souvent de meilleurs résultats dans leurs études et sont de très bonnes responsables lorsqu’elles arrivent à des postes de direction… Pourquoi sont-elles donc encore jugées moins compétentes ?

En matière de compétence ou d’intelligence, il n’y a pas de différence entre les femmes et les hommes. La moitié des étudiants universitaires dans le monde sont des femmes, 55% en Europe. Toutes les recherches montrent que les femmes ont des résultats au moins équivalents aux hommes en matière de leadership. Et, même, les entreprises figurant dans le classement Fortune (un classement annuel des 500 plus grosses entreprises américaines, ndlr) dirigées par des femmes ont des résultats supérieurs… Simplement, il existe un décalage entre compétences et confiance en soi. Nous avons tous en tête l’image du leader idéal, qui ressemblerait à la façon dont il s’exprime (avec assurance, charisme et un langage corporel démonstratif). Nous écoutons et admirons généralement la personne qui est la plus sûre d’elle, qui n’hésite pas à prendre la parole, à se lancer dans de longs discours au lieu de faire de brèves remarques… ce qui n’a rien à voir avec une réelle capacité à diriger. Et de nombreuses études confirment que les hommes ont davantage confiance en eux dans cette culture masculine dominante. Ils s’y sentent naturellement plus à l’aise que les femmes et peuvent donc mieux réussir.

En quoi cette culture masculine dominante porte-t-elle préjudice aux intérêts des entreprises ?

Les hommes occupent aujourd’hui 90% du leadership mondial. Or, les femmes représentent 50% de l’intelligence mondiale. Si les entreprises n’en profitent pas, elles se privent de la moitié des talents disponibles sur la planète. De nombreuses études confirment l’influence positive des équipes mixtes sur les résultats d’une entreprise. McKinsey a par exemple démontré que réduire l’écart entre les femmes et les hommes dans le milieu professionnel favoriserait une croissance de 2,1 milliards de dollars aux Etats-Unis (+ 1% de croissance du PIB/an). Les entreprises respectueuses de la diversité de genres génèrent, selon eux, 21% de profits supplémentaires. La présence des femmes dans une entreprise est essentielle car elles apportent des idées et des connaissances qui peuvent échapper aux hommes. Lorsqu’un groupe intègre plus de femmes, son intelligence collective augmente, le processus de pensée collective s’élargit. Une équipe avec un équilibre entre les femmes et les hommes sera supérieure à une équipe exclusivement masculine. Comme le dit Emmanuelle Quiles, présidente-directrice générale de Janssen France : “Quand on exclut une population, on exclut une partie de notre capacité à créer de la valeur”. Toutes les entreprises devraient rechercher la diversité de pensée.

En quoi le “mythe de la méritocratie” défavorise-t-il l’évolution de carrière des femmes ?

Dans ma carrière, toutes les femmes que j’ai croisées croyaient à ce mythe de la méritocratie. Les femmes pensent que si elles font du bon travail, si elles obtiennent de bons résultats, le reste suivra. Alors que quand je parle de la méritocratie aux hommes, ils éclatent de rire. Ils sont en général plus avisés que les femmes sur le sujet, parce qu’ils savent que la plupart du temps, on ne les observe pas à longueur de temps. Ce qu’ils ont compris, c’est que leur promotion personnelle et la gestion de leur image étaient tout aussi indispensables que leur travail effectif pour réussir !
C’est pour ça que j’explique aux femmes la théorie du parapluie. C’est-à-dire la nécessité de s’imaginer en train de travailler sous des parapluies, nos supérieurs au-dessus, et qui ne voient que la partie supérieure de notre parapluie. On comprend alors que pour que notre travail soit valorisé et apprécié, il faut absolument inviter son manager ou directeur à passer en dessous du parapluie pour voir réellement ce que nous faisons. En fait, il faut faire plus que du bon travail, il faut faire du travail visible et être soi-même visible.

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Pourquoi le réseautage, que vous qualifiez de « monnaie d’échange relationnelle », profite-t-il davantage aux hommes qu’aux femmes ?

Le réseautage profite à tout le monde, mais les hommes comprennent généralement mieux que créer des liens avec leurs supérieurs est essentiel. Car en tant qu’être humain, nous sommes naturellement enclins à nous tourner vers les personnes que nous connaissons. Donc si nous recrutons, faisons du business, nous allons aller vers ces personnes ! En contraste, la plupart des femmes trouvent le réseautage insupportable, même s’il y a des exceptions. Elles se concentrent sur la productivité et ne développent pas assez leur monnaie d’échange relationnelle, qui représente pourtant une force invisible indispensable pour obtenir un parrainage ou un soutien afin de décrocher un poste clé. Encore une fois, travailler ne suffit pas, il faut être connu et avoir l’appui de quelqu’un.

Vous avancez qu’environ 7% des postes de direction sont occupés par des femmes. Qui sont ces (rares) femmes qui triomphent au travail ?

Ce sont des femmes qui ont justement pris conscience de ces codes invisibles et ces biais inconscients qui favorisent les hommes dans le milieu professionnel. Elles savent qu’elles sont capables, elles ont confiance en elles, elles sont absolument sûres d’être compétentes. Si leur travail n’est ni vu ni apprécié, elles ont tellement confiance en elles qu’elles savent que le problème vient de la culture de l’entreprise, pas de leur talent et sont capables de quitter l’entreprise pour ça. De même, je n’ai jamais vu une de ces femmes endosser la responsabilité de toutes les tâches du foyer : soit elles ne sont pas mariées, soit elles ont choisi de ne pas avoir d’enfants, soit elles ont un partenaire qui a arrêté de travailler pour s’en occuper, soit elles ont embauché des gens pour les aider. C’est très important de le préciser car on sait que les femmes font traditionnellement plus à la maison que les hommes. Or elles doivent comprendre que ce n’est pas possible de tout concilier. Elles ne veulent pas toutes être directrice générale, mais si elles le souhaitent, elles ne doivent pas penser qu’elles peuvent en parallèle « travailler » à la maison. En tout cas, je n’ai jamais vu une directrice générale le faire…

Article édité par Clémence Lesacq ; photos : Thomas Decamps pour WTTJ

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