Rentrée et climat : « Les étudiants sont perdus. Il faut remettre de la cohérence »

13 sept. 2022

14min

Rentrée et climat : « Les étudiants sont perdus. Il faut remettre de la cohérence »
auteur.e
Clémence Lesacq Gosset

Editorial Manager - Modern Work @ Welcome to the Jungle

Alors que la France vient d’enregistrer son été le plus chaud, la rentrée étudiante s’effectue dans une atmosphère brûlante. Jamais une fin d’année scolaire n’aura vu autant d’étudiant·e·s monter à la tribune pour dénoncer les errements de leurs prestigieuses écoles - AgroParis Tech, HEC, Polytechnique - face à l’urgence climatique. Plus qu’un coup de gueule contre des programmes inadaptés, d’aucuns y ont vu un acte de résistance, de bifurcation voire de désertion face à l’ancien monde du travail et ses sentiers écologiquement mal balisés. Néanmoins, l’appel de ces jeunes diplômés écolos ouvre autant de chemins qu’il ne pose de questions : Qui sont ces étudiants et au nom de qui parlent-ils ? Leurs discours sont-ils la marque d’une véritable rupture ? Et face à ces réclamations et nouvelles aspirations, les grandes entreprises peuvent-elles encore séduire la nouvelle génération ? Mais surtout, quel monde du travail est envisageable pour demain ? Pour répondre à ces questions, il fallait bien une conversation à multiples voix. Attention, grosse interro surprise.

Casting :

  • Hélène Cloitre : après une école de commerce et une courte vie de commerciale, Hélène s’est reconvertie dans une conserverie anti-gaspillage. Co-réalisatrice du documentaire Ruptures, elle intervient dans de nombreuses écoles pour parler de ces jeunes qui décident de bifurquer vers une vie plus en accord avec leur conscience écologique.
  • Clément Choisne : connu pour son discours de remise de diplômes en 2018 à Centrale Nantes, Clément a notamment participé à la création de l’Observatoire de la Post-Croissance et de la Décroissance.
  • Marine Miller : journaliste à la rubrique “Campus” du Monde, c’est en écoutant le discours de Clément que Marine a pris conscience des appels de la jeunesse. Son livre La Révolte, est sorti en 2021.
  • Gérald Majou : Ingénieur reconverti en vigneron après une prise de conscience, Gérald est désormais chargé de mission DD&RS (Développement Durable et Responsabilité Sociétale) à la Conférence des Grandes Écoles. Il travaille pour l’intégration des enjeux de transition socio-écologiques dans les programmes.

HÉLÈNE CLOITRE - : Je pense que cette rentrée 2022 est plus que particulière. Cet été, beaucoup de gens ont pris réellement - et violemment - conscience du dérèglement climatique en cours. On arrive donc avec des étudiants qui sont plus sensibilisés à ces questions-là, et qui seront encore plus formés parce que les écoles prennent ces sujets-là à bras-le-corps. On pourra discuter plus tard si c’est suffisant ou non, mais en tout cas les écoles mettent de plus en plus en place des “rentrées climat”, avec des événements autour de la transition écologique et sociale. D’ailleurs, beaucoup de projections de notre film (Ruptures, ndlr) sont prévues dans les écoles en ce moment.

GÉRALD MAJOU - : Je suis d’accord avec toi, quand on voit l’accélération des phénomènes climatiques inquiétants, on a forcément une rentrée particulière… Tu parles de la sortie du rapport Jouzel, et il y aura un événement associé, en octobre à Bordeaux, en présence de la Ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche (Sylvie Retailleau, ndlr.), qui lancera d’une certaine manière officiellement les premières mesures et actions.

MARINE MILLER - : J’espère sincèrement que oui, avoir assisté à ces catastrophes naturelles près de chez nous va avoir des vertus et nous pousser à une prise de conscience, à une rupture… En 2018, il y avait déjà eu des dérèglements climatiques extrêmes, et pourtant les choses ont très peu bougé depuis. Quand on voit également la rentrée politique, que l’on entend le président parler de la “fin de l’abondance”, de sobriété, on comprend qu’il se passe quelque chose.

