Entrepreneurs : le doute est-il permis ?

29 nov. 2021

6min

Entrepreneurs : le doute est-il permis ?
auteur.e
Mylène Bertaux

Journaliste

Monter une boîte, c’est ne douter de rien ? Non, et loin de là. Au contraire, c’est douter parfois beaucoup, parfois tout le temps. La question n’est donc pas de savoir si oui ou non il faut douter, mais plutôt où, quand, comment et avec qui. 4 entrepreneur·es passent à la casserole.

La figure du startupeur archi successful pour qui tout-roule-Raoul, c’est fini ? Alors que certain·es ont un melon plus gros qu’une pastèque espagnole (car ce sont les plus grosses du monde, sachez-le) et ne doutent de rien – coucou Elon 🚀 – un autre type de patrons pointe le bout de son nez. Étonnamment honnêtes et transparent·es, ces néo boss n’hésitent pas à partager leurs problèmes et leurs doutes. Un pari risqué ? Pas forcément. Car le public s’identifie à ce discours – « Oui Gérard, moi aussi je doute parfois dans la vie ». Internet a vu fleurir ces témoignages, tout droit inspirés des « Fuck Up Night » et autre « Fail Camp » nés dans la Silicon Valley où, à la manière d’une conférence TEDx, des entrepreneur·es montent sur scène pour confier leurs pires galères. Dans l’Hexagone, « La Leçon », « le podcast sur l’art d’échouer » de Pauline Grisoni s’inscrit dans cette culture de l’échec assumé, donnant la parole à des artistes (Baptiste Lecaplain, Panayotis Pascot), entrepreneur·es (Justine Hutteau, co-fondatrice de la marque de soins éco responsables Respire) ou influenceur·ses (Mamouz, Fabien Olicard). Ils / elles y égrènent leurs gadins, leurs échecs ou leurs pires hontes. Au risque de frôler la complaisance ? Oui et non. S’il a bien fallu surmonter les fails pour percer, ces nouveaux témoignages intègrent l’échec à la réussite. Mieux, ils / elles expliquent comment le doute sert de leçon, de boussole parfois et même d’outil de sélection dans l’entourage pro. Ma petite entreprise ne connaît pas la crise ? Si, souvent, mais ce n’est pas grave.

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Flint : le doute pour innover… et dédramatiser

« Dans une boîte, on ne communique que sur ses succès », constate Benoît Raphaël au sujet de la “Startup Nation”. On pourrait néanmoins dire que la démarche de cet amoureux des médias relève de l’exact opposé. Le “papa” de Flint, un service de newsletter d’actu basé sur l’intelligence artificielle, a fondé son entreprise sur le doute. D’abord sur le doute des citoyen·nes envers la véracité des informations qu’ils / elles reçoivent. Les résultats d’une étude de l’Ifop pour Flint révèlent en effet que 55% des Français·es sont méfiant·es à l’égard de la presse. Et cette « news fatigue » a mené Benoît Raphaël, depuis le début de l’aventure Flint en 2013, à jouer « l’exercice de transparence absolue » envers le public et ses abonné·es. Au point de détailler très précisément dans un billet de blog ses doutes (et son angoisse) de voir sa boîte fermer ses portes. « Les entrepreneurs ne le font jamais parce que ce n’est pas très glorieux », explique-t-il. Un énième discours de développement personnel à la sauce Startup Nation ? Non. « Le stress est une donnée permanente dans la vie d’un entrepreneur. Mais il faut dédramatiser, soit pour “bien finir” un projet entrepreneurial, soit pour prendre des mesures et rectifier le tir. » Un peu de réalité dans ce monde de bruts.

Euveka : « Au fur et à mesure, on doute mieux »

« Je doute tout le temps. Mais j’essaye de combattre cette habitude parce que la nuit c’est ennuyeux. » C’est pourtant l’image inverse que renvoie Anne-Laure Bergenthal, fondatrice de la start-up Euveka, un robot connecté qui s’adapte à toutes les morphologies, primé au CES (Consumer Electronics Show) de Las Vegas, la grand-messe de la tech, en 2018. Il faut dire que la carrière de l’entrepreneuse semble se passer sans accroc, malgré des choix culottés. Étudiante, elle mène de front études de droit et d’histoire de l’art. Brillante, elle atterrit à Harvard. Mais à la faveur d’une balade sur les grands boulevards parisiens, elle a une révélation : les mannequins des vitrines ne sont plus adaptés à la mode d’aujourd’hui. Eurêka ! Elle monte son entreprise pour résoudre cette problématique. Good bye Harvard, bonjour le BTS stylisme. Et zou, à 28 ans, elle crée sa boîte de mannequins intelligents capables de passer du 36 au 46 en une fraction de seconde.

