L'art et la manière de partir d'une réunion sans froisser l'ego de personne

14 nov. 2023

4min

L'art et la manière de partir d'une réunion sans froisser l'ego de personne
auteur.e
Marlène Moreira

Journaliste indépendante.

contributeur.e

Entre les réunions interminables et l'invasion d'e-mails, le quotidien professionnel ressemble (parfois) à un marathon de l'absurde. Alors, comment quitter une réunion sans y laisser son âme « corporate » ? Notre expert Louis Vareille, réuniologue et auteur, vous livre ses conseils pour y parvenir, sans froisser votre boss ou vos collègues.

Le rythme effréné du monde professionnel nous confronte quotidiennement à un dilemme : la gestion de notre temps, souvent dévorée par des réunions interminables et, parfois, inutiles. De fait, selon certaines études, les travailleurs consacrent en moyenne deux jours par semaine à ces activités, qui ne sont pas toujours synonymes de productivité. Face à cette réalité, de plus en plus de collaborateurs se demandent comment éviter de subir cette perte de temps et, surtout, comment s’extraire d’une réunion sans craindre de passer pour une personne impolie, voire désengagée.

Aux racines du problème, entre FOMO et manque de courage

La réunionite est un fléau qui touche bon nombre d’organisations. Ces rassemblements, à l’origine tout à fait justifiés, se sont multipliés au point d’en perdre leur sens premier : « Faire avancer des projets et progresser des personnes », comme aime à le penser l’expert Louis Vareille. Alors, pourquoi trop peu de collaborateurs osent aujourd’hui se lever et s’exprimer pour en questionner leur utilité ? Quel est ce « FOMO » (comprenez Fear Of Missing Out), cette anxiété sociale liée à la peur de manquer un événement en n’interagissant pas socialement, qui pousse à accepter des réunions sans oser dire qu’elles nous consument ?

Il est où le courage, il est où ?

« Où sont passés le courage et l’exigence ? » Voici la question qui obsède Louis Vareille depuis plusieurs années. Si l’expert propose de réfléchir aux objectifs de chaque réunion et de cesser d’envoyer des invitations automatiques, il constate pourtant que ces principes simples ne sont pas assez souvent respectés. «On est confronté à un manque endémique de courage : le courage de challenger l’existence d’une réunion, d’interroger son objectif, et même d’assumer sa propre absence », observe-t-il.

Et ce n’est pas Isabelle, chargée de projets marketing dans un laboratoire pharmaceutique, qui dira le contraire. « Tant qu’une réunion n’entre pas en conflit avec une autre, j’ai tendance à accepter l’invitation par défaut. Parfois, c’est vrai, je me demande pourquoi je suis là. Souvent aussi, je me dis que les réunions-même utiles-auxquelles je participe auraient simplement pu faire l’objet d’un mail. Mais lutter contre les mauvaises pratiques, ce n’est pas mon boulot. De plus, pourquoi me ferais-je remarquer pour cela ? », assume-t-elle. Comme beaucoup, Isabelle se sent dépassée par l’ampleur du changement nécessaire au sein de son organisation.

Alors, Louis Vareille ose un poncif : « Communiquez ! » Pour l’expert, l’un des aspects clé de l’exigence professionnelle est de ne pas subir, en communiquant de manière proactive avec l’organisateur des réunions. Celles-ci sont avant tout des interactions humaines. Au-delà des agendas surchargés, il est essentiel de se rappeler que chaque participant n’est pas simplement un rouage dans la machine, mais une personne avec des préoccupations et des responsabilités. « En demandant dès le départ le pourquoi de votre présence, vous élevez le niveau d’exigence et aidez l’initiateur de la réunion à clarifier son intention », martèle-t-il.
Louis Vareille ose questionner ces pratiques : « Finalement, est-ce qu’il s’agit de remettre du courage… ou simplement de l’humanité ? Tout collaborateur que l’on sollicite est en droit de connaître l’enjeu de l’interaction. Nous ne sommes pas des machines. » Mais au fond, et au-delà de la pertinence de sa propre présence en réunion, Isabelle (comme beaucoup d’autres), ne souffrirait-elle tout simplement d’un syndrôme bien connu, le FOMO ?