CLÉMENT CHOISNE - : Moi je dirais que le problème est déjà dans cette manière de penser. Je ne vois pas en quoi le fait que ce soit “la rentrée” change quelque chose. Ça nous pose indéfiniment dans une situation court-termiste où l’on se dit : «Ah il y a une inondation, une canicule, il faut faire quelque chose…» Mais ce n’est pas là-dessus que les gens vont prendre leur décision, c’est sur des années et des années d’expertise scientifique du GIEC, sur le rapport Meadows (rapport qui alertait déjà en 1972 sur les limites à la croissance, ndlr.)… C’est cela qui va faire qu’on pourra prendre des décisions sur le long cours.
Ce qui est le plus révoltant dans cette rentrée, c’est qu’on vient de vivre une année électorale et qu’on ne sait pas où on va. On nous parle de fin d’abondance sans définir les termes. Les étudiants vont rentrer dans leurs écoles et à l’hiver ils ne pourront pas se chauffer parce que le prix du mégawatt d’électricité explose. On parle d’une “gronde étudiante”, alors que c’est un débat de société beaucoup plus large, qui ne peut pas juste se raccourcir à la question des étudiants ou des écoles. Si on continue à réfléchir en silo avec d’un côté les études, d’un autre côté la société et d’un autre encore la politique, on n’y arrivera jamais.

MARINE MILLER - : Pour le moment, c’est vrai que depuis ton discours à Centrale Nantes il y a déjà quatre ans Clément, on peut se demander quelles écoles ont vraiment réagi sur ces questions d’urgence climatique. En 2019, une grande enquête menée par le Shift project (think tank qui pense la décarbonation de l’économie, ndlr) montrait que seules 11% des formations de l’enseignement supérieur contenaient des formations sur l’énergie et le climat. D’ailleurs c’est intéressant, on parle “énergie et climat”, mais on ne parle pas de politique, d’économie, de social, de biodiversité… alors que tout est lié ! Heureusement, quelques écoles se sont engagées à travailler en profondeur comme l’INSA à Lyon qui est en train de refaire entièrement sa maquette de formation avec le Shift Project, ou Audencia Nantes également. On peut espérer que la multiplication des discours très engagés et critiques des jeunes diplômés contribuent encore à accélérer cela…

CLÉMENT CHOISNE - : Pour moi c’est difficile de savoir ce qui est la cause des changements qu’on peut voir arriver dans les écoles. Est-ce que c’est le discours d’un seul qui reflète les changements de mentalité d’une trentaine d’élèves ? Ou est-ce que c’est la société qui change dans son ensemble ? Je pense qu’il y a forcément un effet sur le long terme : on observe le changement climatique, la chute de la biodiversité, l’artificialisation des sols… donc les gens prennent conscience. Après, il y a forcément des effets de “buzz médiatique” autour de ces discours, mais c’est aussi ça qui nous met dedans. Parce que cela vient personnaliser une lutte qui ne doit pas l’être. Quand une école comme Centrale Nantes décide d’ouvrir une option “Ingénierie des low-tech” ce n’est pas pour mon discours d’il y a quatre ans, c’est parce que de nombreuses personnes et notamment des professeurs ont œuvré à cela. Donc oui, les choses changent, mais en fait ce n’est pas un choix : il va falloir que ça change, et là nous prenons juste du retard. Et ce ne sont pas les étudiants seuls, en faisant des discours, qui feront avancer ça.

GÉRALD MAJOU - : Bien sûr qu’il va y avoir des changements. Mais au sein de la Conférence des grandes écoles, je suis aux premières loges pour observer les freins. Pour les écoles d’ingénieurs par exemple, le sujet des low tech reste encore quelque chose de tabou, difficile à mettre en place ; et côté écoles de management, c’est le sujet de la décroissance qui est encore le tabou extrême. Je pense que tous les directeurs savent bien qu’il y a un problème dans notre développement et qu’on ne peut plus continuer comme on le fait, mais pour le moment on cherche un entre-deux… Et il faut aussi comprendre que ces écoles sont elles aussi prises dans ce système qu’est la société, liées à des entreprises qui ne veulent pas forcément que l’on parle de décroissance… Mais après les discours d’il y a quelques mois, je pense vraiment que ça a secoué ce système.

