Deuil : 4 idées pour aller plus loin que la loi dans l’accompagnement de vos salariés
18 oct. 2023
6min
Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes
La perte d’un parent ou d’un proche a beau être une expérience universelle, elle n’en demeure pas moins quasi invisible dans le monde du travail. Et ce, malgré ses conséquences importantes pour quiconque y fait face. Comment alors laisser le deuil franchir les portes de l’entreprise, en accompagnant davantage les salariés concernés ?
D’après une étude du Crédoc « Les Français face au deuil » de 2021, un actif sur deux a été confronté au deuil au travail, et un manager sur trois a eu un collaborateur en deuil dans son équipe, sans toujours savoir quoi faire pour mieux le soutenir. Pourtant, les conséquences sur le premier concerné comme sur l’entreprise ne sont pas mineures, et qui plus est en forte augmentation pour ce qui touche à l’absentéisme depuis quelques années. Autrefois, il existait des rituels (notamment vestimentaires) qui permettaient de signaler son statut de personne endeuillée. Un moindre tabou autour du sujet permettait de lui donner plus de place et d’offrir aux gens une sorte de « manuel » implicite de comportement. De là à idéaliser la délicatesse des mœurs d’hier, il n’y a qu’un pas ! Toutefois, le sujet du deuil occupait une place plus grande dans la société et au travail.
Aujourd’hui, nous souffrons de la relative absence de ces rituels. Pressés d’être constamment productifs et positifs, les personnes en deuil ressentent parfois la vacuité du travail de manière accentuée. À ne pas pouvoir en parler et vivre leur deuil correctement, elles risquent de s’absenter davantage, voire de démissionner : 39 % des salariés endeuillés ressentiraient des difficultés de maintien dans l’emploi ; 11 % quitteraient leur emploi suite à un deuil ; et en moyenne, les endeuillés prennent 34 jours d’arrêt de travail. Et pour cause, plus de la moitié des employeurs ne prévoit pas davantage que les obligations légales, souvent légères : le Code du travail n’accorde qu’un congé de trois jours en cas de décès d’un proche. Or, la faiblesse du soutien accordé aux salariés concernés fait, aussi, du mal aux entreprises. Voici quatre initiatives innovantes pour aller plus loin que la loi dans l’accompagnement de vos collaborateurs endeuillés :
Initiative n°1 : accorder un congé deuil de 3 semaines aux salariés ayant perdu un proche
Sans même prendre en compte les conséquences émotionnelles et physiques du deuil, les trois jours de congé prévu par le Code du travail sont très insuffisants pour faire face à toutes les démarches qui font suite au décès d’un proche. Une telle perte représente un choc inouï pour la personne qui le vit. Au travail, au bout de quelques jours, on n’en parle plus. Pour les salariés concernés, le message est clair et douloureux : la perte d’un être cher n’est pas censée affecter leur productivité. La violence involontaire du cadre légal a de quoi mettre en colère même les salariés les plus engagés ! Après tout, on parle aujourd’hui de créer ou d’allonger les congés pour la parentalité, les règles douloureuses ou encore les fausses couches… mais bien (trop) rarement pour le deuil. Or, trois jours, cela semble complètement disproportionné !
Ces temps-ci, quelques voix se font entendre pour prolonger ce congé à cinq jours. Au printemps 2023, par exemple, un sénateur des Républicains a déposé une proposition de loi dans ce sens, soulignant qu’il faut au moins deux jours supplémentaires pour organiser des obsèques et gérer les démarches administratives. Mais cinq jours sont-ils suffisants ? Sachant que les salariés en deuil prennent en moyenne 34 jours d’arrêt du travail suite à la perte d’un proche, peut-être serait-il judicieux de prendre cette durée en considération pour mettre en place un congé deuil d’une durée plus adéquate ?
Initiative n°2 : aménager le travail pour permettre de faire face à la réalité du deuil
Un deuil a souvent des conséquences délétères sur la santé des personnes qui le vivent. Au-delà de la tristesse, elles peuvent traverser des bouleversements hormonaux, devenir insomniaques, développer des troubles alimentaires et/ou des problèmes digestifs, avoir un système immunitaire affaibli… et ce pendant des mois (souvent une année ou plus). Il est illusoire de penser que le travail n’en est pas affecté ! Même quand la personne en deuil ne ressent pas son travail comme absurde ou dérisoire, elle peut éprouver des difficultés de concentration et devoir s’arrêter de temps à autre parce qu’elle est traversée de crises de chagrin. Certains salariés peuvent vouloir appréhender le travail comme un échappatoire et vouloir se donner à fond pour échapper à la douleur. Mais elles sont alors plus à risque de tomber en burn-out.
