Marque employeur : et si les entreprises avaient aussi leur CV ?

13 mars 2023

4min

Marque employeur : et si les entreprises avaient aussi leur CV ?
auteur.e
Laure Girardot

Rédactrice indépendante.

En tant qu’employeur, comment attirer des candidats toujours plus volatils et exigeants ? En créant son « CV inversé » ! C’est l’option défendue par Sylvain Zaffaroni, cofondateur de la communauté de marques agro-alimentaires « Pour nourrir demain ».

20 entreprises de l’agro-alimentaire ont réalisé leur CV afin de mettre en avant leurs engagements RSE et, plus largement, leur marque employeur. Cette initiative a été lancée par « Pour nourrir demain », une communauté qui réunit plusieurs marques de l’agro-alimentaire (Candia, Le Gaulois…) dont la mission est « de (re)construire collectivement le système agro-alimentaire français de façon pérenne ». Les leviers d’action ? Fédérer et faire collaborer des acteurs (industriels, distributeurs…) afin de réfléchir aux problématiques sectorielles. Sylvain Zaffaroni, cofondateur de « Pour nourrir demain », revient sur l’une des priorités phares de 2023 : faire face à la pénurie de talents. Le moyen d’y répondre ? Oser casser les codes du recrutement en créant des CV d’entreprise, appelés « CV inversés ». C’est une présentation graphique et synthétique de l’entreprise qui met en exergue son histoire, ses réalisations, sa mission ainsi que ses engagements RSE. Une manière factuelle et efficace de valoriser les « atouts employeur ». Cet outil est-il en passe de devenir le must have de la marque employeur ? Par ricochet, n’est-on pas en train d’inventer le processus de recrutement de demain ? Entretien avec Sylvain Zaffaroni.

À quels enjeux sectoriels l’initiative du CV inversé répond-t-elle ?

Les marques agro-alimentaires françaises sont en manque de ressources. Et ce, quel que soit le poste : des directions générales jusque dans les usines, du producteur à la distribution, ou encore dans l’agriculture. Le volume de pénurie équivaut à celui de la restauration ou du service à la personne. Par conséquent, certaines entreprises vont jusqu’à réduire leur production. Aussi, la vocation du CV inversé est de revaloriser un secteur en transition dont l’image reste encore entachée et dont les conditions de travail ne sont pas forcément très attractives. En effet, la localisation des postes est souvent éloignée en province, au cœur de zones industrielles, donc peu accessibles à moins d’avoir une voiture. L’agro-alimentaire reste pourtant l’un des premiers employeurs en France, avec des produits iconiques, des cultures d’entreprise historiques et une vocation noble, « celle de nourrir les Français ». Le CV inversé permet de changer d’angle de vue en mettant l’accent sur ces éléments distinctifs, ainsi que les transformations ambitieuses qu’a engagées le secteur.

« Le rapport de force s’est inversé. »

En quoi le CV inversé est-il révélateur de nouvelles dynamiques sur le marché de l’emploi ?

Le marché de l’emploi traduit une évolution des aspirations côté candidats : aujourd’hui, plus que jamais, ils et elles exigent des actes concrets et des engagements en matière de RSE. En parallèle, il existe aussi une forte volatilité des talents depuis la crise Covid. Le rapport de force s’est inversé car les salariés sont plus mobiles et souhaitent changer de cap en donnant plus de sens à leur carrière. Le phénomène émergent d’éco-anxiété, répandu au sein des jeunes générations, est aussi un élément qui entre en jeu dans la stratégie de recherche d’emploi. Un employeur doit répondre à ces trois enjeux en étant clair sur qui il est, ses intentions et ses engagements RSE. Le CV inversé est le moyen d’encapsuler de manière très claire toutes ces informations clés.

Quels sont les bénéfices du CV inversé à la fois pour les candidats et les entreprises ?

Pour les candidats, c’est une manière très efficace d’appréhender la mission d’une entreprise et sa stratégie RSE, souvent noyée au sein de rapports très institutionnels. Ils ont facilement accès aux dates historiques, éléments constitutifs de la culture d’entreprise, comme la création d’une marque ou d’un produit iconique. Sur notre site, le format est volontairement très standardisé autour de critères spécifiques, afin de faciliter la recherche d’informations ciblées. Côté entreprises, parce que le CV inversé est pédagogique, il permet une communication uniforme auprès de toutes leurs cibles, du cadre à l’ouvrier. C’est aussi une manière de décupler sa communication employeur grâce au phénomène d’ambassadorat constaté sur LinkedIn, notamment : les collaborateurs s’approprient le CV de leur entreprise en le partageant sur leur propre profil ! Une manière d’exprimer leur fierté d’appartenance grâce à des éléments tangibles.

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Avez-vous des résultats à communiquer en termes de recrutement ?

Nous avons démarré en janvier 2023 avec un engouement immédiat : 2500 visites du site dès le premier jour, plus de 8000 vues par CV inversé, plus de 250 000 vues de l’opération sur LinkedIn et une moyenne de 40 à 50 CV reçus par jour. Les marques nous ont remonté plus de 500 candidatures qualifiées et déjà des embauches réalisées. Un véritable phénomène s’est enclenché. Ce qui devait être une opération de communication pour nos membres va devenir plus pérenne avec l’ouverture de l’opération à toutes les marques agro-alimentaires françaises.

« Demain peut-être qu’un candidat exigera le CV de l’entreprise avant d’y postuler ? »

Des recommandations pour créer son propre CV inversé et le diffuser ?

Le processus d’élaboration est important. Nous travaillons avec les équipes RH en co-construisant avec elles un CV qui leur ressemble, grâce à une méthodologie « maison » : il faut aller chercher les bonnes informations pour que ce soit parlant pour les candidats. Ma recommandation ? Mieux vaut ne pas être trop créatif en misant davantage sur la lisibilité et des messages explicites pour une lecture efficace. Les entreprises peuvent aussi mener cet exercice avec leurs collaborateurs. Néanmoins, faire émerger les éléments distinctifs de son entreprise reste un exercice compliqué. Quant à la diffusion, l’intérêt de notre site est la comparaison rapide entre toutes les marques, donc pourquoi ne pas l’héberger sur un portail qui regrouperait les CV par secteur d’activité : c’est notre prochaine étape avec la création du site www.pour-recruter-demain.fr. Sinon, le CV inversé peut aussi être publié sur les réseaux sociaux de l’entreprise tels que LinkedIn, ou sur le site carrière…

N’est-on pas en train d’assister à une disruption du processus de recrutement ?

En miroir de ce qui se passe sur le marché de l’emploi, nous vivons un changement stratégique dans la manière de recruter. L’expérience candidat globale est en train de se transformer. À titre d’exemple, certains recruteurs utilisent le CV inversé en entretien afin de présenter l’entreprise. Qui sait, demain peut-être qu’un candidat exigera le CV de l’entreprise avant d’y postuler ? Dans tous les cas, il est intéressant d’étendre l’initiative à d’autres secteurs pénuriques afin d’attirer les talents autrement.

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Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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