MARINE MILLER - : Personnellement j’ai vraiment vu un avant et un après avec le discours d’AgroParisTech. Il a vraiment pris tout le monde par surprise. Ils sont huit à être montés sur scène et à s’être partagés la parole pour justement ne pas tomber dans un travers individualiste. Chacun a exprimé sa vision d’une rupture radicale. Ce discours je le vois vraiment comme un moment de bascule dans l’année 2022, qui est une année complètement atone : en avril on a une Présidentielle qui fait l’impasse totale sur les enjeux liés au climat et à la jeunesse, le rapport du GIEC sort dans un silence assourdissant… Et puis soudainement, il y a ce discours qui dépasse les 12 millions de vues et crée le débat - on a notamment vu de nombreuses tribunes : Pour ou contre les Agro ? -, dépassant ainsi largement la jeunesse française. Pour moi c’est vraiment le début d’un possible renouveau dans le débat public.

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HÉLÈNE CLOITRE - : Évidemment cela dépasse les jeunes, mais c’est vrai que c’est chez eux que l’on peut observer de réelles transformations des mentalités. En rencontrant de nombreuses écoles et étudiants, nous avons recueilli quelques données intéressantes. Par exemple, dans une école d’ingénieurs dans l’ouest de la France, 30% des étudiants qui avaient répondu au questionnaire de fin d’études l’année dernière exprimaient qu’ils n’exerceraient pas en tant qu’ingénieur à la sortie de l’école. Jamais un tel chiffre n’avait été atteint. Ce sont des jeunes qui après leur diplôme décident de se reconvertir, ou de reprendre des études parce qu’ils ont une vision extrêmement négative des métiers d’ingénieur, des métiers commerciaux, de la finance etc. Et ils n’ont même pas envie d’aller essayer, parce qu’ils ont trop peur de rentrer dans un système et de ne plus contrôler leur choix de carrière. Alors ils choisissent de s’investir dans des assos, dans des entreprises à mission, dans le public…

GÉRALD MAJOU - : Au sein de la Conférence des grandes écoles, j’entends les directeurs parler de ça, et c’est sûr que ça dérange… Sur le discours d’AgroParisTech, ils sont critiques, ils disent : «On a l’impression qu’ils crachent un peu dans la soupe quand même. Ils ont fait leur choix, ils sont diplômés d’une bonne école, ils pourront derrière le valoriser…» J’entendais un discours qui revenait souvent : le fait que oui, il y a besoin de changer les choses, mais qu’il fallait que ces jeunes changent les choses de l’intérieur, et donc qu’ils rentrent dans les entreprises ! Car si tous les jeunes qui sont engagés n’y vont pas, il n’y a que les suiveurs qui iront dans les entreprises et rien ne bougera. Pour moi, on a besoin des deux : de gens qui s’investissent dans la société civile, mais aussi de ceux qui s’investissent à l’intérieur des entreprises, à travers des collectifs.

HÉLÈNE CLOITRE - : Sur le fait de rejoindre les grosses entreprises, je pense qu’il faut comprendre que cette génération d’étudiants est très angoissée, éco-anxieuse. Le RESES avait fait une consultation étudiante en 2020, et 85% des jeunes étudiants se considéraient inquiets ou angoissés face à l’avenir climatique. Or ce que disent les psychologues, c’est qu’une des meilleures portes de sortie à l’éco anxiété c’est d’agir, c’est de sentir qu’on contribue au moins à essayer de renverser le paquebot. Quelle que soit la taille de notre impact, c’est se dire que celui-ci est positif, qu’on ne contribue pas négativement via notre travail au désastre écologique en cours.
Et aujourd’hui je pense que beaucoup de jeunes ne savent pas comment agir parce qu’on ne leur donne pas suffisamment les clés pendant leurs études. Plutôt que de se dire : « Je vais aller essayer de transformer une entreprise de l’intérieur », ils ont peur de ne pas savoir faire et se disent plutôt : « Je vais déserter parce que c’est comme ça que j’aurai plus d’impact. » Et aujourd’hui la conséquence de ça c’est que certaines entreprises ont du mal à recruter, essaient de mettre en place des plans de recrutement, de changer un peu leurs modèles - même s’il y a encore beaucoup de greenwashing derrière - mais elles sont en paniques parce qu’elles n’arrivent pas à recruter. Et le jour où Total n’a plus d’ingénieurs, Total s’effondre. Je pense que pour beaucoup de jeunes, la seule réponse qu’ils sont en mesure d’apporter à ce gigantesque problème systémique, c’est de déserter.