L’influence du FOMO, ou la peur de rater tout et n’importe quoi

Le FOMO est un concept initialement pensé pour la vie personnelle, qui déteint aujourd’hui plus largement sur la vie professionnelle. Manquer une information cruciale ou passer à côté d’une opportunité de réseautage, sont autant de raisons qui peuvent amener à laisser son agenda et son quotidien envahis par les réunions. « Je reconnais être carriériste, j’ai donc besoin de “me montrer”. Alors je me retrouve souvent à rester dans des réunions parfois interminables, même quand je sais que je ne devrais pas. Je suis là juste au cas où, confie Christophe, responsable financier dans le secteur public. Mais la triste réalité, c’est que c’est très utile pour ma carrière. »

Pour Louis Vareille, cette peur est le symptôme d’un véritable problème de gouvernance au sein de l’organisation, où les informations sont communiquées de manière incohérente. « La vérité derrière le FOMO, c’est que les gens ont peur de ne pas être les premiers à savoir », analyse-t-il. Alors que c’est à l’organisation de mettre en place des processus de communication équitable pour résoudre ce problème. « Prenons l’exemple des discussions de budget : si on se dit que chaque réunion peut être l’opportunité d’obtenir, au détour d’une conversation, une rallonge de budget, alors oui, les collaborateurs vont assister à des réunions inutiles de peur de passer à côté de cette occasion », illustre-t-il.

Alors, FOMO ou non, une question se pose : comment sortir d’une réunion dont on sait que l’on n’obtiendra rien d’utile ou d’intéressant, sans entacher sa réputation ?

4 stratégies pour s’extraire (proprement) d’une réunion

S’extraire discrètement d’une réunion peut parfois être nécessaire, mais encore faut-il savoir le faire avec tact. « Longtemps, j’ai prétexté de faux appels ou d’autres échanges pour quitter les réunions qui ne m’apportaient rien. Aujourd’hui, avec le télétravail, je reste et je travaille sur autre chose en parallèle. Je suis conscient que c’est contre-productif, mais je ne suis pas prêt à claquer la porte pour montrer mon mécontentement », commente Christophe.

Mais comment faire autrement ? Louis Vareille envisage plusieurs postures à adopter :

Annoncer son départ en amont : « C’est généralement assez bien reçu de préciser dès le début de la réunion que l’on ne pourra pas assister à l’intégralité des échanges. »

Suggérer d’adapter l’ordre du jour : « Si on a un impératif et que la réunion est suffisamment bien organisée, avec un ordre du jour clair, il est possible de demander à modifier l’ordre des sujets pour assister à ceux sur lesquels on a une vraie valeur ajoutée », propose-t-il. Ainsi, annoncer son départ et la nécessité de s’exprimer sur l’un des objets de la réunion peut être une manière subtile de signifier à l’organisateur qu’un ordre du jour clair est indispensable.

Influencer le déroulement de la réunion : « Avant de se lever et partir, je pense qu’il faut essayer d’influencer la réunion. Si on voit que les objectifs ne sont pas clairs, que les discussions s’égarent, on peut questionner : est-ce que quelqu’un peut m’aider à clarifier ce que l’on doit produire dans les 30 minutes qui viennent sur ce sujet ? », conseille-t-il.

Ne pas s’échapper comme un voleur : « Quand on quitte une réunion, il faut dire pourquoi on le fait. Il faut oser dire qu’on a le sentiment de ne pas avoir de valeur ajoutée, supposer à haute voix que l’on avait peut-être mal compris l’ordre du jour », revendique-t-il. Une approche qu’il a testé à plusieurs reprises, et toujours avec succès.

“Il est temps de rompre avec la complaisance de la médiocrité dans les réunions”, résume Louis Vareille. Le courage, l’exigence et la communication proactive ne sont pas seulement des clés pour éviter de subir des réunions inutiles, mais aussi pour influencer positivement ces rencontres.Il insiste : les réunions devraient être des moments d’interaction humaine, d’échange d’idées et de prise de décision, et non une source de frustration et de perte de temps. « Il faut de la bienveillance, oui, mais sans complaisance. »

Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.

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