Pourvu mais toujours en ligne : ce qu’un emploi fantôme révèle de votre entreprise

09 nov. 2023

4min

Pourvu mais toujours en ligne : ce qu’un emploi fantôme révèle de votre entreprise
auteur.e
Laetitia VitaudExpert du Lab

Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes

De plus en plus répandue en réponse à la Grande démission, la pratique des ghost jobs interroge pourtant : pourquoi laisser vivoter une offre d’emploi qui n’est plus disponible ? Notre experte du Lab Laetitia Vitaud revient sur les raisons de cette tendance, comme les motifs qui, selon elle, méritent de la laisser de côté.

On connaît les emplois fictifs, cette pratique qui consiste pour des individus à percevoir une rémunération pour un travail qu’ils n’exercent pas en réalité. On sait moins, en revanche, ce que sont les emplois fantôme ou ghost jobs. Rien à voir ici avec Halloween. Un emploi fantôme est une offre d’emploi pour un poste qui n’existe pas (ou plus) ou qui a déjà été pourvu, mais qui continue pourtant à apparaître sur les plateformes et les réseaux sociaux.

Du point de vue des candidats, il s’agit souvent d’offres pour un job de rêve, dont ils découvrent qu’elles sont en ligne depuis des mois voire des années, les laissant dans l’incertitude quant au fait de savoir si ces postes ont été pourvus ou pas. Une enquête américaine, menée en 2022 par Clarify Capital, a mis en lumière ce problème outre-Atlantique. Après avoir interrogé plus d’un millier de recruteurs, le constat est clair : 68 % des entreprises laissent des annonces d’emploi en ligne pendant plus de 30 jours et 10 % pendant plus de six mois. Souvent, ces annonces correspondent à des postes qui ne sont plus à pourvoir.

Difficile de trouver des chiffres concernant le marché français, mais il semblerait que la pratique ne se limite pas à l’Outre Atlantique. Comment expliquer cet usage répandu des ghost jobs sur les sites d’emploi ? Et pourquoi fait-il plus de mal que de bien aux entreprises ? Explication.

5 raisons qui motivent encore la pratique des ghost jobs

1# Un phénomène pas toujours intentionnel

Avant la théorie du complot, la première explication est bien souvent l’erreur humaine ou la paresse. Les départements des ressources humaines oublient parfois de supprimer une annonce, une fois le poste pourvu. De plus, il arrive que cette dernière soit publiée en double ou triple, même si elle concerne la recherche d’un seul candidat.

2# La collecte de CV au cas où

Pour alimenter en continu leur vivier de candidats, certaines entreprises sont prêtes à laisser une ou deux annonces « traîner », l’air de rien. Ainsi, elles peuvent les contacter rapidement quand un poste est disponible, surtout s’il est à fort turnover. Une manière de suivre l’adage « Always be recruiting » que répètent les influenceurs RH. D’après l’enquête de Clarify Capital, 43 % des recruteurs disent vouloir disposer d’un vivier actif de candidats, au cas où quelqu’un démissionnerait. Une attitude d’autant plus en vogue depuis l’incertitude liée à la pandémie (et la Grande démission qui s’en est suivie), selon une étude de la Harvard Business School.

3# Le désir d’être vu

L’entreprise peut vouloir accroître la visibilité de sa marque employeur sur les plateformes d’emploi. Quand une structure paie un forfait pour poster une ou plusieurs annonces sur un tel dispositif, il peut être tenté de se dire qu’il n’y a pas de raison de l’enlever, même si le poste est pourvu. La page correspondant à l’offre en question donne ainsi de la visibilité à l’organisation, à peu de frais.

4# L’étude de datas

Une structure peut chercher à collecter des données sur son secteur d’activité, et plus particulièrement sur les chercheurs d’emploi dans ledit secteur. Cela peut également permettre d’obtenir des informations sur les salaires proposés par la concurrence. Le nombre de postulants et les prétentions salariales qu’ils partagent sont autant d’informations sur la vigueur du marché. Pire, la pratique des ghost jobs peut être utilisée pour saboter le recrutement d’entreprises concurrentes. Et ce, en faisant croire aux candidats pendant plusieurs semaines ou mois qu’ils ont davantage d’options que ce n’est réellement le cas.

5# La tromperie

En publiant des ghost jobs, une organisation peut vouloir créer l’illusion de sa propre croissance pour motiver les troupes, ou, pire, les utiliser pour faire croire de manière mensongère aux salariés que du renfort arrive quand ils se plaignent d’une charge de travail trop conséquente. 43 % des répondants de l’enquête Clarify Capital ont admis maintenir des annonces en ligne pour leur donner l’impression que leur entreprise est en forte croissance, et ainsi motiver leurs salariés. 34 % avouent même les utiliser pour « calmer les salariés en sous-effectif ».

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Une pratique courante, et pourtant nuisible

À l’ère des fake news et de l’infobésité généralisée, ne devrait-on pas mettre un point d’honneur en tant qu’employeur à entretenir une communication saine et sincère avec les candidats ? Au mieux, une annonce fantôme représente une perte de temps pour le candidat, déjà noyé sous un flot croissant d’informations dans sa boîte mail et sur ses réseaux sociaux. On aimerait tous et toutes pouvoir éliminer les informations redondantes ou non pertinentes pour aller à l’essentiel, surtout dans une recherche d’emploi qui s’accompagne de son lot d’anxiété. Le cimetière d’offres d’emploi en ligne représente un gigantesque gaspillage de temps et une inefficacité pour l’ensemble du système.

Même quand le ghost job n’est pas intentionnel, il signale au candidat un manque d’attention, de rigueur et de soin qui ne présage rien de bon. Si l’employeur n’est pas fichu de mettre à jour ses offres d’emploi, qu’est-ce que cela dit du parcours candidat et de la gestion des ressources humaines à venir ? Au pire, les ghost jobs sont des mensonges éhontés qui finissent par saboter complètement la confiance. Plus ce type d’offres est important, plus les candidats auront tendance à appréhender toutes les offres d’emploi avec suspicion : « ce job n’est-il pas trop beau pour être vrai ? Est-ce une arnaque ? » Et que dire de la confiance des salariés que l’on cherche à tromper sur la santé de leur entreprise ?

Le ghosting amoureux détruit la confiance que l’on peut avoir dans la possibilité d’une relation stable. Quand on en est victime, on se sent abandonné·e, rejeté·e et incertain·e. Cela laisse généralement des cicatrices émotionnelles durables, qui engendrent un sentiment de méfiance quant aux relations futures. Au travail, c’est pareil : le ghosting laisse aussi des traces délétères ! Les candidats que l’on a vus en entretien, à qui on a promis monts et merveilles, pour ensuite ne plus leur donner de nouvelles (ou finalement leur dire qu’on n’a pas le budget pour le poste) traînent durablement de la méfiance vis-à-vis des recruteurs.

Aux ghost jobs, mieux vaut préférer le candidate care. Comme l’écrit Laure Girardot, la question à se poser est : « Comment créer un environnement où les candidats se sentent valorisés et respectés, même s’ils ne sont pas sélectionnés pour le poste ? » Y répondre « implique du respect, de l’empathie et de la transparence de la part de l’employeur ».

Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.

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