CLÉMENT CHOISNE - : Pour moi ce mot “déserter” est presque un non-sens. On ne déserte rien du tout : on est toujours dans le même système, on fait partie des mêmes infrastructures, des mêmes institutions, il n’y a pas “d’autre monde” où aller. Donc il n’y a pas de déserteur.
Ensuite, par rapport aux chiffres que tu cites Hélène, je pense qu’il faut être beaucoup plus méticuleux, à l’heure de l’individualisation du capitalisme et de l’ubérisation de toutes les professions. Le fait de ne pas rejoindre un grand groupe, ne veut pas dire qu’on ne rejoint pas le capitalisme. Il y a encore beaucoup d’étudiants qui ont vraiment envie de rejoindre des structures qui leur permettront de faire de l’argent, même si ce ne sont plus des grands groupes : ça peut être une start-up florissante avec un modèle d’affaires sur trois à cinq ans par exemple. Mais il n’y a pas forcément des remises en question totale du système.
Et si le mot “déserter” m’embête, c’est parce qu’on va se prendre des réflexions du type : « Vous fuyez et vous crachez dans la soupe. » Et en fait, si on continue à opposer tous les gens comme ça, ceux qui choisissent d’autres voies et ceux qui choisissent de continuer dans le système, c’est sûr qu’on ne va pas y arriver.

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Programmes, formations, accompagnement des élèves et des enseignants : comment transformer les écoles pour un avenir durable

CLÉMENT CHOISNE - : On pourrait penser qu’il faudrait supprimer certaines formations polluantes, destructrices. Mais en lisant Héritage et fermeture : une écologie du démantèlement, on comprend que notre société va hériter de “communs négatifs”, dont on ne va pouvoir rien faire à part les supporter pendant encore des milliers d’années. On ne peut donc pas se permettre de juste stopper les formations qui ne vont pas dans le sens de l’avenir. Car même si demain on décidait d’arrêter le nucléaire par exemple, il faudrait encore des personnes capables de gérer le triage de déchets et le démantèlement d’appareils radioactifs pendant des milliers d’années. Donc la solution n’est pas dans la fermeture, mais dans la requalification d’emplois qui devront perdurer.

GÉRALD MAJOU - : Avec le rapport Jouzel (rapport dont le but est de “sensibiliser et former aux enjeux de la transition écologique et du développement durable dans l’enseignement supérieur”, ndlr.), il y a eu un certain nombre de propositions de mesures, qui se veulent les plus systémiques possibles. Il faut que demain, tous les élèves en niveau bac+2, quels que soient leurs cursus, soient formés à la transition écologique. Tout le système de l’enseignement secondaire doit se mobiliser, public comme privé, et ce même si les leviers d’action sur le privé sont moindres de la part de l’Etat. Le rapport évoque également l’enseignement scolaire, car dès le collège et le lycée, voire même la maternelle, il faut aussi qu’il y ait un minimum de connaissances. Il faut penser à une chaîne éducative. Il faut également repenser la formation des enseignants, parce qu’eux ne se sentent pas légitimes pour aborder, en plus de leur propre expertise ces nouveaux sujets qui sont interdisciplinaires et demandent un vrai travail de contextualisation.
Enfin, il faut repenser un travail collectif pour la construction des programmes. Il faut que tous les enseignants se regroupent autour de la table et disent : « Voilà quelles compétences on veut au sortir de cette formation, et voilà comment chacune de nos contributions va permettre cela. »

HÉLÈNE CLOITRE - : Clairement, il y a de grosses différences de sensibilisation d’un étudiant à l’autre. Certains étudiants sont extrêmement angoissés par la question climatique. Ils vont questionner leur orientation par rapport à cela, parfois même rentrer en conflits avec leur famille sur ces sujets… Tandis que d’autres étudiants ne sont absolument pas sensibilisés. Au contraire, ils sont complètement dans le déni, ou se braquent quand on en parle. Cela crée une scission entre les jeunes, qui ne perçoivent pas du tout de la même manière les cours qui sont proposés sur ces questions-là.

GÉRALD MAJOU - : C’est pour cela qu’il faut aussi, ensuite, penser à la formation continue des actifs. Il faut que n’importe quelle personne qui ait une prise de conscience puisse à tout moment revenir se former sur ces sujets-là, en adéquation avec son niveau de qualification etc. Il faut une vraie discussion politique pour que cela devienne obligatoire pour tout le monde, partout, et de manière continue.

