Résilience : tout changer du jour au lendemain ? Trois dirigeants témoignent

19 janv. 2021

6min

Résilience : tout changer du jour au lendemain ? Trois dirigeants témoignent
auteur.e
Guirec Gombert

Journaliste et Rédacteur de contenus indépendant

Quelle stratégie adopter quand tout est à l’arrêt ? Cette question hante toujours de nombreux chef·fes d’entreprise à la recherche de solutions pour leur activité. S’il n’existe pas de recettes miracles, certain·e·s entrepreneur·e·s réussissent à faire évoluer leur business model et à entraîner leurs équipes dans ces changements nécessaires. En un mot, elles font preuve de résilience. Un concept sur toutes les bouches depuis quelques mois, mais dont on peine à savoir s’il se concrétise efficacement au quotidien. Rencontre avec trois dirigeants qui en ont fait la preuve ces derniers mois.

Être une entreprise résiliente ou ne pas être ?

Force morale d’une personne qui ne se laisse pas abattre, processus qui permet de rebondir après un traumatisme ou encore capacité à se développer en dépit de l’adversité… Le terme “résilience” a rarement revêtu autant de significations que ces derniers mois. Et il n’est plus « réservé au domaine de la psychologie : la notion de résilience s’applique désormais aux organisations, avec toujours cette idée de reprendre pied », souligne Thierry Nadisic, docteur en management et professeur associé à emlyon business school. On pense à tous les indépendants qui ont développé des solutions de clic & collect, aux entreprises qui, en quelques jours, ont mis l’ensemble de leurs salarié·e·s en télétravail, et à toutes les structures qui ont déjà su, par le passé, adapter leur business à un monde en évolution. « Le contre-exemple classique, c’est Kodak qui ne croyait pas au développement du numérique. » À son apogée, la firme américaine employait plus de 100 000 personnes à travers le monde mais, ne sachant prendre la voie du numérique, elle sera déclarée en quasi-faillite en 2012… « Parler d’entreprises résilientes, c’est analyser comment elles font d’une crise une opportunité de croissance », poursuit le professeur.

Selon lui, trois composantes sont indispensables pour être une entreprise résiliente :

  • Une stratégie claire pour son entreprise : « Les dirigeant·e·s qui se demandent ‘’Pourquoi on fait les choses ?’’ plutôt que ‘’Comment on fait les choses ?’’, sont davantage capables de résilience. Ils sont moins rigides et savent mieux repenser leur business. »
  • L’empowerment, autrement dit la responsabilisation de ses équipes : « Les entreprises fortement hiérarchisées ont plus de difficultés à changer en temps de crise. Elles peinent à créer un climat de confiance et à donner envie aux employé·e·s de prendre des initiatives. Ce n’est pourtant pas réservé aux start-ups, tout est question d’organisation des équipes. »
  • La qualité du management : « On parle beaucoup d’empathie en ce moment, et ce n’est pas qu’un concept fumeux. Le télétravail forcé a prouvé l’importance d’un management bienveillant, respectueux des employé·e·s. Plus que jamais, il est nécessaire de prendre soin d’eux et de développer un management résolument optimiste. »

Alors, comment mettre en place ces « trois temps de la résilience » ? Comment les entreprises se sont-elles adaptées à la crise sanitaire ? Qu’ont-elles appris, elles et leurs équipes, durant ces derniers mois ? De quelles facultés d’adaptation ont-elles dû faire preuve pour s’adapter aux changements ? Trois entreprises ont accepté de partager leurs expériences.

Quand la résilience s’avère payante face au Covid

Oxymax, 125 salarié·e·s, a été fondée en 2001 à Sizun dans le Finistère. Spécialisée dans la découpe métallique à destination des professionnels, l’entreprise Oxymax a subi une chute d’activités importante lors du premier confinement. Afin de limiter les pertes, elle a décidé de lancer la production d’un crochet à destination du grand public, permettant d’ouvrir des poignées ou d’allumer et d’éteindre des interrupteurs sans les toucher. Un objet déjà commercialisé en Chine peu de temps après la pandémie. « Normalement nous ne fabriquons pas de produits sous notre nom puisque nous fournissons des pièces pour des entreprises. Mais quand on a vu ce crochet, nous nous sommes dit qu’il y avait une opportunité de business à prendre. C’était en lien avec notre savoir-faire, la découpe de matériaux, et il nous était possible d’en produire un plus ergonomique et moins cher », raconte Hervé le Gall, gérant d’Oxymax. Pendant plusieurs jours de la mi-avril, six personnes des équipes design et production ont réfléchi au développement de cet objet. « Très vite, tout le monde a adhéré au projet. Certains voulaient ajouter une fonction supplémentaire et, en moins d’une semaine, nous avions sorti sept prototypes, dont le modèle aujourd’hui commercialisé, celui avec le décapsuleur ! » Pour les équipes, c’était une façon de se remettre en jambe, d’oublier le contexte anxiogène et de constater la capacité de l’entreprise à faire face. Au plus fort de la crise, Oxymax a vendu quelque 20 000 crochets. « Aujourd’hui nous en vendons bien moins mais sans cette expérience, nous n’aurions probablement jamais réfléchi à fabriquer un produit de notre marque et à le commercialiser auprès d’une cible BtoC. Cela a été riche en enseignements : nous avons appris à designer une pièce, à la vendre et à la livrer à des particuliers. Il a fallu refaire notre site Internet et mettre en place le paiement sécurisé en ligne. » L’entreprise est-elle plus forte aujourd’hui ? « Disons que nous avons moins peur de l’inconnu. Actuellement, les équipes réalisent une étude de marché pour voir quels autres produits nous pourrions fabriquer pour le marché des particuliers. Tout le monde a fait preuve de motivation lors du premier confinement et il y a toujours cette volonté d’aller de l’avant », admet le chef d’entreprise.