Après avoir levé 1 million en 2015, puis 3 de plus l’année suivante, tout semble rouler. Et là… patatras ! Euveka ne peut pas honorer son carnet de commandes paradoxalement plein à craquer, faute de moyens. Gros coup de stress pour la fondatrice, soudain assaillie de doutes. « Beaucoup ont quitté le bateau à cette époque. » L’entrepreneure remet en cause son management, accueille de nouveaux talents et met en place une stratégie d’engagement et de fermeté pour animer ces profils issus de la mode et de l’ingénierie. Un mal pour un bien ? « Avec le temps, on doute mieux. On peut se reposer sur celles et ceux qui ont été de bon conseil durant la période mouvementée. J’ai appris le doute utile. C’est ça la clé. » Et la nuit ? « Le doute, on lui dit “ta gueule”. Mieux vaut dormir, c’est plus efficace. »

Growth.Talent : « Avant de générer des revenus, tu génères des doutes »

Jérémy Goillot est un mec rationnel. Après des études dans une école de commerce, il rejoint rapidement Spendesk, une entreprise de fintech spécialisée dans la note de frais. Il commence comme premier stagiaire avant de devenir quatrième associé. Il endosse le costume de responsable du « growth hacking » et utilise plein de mots américains : il adapte le « product » sur le « market » pour développer des « sales » partout dans le monde. Autrement dit, il couple techniques de marketing et d’analyse de données à une sacrée bonne dose d’esprit pour faire décoller les ventes de sa boîte. Il cartonne et s’envole pour les US. Il y développe la branche américaine de Spendesk en Californie. La classe à Dallas (enfin à San Francisco). Sauf qu’après 5 ans passés dans la boîte, Jérémy doute. « Je n’avais plus l’impression d’être à la bonne place. J’étais responsable du développement outre-Atlantique, mais ce n’était pas moi le boss. Je n’avais pas le dernier mot. » Car il a beau être associé, il n’est pas le big boss : le pouvoir décisionnel appartient à sa direction. Alors, 1735 jours plus tard, il annonce qu’il quitte « son job en or et son salaire de ministre »… pour monter sa boîte. Il en fait même une vidéo.

Avant de se lancer, Jérémy prend longuement le temps de soupeser ses doutes. Il en parle à ses boss. « Ils ont monté une boîte et eu le goût du risque, donc ils ont compris. Et puis ça montre une forte personnalité ce genre de décision. » Face à son départ, sa famille et ses amis sont, eux, dubitatifs. « Très peu de personnes m’ont compris au début. Ce sont les mêmes qui te disent à la fin : “J’ai toujours cru en toi”… » C’était sacrément audacieux, mais le pari est réussi. Jérémie vit aujourd’hui entre Paris et Medellín en Colombie, et a lancé sa structure spécialisée dans le recrutement de growth hackers. Depuis qu’il génère des revenus, il ne génère plus de doutes. De quoi être gonflé à bloc pour lancer de nouveaux projets à l’international dans les mois qui viennent.

Eat Your Box : « C’est quand tu n’en peux plus qu’il n’y a plus de doute »

« En vrai, je ne doute pas trop. » Pénélope Boeuf est une fonceuse. Du genre à dire « va te faire f… » et à claquer la porte d’une radio populaire où elle animait une matinale parce que son co-animateur « lui mettait la main devant la bouche pour l’empêcher de parler ». « À un moment, il faut savoir dire stoooop. » Bim bam boum, elle lance Eat Your Box, qui cartonne. Elle revend l’entreprise quelques années plus tard. « Et là, j’ai été au fond du trou pendant 7 mois. Parce qu’après avoir partagé la somme avec mon associé, payé les impôts, les charges, etc., il me restait peu. » Bref, après plusieurs années à avoir « bossé comme une maboule », c’est le néant. La jeune femme se questionne. « Qu’est-ce que je peux faire ? » Elle est approchée par de grandes marques. Elle collabore avec elles, « parce que ça fait bien sur un CV ». Mais l’ex entrepreneure se sent en décalage.

« À un moment, je me suis dit, ça suffit les conneries. Je vais avoir 35 ans : en avant Guingamp ! » Elle fonde La Toile sur Écoute, d’abord pensé comme un studio de création. Et puis l’ancienne de la radio sort son podcast « Le journal de Pénouche ». Son univers et son humour séduisent. Très vite, c’est le succès. Elle convainc médias et annonceurs. « En fait, il n’y a plus de doute quand le choix s’impose de lui-même. » Aujourd’hui, elle raccroche les wagons et produit des podcasts pour des marques, tout en continuant de développer son univers créatif. « L’entrepreneuriat impose un quotidien en dents de scie. C’est à la fois épuisant, mais excitant et jouissif. Et je préfère vivre le doute, que de ne pas vivre ces moments géniaux du tout. » La jeune femme hésite en ce moment à garder une entreprise à taille humaine versus viser la croissance. Vers où la mènera le doute ?

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Article édité par Ariane Picoche

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