Consultante en égalité F/H : « c’est remettre en cause une éducation »

31 mai 2022

7min

Consultante en égalité F/H : « c’est remettre en cause une éducation »
auteur.e.s
Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Alors que le dernier rapport de l’Insee pointait du doigt en mars dernier la lente décrue des inégalités femmes-hommes, notamment une dégradation plus importante pour les femmes des conditions de travail depuis la crise sanitaire, des structures indépendantes dédiées à la lutte pour l’égalité en entreprise ne cessent de redoubler d’efforts. Lucie Groussin, consultante en égalité femmes-hommes depuis trois ans, intervient régulièrement au sein des organisations pour faire évoluer les mentalités et changer la donne sur le terrain. Rencontre avec cette féministe de longue date experte en égalité des genres.

Si vous deviez donner une définition du métier de consultante en égalité femmes-hommes, quelle serait-elle ?

Souvent, je dis que je suis formatrice et non consultante. Ainsi, les gens comprennent assez naturellement que mon travail consiste à intervenir en entreprise pour former les salariés sur la prévention des violences sexistes et sexuelles. Mais si je devais l’expliquer dans les détails, je dirais d’abord que c’est un métier très récent, qui est né grâce aux obligations juridiques en matière d’égalité femmes-hommes. C’est aussi un métier qui s’exerce en tant qu’indépendant. Pour résumer, je participe à mettre en place au sein des entreprises et des institutions des politiques d’égalité. C’est un métier passion, qui est venu s’inscrire de façon logique dans mon parcours de militante féministe.

Quand vous répondez à la question « Tu fais quoi dans la vie ? », à quelles réactions êtes-vous confrontée ?

Les réactions sont en général plutôt positives. Ma réponse provoque parfois de la curiosité, souvent un sentiment de confiance. Cette positivité montre que la société a évolué sur la question. Du moins, c’est l’environnement dans lequel j’évolue qui a changé, mais qui n’est peut-être pas représentatif de la société en général. D’ailleurs, quand je parle de mon métier, on me confie souvent, malheureusement, des témoignages de discriminations ou de violence…

« Ce qui revient souvent, c’est cette phrase et l’idée reçue selon laquelle “on ne peut plus draguer au travail”, sauf que ce n’est pas le cas ! » - Lucile Groussin, consultante en égalité femmes-hommes

Depuis quatre ans, vous faites également partie du collectif l’ESS Inspirante, au côté duquel vous proposez vos prestations et avec qui vous animez des conférences et même un podcast intitulé Inspirez ! Lors de toutes ces différentes interventions, à quel cliché êtes-vous le plus confronté ?

Ce qui revient souvent, c’est cette phrase et l’idée reçue selon laquelle “on ne peut plus draguer au travail”, sauf que ce n’est pas le cas ! On essaye de faire passer les choses avec humour, d’expliquer qu’il y a une différence de nature entre le harcèlement et la drague. On observe également un énorme gap générationnel : les associations étudiantes sont bien informées sur les questions de féminisme et d’intersectionnalité. Mais les personnes de plus de 50 ans sont un peu dépassées… Là où c’est plus difficile également, c’est dans les métiers les moins féminisés. Le travail sur soi, de remise en question notamment, est très difficile. Parfois, cela va remettre en cause toute une éducation, un système de pensée entier.

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Est-ce que la formation en égalité femmes-hommes que vous proposez aux entreprises et aux institutions est un dispositif suffisant selon vous pour arriver à une égalité en société et plus spécifiquement dans le monde du travail ? Quelles seraient les autres dispositifs à mettre en place ?

Aujourd’hui, il y a de plus en plus d’obligations de formation dans les entreprises et les institutions, ce qui est très positif. On forme aussi beaucoup le top management, ce qui permet d’agir de façon plus structurelle. Mais la formation ne suffit pas. Il faut faire des diagnostics internes, mettre en place des dispositifs de communication, formaliser les procédures de signalement, avoir une tolérance zéro en matière de discriminations en général. Mais malheureusement, les entreprises voient encore trop souvent ces dispositifs comme des contraintes, là où ils sont aussi un moyen de renforcer le bien-être au travail, et a fortiori la productivité des salariés.

Où se place la France sur les questions d’égalité femme-hommes par rapport à ses voisins ?

Si on regarde les chiffres de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), on se rend compte que la France se place plutôt dans la deuxième partie du classement, au même titre que les États-Unis et le Royaume-Uni. Nous sommes loin derrière le Danemark, la Suède ou la Norvège, dont on parle beaucoup dans les médias comme des exemples à suivre sur ces questions-là. En Suède, la sensibilisation à l’égalité femmes-hommes commence dès la petite enfance, notamment à travers le système éducatif. Elle a également un système de syndicat très fort. Au sein des entreprises, les négociations se font de façon collective, en fonction des salaires de référence sur le site des syndicats. C’est plus objectif et plus égalitaire.

Parmi les mesures mises en place par les pays étrangers, lesquelles pourraient nous inspirer ?

Nous pourrions prendre exemple sur l’Espagne. En 1978, le pays a inscrit dans sa constitution le principe de non discrimination des sexes. En 2003, la lutte contre les violences de genre est devenue une grande cause nationale. En 2007, le congé paternité est établi à 15 jours. Il est désormais à 16 semaines, autant que le congé maternité. Ces politiques ont fait évoluer les mentalités. En 1990, les femmes représentaient en Espagne 24% des revenus du travail. En 2020, elles étaient 40%. On observe également une féminisation des métiers dans le pays : aujourd’hui, 55% des juges en activité sont des femmes. Le gouvernement espagnol actuel compte 14 femmes ministres pour huit hommes. Les politiques de lutte contre les violences sexistes et sexuelles ont un impact dans toutes les sphères de la société en matière d’égalité des genres.