En somme, il est indispensable d’aménager le travail pour les personnes concernées. Il s’agit, dans un premier temps, d’alléger la charge de travail : le deuil d’un proche s’accompagne souvent d’une charge supplémentaire que l’on ne peut accomplir entièrement pendant le congé (organisation des funérailles, gestion des tâches administratives, rangement des affaires, déplacements, vidage du logement, organisation de la succession le cas échéant…). Sans compter que lorsqu’on perd un parent, le second peut devenir la personne survivante du couple, l’enfant se mue alors potentiellement en aidant. La personne en deuil peut donc avoir besoin de plus de flexibilité dans l’organisation de son travail. Pendant une durée plus ou moins longue, télétravail et horaires flexibles sont les bienvenus.
Initiative n°3 : mettre des ressources internes et externes à disposition
Le deuil est une épreuve qui peut s’accompagner de difficultés annexes plus ou moins grandes. La perte d’un conjoint, par exemple, peut plonger le survivant dans une situation financière complexe. On présente volontiers cette expérience comme quelque chose de « solitaire » et « intime », alors qu’il y a besoin d’aide, de sollicitude et d’accompagnement !
Toutes sortes de ressources utiles peuvent être mises à disposition des salariés qui y sont confrontés :
- Des brochures d’informations sur les aides existantes, dans l’entreprise et à l’extérieur ;
- Les services d’une assistante sociale pour connaître les dispositifs publics existants ;
- Un soutien psychologique ;
- La création de groupes de salariés ou de cercles de parole et d’entraide à l’intérieur de l’entreprise ;
- La mise en relation avec des relais associatifs et thérapeutiques…
Initiative n°4 : mettre plus d’empathie dans sa communication et son management
Bien qu’évident a priori, c’est souvent là que le bât blesse. Ne sachant pas comment communiquer avec une personne qui souffre, on préfère parfois faire comme si de rien n’était et ne pas aborder le sujet. Or, une personne en deuil a besoin d’être entourée. Parfois, elle voudra exprimer son vécu et être intégrée à des projets. À d’autres moments, elle préfèrera plus de solitude. Tout cela implique une formation des managers en matière de communication.
Il y a quelques années, alors qu’elle était encore numéro 2 de Facebook, Sheryl Sandberg avait publié Option B, un livre sur le deuil écrit à la suite du décès de son conjoint. Cet ouvrage m’a marqué pour ce qu’il comportait de « développement interpersonnel ». Face aux personnes affectées par une tragédie, expliquait Sandberg, on se sent souvent impuissant : on ne sait ni quoi dire, ni quoi faire. Parfois, par gêne, on cherche même à éviter ces individus. Or, quelques conseils simples et pratiques à destination des collègues et managers qui se sentent impuissants peuvent faire toute la différence !
En voici quatre, librement inspirés de ce livre :
- Poser la question « Comment vas-tu aujourd’hui ? » à la personne en deuil : Sandberg explique que la question habituelle « Comment vas-tu ? » lui était devenue presque insupportable après la mort de son mari, car elle ignore cet événement tragique. Le simple ajout du mot « aujourd’hui » reconnaît l’existence de l’épreuve et la difficulté à traverser chaque jour. Pour Sandberg, c’est ainsi que ses collègues ont su exprimer leur empathie.
- Plutôt que d’offrir à votre collègue de faire « Quoi que ce soit », faites quelque chose de précis : la question « Y a-t-il quoi que ce soit que je puisse faire pour toi ? » peut sembler a priori généreuse, mais elle n’est guère utile car elle appelle une réponse impossible. (« Peux-tu inventer une machine à voyager dans le temps ? ») Une meilleure approche consiste à faire des petites choses utiles, même si ces choses peuvent sembler insignifiantes : une aide logistique, un repas, une mise en relation utile, des informations pratiques…
- Utilisez le « nous » et faites sentir votre présence, surtout si vous connaissiez la personne disparue : l’un des aspects les plus pénibles du deuil est la sensation de devoir le traverser seul. Sentir qu’il y a des gens avec vous dans l’épreuve, c’est un soulagement énorme. L’utilisation de ce pronom permet de rappeler à la personne qu’elle n’est pas seule, qu’on l’inclut dans les projets, qu’on prend ses problèmes à cœur…
- Au bout d’un certain temps, ne vous privez pas de partager aussi vos problèmes à vous : à condition que ça ne soit pas fait de manière excessive ! Mais, il est essentiel de rétablir une forme d’équilibre dans les relations. Vos peines peuvent sembler dérisoires au regard de la mort… Mais, la vie continue et la personne en deuil peut apprécier de se sentir utile aux autres.
Bien que le deuil soit un sujet difficile à aborder en milieu professionnel, il a un impact immense sur les salariés, le bien-être et la productivité. Rares sont les individus à être formés pour y faire face. En dehors des quelques jours de congés légaux accordés en cas de décès d’un proche, il n’y a souvent pas grand-chose de plus. Or, il est essentiel de mieux accompagner le deuil. Les salariés ne peuvent pas compartimenter leurs vies personnelle et professionnelle, mais cela ne signifie pas qu’ils sont incapables ou indésirables au travail lorsqu’ils sont vulnérables ! Développer l’empathie au bureau et accepter les individus dans leur intégralité, épreuves incluses, c’est une manière de grandir pour l’entreprise aussi…
Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.
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