Entreprise en difficulté financière : comment rassurer ses équipes sans leur mentir ?

21 nov. 2023

5min

Entreprise en difficulté financière : comment rassurer ses équipes sans leur mentir ?
auteur.e
Ingrid de Chevigny

Freelance Content Writer & Content Strategist pour start-ups B2B

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Quand le business n’est pas au beau fixe, la communication avec les salariés devient vitale. Il faut savoir adopter la bonne posture pour informer, rassurer et (re)mobiliser ses équipes. Voici les bonnes pratiques à adopter, et les erreurs à éviter.

Comme le dit le dicton, « c’est dans la tempête qu’on reconnaît les bons capitaines ». Et cela s’applique à merveille au monde du travail : les leaders et managers de talent se révèlent en effet souvent lorsque l’entreprise traverse des périodes difficiles, notamment sur le plan financier. Alors en tant que dirigeant ou manager, quelle posture adopter vis-à-vis de ses collaborateurs, quand on sait que l’avenir de l’entreprise est menacé ? Faut-il être transparent, au risque de susciter l’inquiétude ? Et surtout, comment motiver ses équipes dans un contexte incertain ? Décryptage.

Prendre la mesure de la situation et se mettre en ordre de bataille

Benoît Durand-Tisnes est président de Wayden, un des leaders français du management de transition, et il dirige également France Transition, la fédération des acteurs du métier éponyme. Il a participé à l’accompagnement de nombreuses grandes entreprises en situation de redressement, et pour lui, la première clé du succès est de faire preuve de clairvoyance. Il faut voir les choses en face et éviter à tout prix d’être dans le déni. Il évoque la courbe de deuil, un modèle classique en conduite du changement, qui illustre les étapes émotionnelles de la transition : « Avant même de communiquer auprès de ses salariés, le management doit lui-même avoir passé toutes les étapes de sa courbe de deuil, de la négation à la remobilisation, en passant par les éventuelles phases de peur, de colère ou de tristesse ».

Alexis Eve connaît quant à lui très bien les enjeux des start-ups en difficulté financière. Psychologue de formation, il est le fondateur et dirigeant de Yaniro, un collectif de coachs accompagnant les dirigeants et managers de start-ups, notamment en situation de crise de croissance. Son premier conseil est d’officialiser le « temps de guerre ». Il s’agit, pour les fondateurs ou bien pour le CEO, de s’adresser à l’ensemble des collaborateurs pour leur partager la réalité des défis financiers auxquels l’entreprise fait face.

Que dire concrètement ? Le message peut se baser sur la structure suivante, relativement classique en communication de crise :

  1. Expliquer que la situation est grave, et qu’il n’y a pas de solution simple ou immédiate, d’où la nécessité de prendre des mesures drastiques.
  2. Mettre en avant les actions qui ont d’ores et déjà été prises pour remédier à la situation, et donner les grandes lignes de la stratégie de redressement.
  3. Préciser que tous les détails seront transmis par les managers de départements et les chefs d’équipe.
  4. Donner un horizon temporel, en fixant une nouvelle réunion pour refaire le point sur la situation, dans les prochaines semaines ou les prochains mois.

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Difficultés financières de l’entreprise : résoudre l’équation délicate de la transparence

En cas de difficultés financières, on peut légitimement se demander s’il faut tout dire à ses collaborateurs, ou au contraire leur dissimuler une partie de la réalité pour les « protéger ». Pour Benoît Durand-Tisnes, le discours doit être adapté en fonction du public, mais la transparence est absolument fondamentale : « Il n’y a rien de pire que de prendre ses collaborateurs pour des idiots en leur cachant la réalité », souligne-t-il.

Alexis Eve le rejoint sur ce point et souligne le fait que personne ou presque n’aime l’ambiguïté et l’incertitude. Pour éviter de semer la panique ou de faire naître des rumeurs, il faut donc donner un certain sentiment de contrôle à ses collaborateurs, en leur partageant un maximum d’informations. Pour cela, il conseille aux dirigeants et managers de miser sur une réunion sous format FAQ, ou « Ask me anything » : « Prévoyez de parler pendant un tiers du temps, et de répondre à toutes les questions pendant les deux tiers restants », suggère-t-il, tout en précisant : « Assumez de ne pas avoir réponse à tout, mais engagez-vous à revenir vers vos collaborateurs avec des informations additionnelles dès que possible ».