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La création de l’index de l’égalité professionnelle aurait permis une avancée des égalités professionnelles femmes-hommes. En 2022, environ 92% des entreprises ont obtenu une note supérieure ou égale à 75 points sur 100. Pourtant, les femmes restent rémunérées 22,3% de moins que les hommes selon l’Insee. Comment expliquez-vous les contradictions entre ces données ?

Cet index de l’égalité professionnelle mis en place par Murielle Pénicaud (alors Ministre du travail, ndlr) est une mesure phare du premier quinquennat d’Emmanuel Macron en matière d’égalité professionnelle. Le problème, c’est que la note moyenne ne correspond pas à la réalité des faits. L’index, qui comprend des critères comme l’écart de répartition des augmentations individuelles, des promotions, ou encore le nombre de salariées augmentées à leur retour de congé de maternité, n’est pas très opérant. La preuve : la société Air Liquide a eu une note de 99 sur 100. Mais, lorsqu’on regarde les chiffres de plus près, on s’aperçoit que leurs ingénieurs sont payés en moyenne 5 900€ pour les femmes contre 8 800€ pour les hommes. Quant à l’augmentation en retour de congé maternité, il suffit d’augmenter les femmes d’1€ seulement pour obtenir le maximum de points pour ce critère. On peut donc avoir une très bonne note à cet index, mais cela ne veut pas dire pour autant que le travail en matière d’égalité est fait. Ce dispositif n’est pas suffisant pour faire bouger efficacement les choses.

En 2021, les femmes représentaient les 2/3 des étudiant·e·s de l’enseignement supérieur dans le domaine de la culture, mais seulement quatre personnes sur dix en emploi dans les professions culturelles. Quelles sont vos observations à ce sujet ?

Dans le domaine de la culture, les horaires de travail ont souvent lieu le soir et le week-end, c’est-à-dire en dehors des plages habituelles. Quand on est une femme et qu’on veut ou doit prendre en charge sa vie de famille, ce n’est pas très compatible. Dans ce secteur, elles s’arrêtent souvent aux alentours de 30 ans. Aussi, c’est un secteur où le mal-être au travail est flagrant : parce que les gens sont facilement remplaçables et on leur rappelle dès qu’ils souhaitent améliorer leurs conditions de travail. On observe notamment un manque de gestion des ressources humaines, il est donc difficile d’y faire valoir ses droits. Aussi, les accords d’égalité sont beaucoup moins présents que dans les grands groupes. Malheureusement, c’est un milieu qui se revendique progressiste et qui a donc encore du mal à se remettre en question. Il y a énormément de rapports de pouvoir, par exemple entre un réalisateur et une actrice. C’est dans ces rapports qu’ont lieu les violences sexistes et sexuelles. Mais on voit que les choses commencent à bouger : le Centre National de la Musique (CNM) a pris l’initiative d’établir un protocole contre ces violences en ne réservant ses subventions qu’aux entreprises qui ont formé leurs équipes à les détecter. C’est aussi un milieu très blanc et colorblind (le fait de nier les différences de traitement que peuvent subir les personnes racisées en raison de la couleur de leur peau, ndlr) : les gens travaillant dans la culture ont du mal à remettre en question leurs stéréotypes et à remettre en cause leurs privilèges de blanc.

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Pour 74 % des salariés interrogés pour une étude OpinionWay pour Ekilibre Conseil publiée le 28 mars, les manifestations liées aux violences sexistes et/ou sexuelles au travail n’ont pas tendance à diminuer. Pour 14% d’entre eux, elles seraient même en augmentation… Que nous disent ces chiffres ?

Il y a une réelle augmentation de leur conscientisation et de leur détection. Mais sincèrement, je ne pense pas qu’il y ait une augmentation de ces violences en tant que telles. Cependant, le gouvernement parlait de la grande cause de l’égalité, mais les mesures n’ont jamais vraiment suivi. Cinq ans après, il y a toujours autant de féminicides, des membres du gouvernement mis en cause pour viol restent en poste, le plan de relance économique a oublié les femmes pourtant en première ligne pendant la crise du COVID…

Quels sont vos projets pour la suite ?

Avec mon nouveau diplôme en sexologie, je vais pouvoir faire des consultations individuelles, mais j’aimerais aussi beaucoup organiser des ateliers collectifs. J’en ai déjà donné un premier sur le thème de la période post-partum il y a quelques semaines. Un second est prévu début juillet sur l’estime de soi et la sexualité. J’aimerais également faire de mon site internet www.luciegroussin.com un outil d’éducation populaire. Je compte prochainement y poster des entretiens érotiques, ou encore des ressources sur le thème de la masculinité, de l’érotisme, entre autres. Sinon, j’aimerais mener plus d’actions au sujet des violences conjugales. J’ai une nouvelle mission au sein de la Fondation des Femmes qui est de leur proposer un kit d’action. Au sein de l’entreprise, j’aimerais également aborder le thème des violences intrafamiliales, car l’entreprise est un lieu où l’on peut aussi toucher la sphère privée.

Édité par Etienne Brichet

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