Tarmac Technologies, quatre salarié·e·s, a été créée en 2019 à Paris. Depuis 2019, la startup Tarmac Technologies développe une application visant à améliorer la fluidité aéroportuaire en aidant les compagnies aériennes à réduire la durée de la “touchée” entre deux vols. « Nous sommes passés d’un contexte très porteur à la fermeture brutale des aéroports. La première semaine du confinement a été terrible à vivre », se remémore Anthoine Dusselier, l’un des trois cofondateurs de l’entreprise. Un coup dur pour cette start-up qui est alors parmi les plus prometteuses de l’incubateur Station F. D’autant que la levée de fonds qui devait se boucler quelques jours après le premier confinement n’a pas eu lieu. Pour les investisseurs, Tarmac Technologies propose une solution intéressante mais elle doit maintenant s’adapter au « monde d’après ». « Nous avions deux options : enrager et rester dans un cercle négatif en pensant à “l’avant” ou accepter qu’il n’y aura pas de retour en arrière possible et réagir…Une fois la décision prise de continuer, notre réflexion c’était : “comment limiter nos pertes et, à plus long terme, quel business model développer ?” » L’entreprise voit une opportunité se profiler sur un marché qui lui était encore inconnu, celui des cargos. « Ces vols ont connu une forte croissance durant le confinement, pour le transport de matériels médicaux notamment. Alors que nous travaillions avec les compagnies sur les vols passagers, il a fallu adapter notre logiciel aux besoins de l’activité cargo. Notre mindset était de réutiliser ce qu’on savait déjà faire et de l’adapter au contexte. » Dans le même temps, l’entreprise anticipe le redémarrage des vols passagers après la crise. « Pour répondre aux attentes des compagnies aériennes, nous avons développé de nouvelles fonctionnalités en mettant l’accent sur la sécurité. » Des adaptations rapides qui tiennent au management de l’entreprise. « Dès la création de Tarmac Technologies, nous avions en tête d’être les plus flexibles possibles. Par exemple, nous n’avons jamais réalisé de road-map à deux ans pour éviter d’être coincés dans un seul schéma de développement. Notre organisation du travail n’a pas non plus pâti du confinement puisqu’une partie des salarié·e·s télétravaillait déjà. » Le contexte reste toutefois incertain. « Nous avons puisé dans notre trésorerie, mais nous sommes toujours là. » Et les trois fondateurs comptent bien le rester en finalisant leur levée de fonds au deuxième trimestre 2021…

WeWard, 10 employé·e·s, a été créée en septembre 2019 à Paris. Rémunérer ses utilisateurs pour qu’ils sortent faire du sport. Une bonne idée d’application… hors période de confinement. « Lors de la première réunion de crise, mi-mars, nous nous sommes demandés : “Ce que nous faisons a-t-il encore du sens ?” La réponse étant évidemment non, il fallait donc trouver comment continuer à récompenser les comportements vertueux de nos utilisateurs », explique le fondateur de WeWard, Yves Benchimol. Changement radical de point de vue : les utilisateurs de l’application seront désormais rémunérés s’ils restent chez eux. À la fin du premier confinement, l’entreprise a repris son business model d’origine mais elle a bénéficié de cette première dynamique pour tester encore de nouveaux produits. « Au début du confinement, on avait peur, nous étions en pleine croissance, on craignait de se prendre une claque. Mais toutes les équipes étaient motivées pour sauver l’entreprise. Elles ont développé cette nouvelle fonctionnalité en très peu de temps avec l’envie d’en découdre, comme aux premiers jours de l’entreprise. Tout le monde a participé aux prises de décision avec un résultat au-delà de nos espérances. Cela nous a donné confiance. Nous avons aussi appris à relativiser. Lors du premier confinement, nous avons voulu aller très vite. Désormais nous prenons notre temps pour développer un produit afin d’être certain de sa pertinence. » Ainsi, à l’annonce du second confinement, l’entreprise a décidé de récompenser les particuliers qui font leurs courses chez des petits commerçants ou qui marchent dans un rayon de seulement 1 km de chez eux. Résultat payant : l’entreprise compte trois fois plus d’utilisateurs qu’avant le premier confinement et elle compte bientôt se lancer en Belgique avant de gagner le reste de l’Europe. Preuve que ce qui ne tue pas rend plus fort…

Ces modèles d’entreprises sont-ils duplicables ? « Si ces trois sociétés ont réussi à s’adapter à la crise, c’est parce que leurs dirigeants ont su déléguer et motiver les équipes à s’investir dans de nouveaux projets », analyse Thierry Nadisic. Un état d’esprit qui n’est pas réservé aux petites entreprises. « Les GAFA se sont construits sur cette règle de management. Il est tout à fait possible et souhaitable de les imiter : c’est en développant une relation de confiance entre l’exécutif et les équipes que l’on fait bouger les lignes. »

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