La seule situation dans laquelle il faut, selon lui, garder certaines informations confidentielles, c’est lorsqu’elles peuvent altérer la clarté du message et susciter des problèmes de compréhension de la part des salariés. Pas besoin, par exemple, de partager des indicateurs financiers détaillés à des collaborateurs qui n’ont pas les compétences nécessaires pour les interpréter.

Faire front commun pour remonter la pente

Une entreprise qui connaît des difficultés financières a plus que jamais besoin de collaborateurs motivés et engagés. Sauf que manager des équipes dans un climat morose est loin d’être une tâche facile. Alors comment s’y prendre ? Faut-il faire évoluer sa posture de manager en laissant de côté le fameux modèle du « manager coach » et adopter un style plus directif ?

Pour Alexis Eve, il faut savoir mélanger les deux approches, en donnant des instructions fermes, tout en se mettant plus que jamais au service de son équipe. « Vous pouvez dire : on va devoir travailler très dur pendant les 3 prochains mois, dites-moi de quoi vous avez besoin pour pouvoir remplir les objectifs qu’on se fixe », indique-t-il. Il faut en tout cas, plus que jamais, faire preuve de courage managérial et adresser les problèmes de front.

Benoît Durand-Tisnes conseille quant à lui aux managers de prendre le temps de voir tout le monde de manière individuelle, pour identifier les craintes et les réticences de chacun, tout en évaluant les forces sur lesquelles capitaliser en cette période de crise. Il insiste par ailleurs sur la puissance du présentiel : « La perception qu’on a d’une personne ou d’un groupe en visioconférence n’est absolument pas la même que lors d’un échange physique. Quand on est en face-à-face, on ressent beaucoup plus les choses et on capte des signaux qu’on ne verrait pas à distance, et qui sont pourtant cruciaux en période critique », explique-t-il.

Limiter le pessimisme et préserver la santé mentale des équipes

En période de difficultés financières, nombreuses sont les entreprises qui se voient obligées de se séparer d’une partie de leurs effectifs. Et cela instaure bien souvent un climat anxiogène. Mais selon Alexis Eve, il faut toutefois apprendre à relativiser la peur du chômage. « Tout dépend du contexte : une usine qui ferme et laisse sur le carreau des ouvriers âgés et peu qualifiés, c’est évidemment un drame. Mais des salariés de start-ups qui se font licencier, c’est souvent moins dramatique que cela peut paraître », affirme-t-il. « Dans la French Tech, l’employabilité des profils moyens est énorme, et retrouver du travail est relativement facile », pointe-t-il.

Attention toutefois : « Ce n’est évidemment pas quelque chose qu’un manager peut dire à son équipe ! », alerte Alexis Eve. « Un licenciement peut être une expérience traumatisante pour n’importe qui, et il ne faut pas minimiser cette peur », précise-t-il. Mais il peut être intéressant de faire intervenir des tiers, comme des experts de l’outplacement, pour rassurer les équipes sur leurs perspectives d’avenir en cas de licenciement. Il peut aussi être utile d’informer les salariés sur leur indemnisation en cas de perte d’emploi, et les aides disponibles pour entreprendre ou se lancer en freelance, qui sont d’incroyables filets de sécurité pour rebondir sereinement.

Le risque, pour une entreprise en difficulté, est aussi de voir ses meilleurs talents quitter spontanément le navire. « Il faut veiller à préserver la fierté et le sentiment d’appartenance de ses salariés », fait en effet remarquer Benoît Durand-Tisnes. Pour cela, Alexis Eve conseille d’éviter les politiques d’austérité. « Mieux vaut se séparer d’une partie parfois conséquente des effectifs, mais garder suffisamment de ressources pour garantir la satisfaction des personnes qui vont rester », défend-il. Cela peut paraître contre-intuitif, mais les séminaires, les team buildings et les initiatives en matière de bien-être des salariés ont toute leur place dans les entreprises, même en difficulté financière !


Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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