HÉLÈNE CLOITRE - : Pour revenir sur ce sujet des programmes du secondaire, pour moi il faudrait aussi inclure les jeunes dans ces décisions, ainsi que les gens de l’administration, de la technique etc. Certaines écoles ont commencé à le faire, comme l’UTC de Troyes, où toutes les parties prenantes ont réfléchi ensemble au nouveau programme de transition. Pour moi, l’infantilisation des jeunes est un vrai problème dans l’éducation. La nouvelle génération est extrêmement formée, elle s’autoforme sur YouTube, regarde énormément de conférences sur internet etc. Ils et elles ont énormément de connaissances sur les problèmes écologiques et sociaux, et il faut les écouter.

MARINE MILLER - : Tu as raison, ces jeunes ont déjà beaucoup de connaissances. En revanche ce qu’ils n’ont pas c’est une mise en cohérence de toutes ces connaissances, et ça c’est vraiment le travail de l’institution scolaire et des enseignants. C’est bien beau de faire des fresques du climat en début d’année, mais ce qu’il faudrait penser c’est la cohérence des maquettes des programmes : on ne peut pas avoir un cours sur les low tech le matin et l’après-midi un cours d’économie mainstream sur la croissance, le PIB, et comment décrocher des parts de marché quand on est un grand groupe à l’international ! Il faut remettre du sens, recréer un récit, et c’est particulièrement ce dont ont besoin les gens qui se sentent perdus

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GÉRALD MAJOU - : Oui, mais la réalité c’est qu’avec l’indépendance des enseignants en France, c’est difficile de faire bouger les programmes rapidement… Et même malgré l’urgence, le politique ne pourrait pas l’obliger non plus !

MARINE MILLER - : Oui, mais le gouvernement a d’autres leviers, notamment celui du financement. C’est le nerf de la guerre d’ailleurs : l’enseignement supérieur en France est sous-financé depuis plus de 10 ans. Il y a de plus en plus d’étudiants, de moins en moins de profs et de moyens, de plus en plus de contractuels précaires…

GÉRALD MAJOU - : Il est certain que pour transformer les formations, il faut recruter ! On n’a pas d’autre choix, il faut libérer du temps aux enseignants pour qu’ils avancent aussi sur ces sujets de leurs côtés. Le problème c’est qu’ils sont de plus en plus pris dans les tâches administratives. Ils passent des week-ends entiers à remplir des dossiers pour espérer recueillir de l’argent via des appels à projets. Tout ça concourt à faire que la partie enseignement devient de plus en plus restreinte, et la capacité qu’ils ont à innover devient peau de chagrin.

Quel monde étudiant et du travail souhaitable pour demain ?

CLÉMENT CHOISNE - : Si je devais parler aux jeunes, je leur dirais que la première chose qu’ils ont à faire c’est de se politiser - aucune lutte ne se gagne sans un rapport de force et le rapport de force c’est la politique. Il faut que les jeunes reprennent leur place dans le débat public, pas forcément en rentrant dans un parti politique mais en s’engageant dans la vie associative par exemple. Et c’est urgent, non pas seulement sur des enjeux purement scientifiques liés aux changements climatiques, mais peut-être par-dessus tout sur les enjeux sociaux. Parce que c’est le social qui risque d’exploser en premier, et que c’est lui qui possède en son sein toute la lutte pour le dérèglement climatique…
Et en fait je pense que, qu’importe sa situation, il est possible de faire des choses. En tant qu’étudiant on peut rejoindre des associations dans les écoles, créer des listes pour les conseils d’administration pour aller peser sur les décisions de la direction, repérer les professeurs qui dans l’école pourront dispenser les enseignements de meilleure qualité etc. Si on travaille déjà, on peut œuvrer pour changer les choses de l’intérieur ; et si ce n’est pas possible, on peut trouver dans notre vie personnelle des moyens d’agir. Il suffit d’aller voir des associations qui s’occupent de créer du commun et du lien entre les personnes, se politiser, rejoindre des mouvements politiques pour entrer en lutte etc. Et aussi, arrêter de penser que tout est entre nos mains, parce que ce n’est pas le cas. Il n’y a pas de héros et la réponse est beaucoup plus dans la cohésion et le collectif. Et surtout, s’il y en a qui découvrent seulement avec cet article l’importance des changements nécessaires, il ne faut pas qu’ils restent seuls vis-à-vis du torrent d’informations qu’ils vont devoir assimiler et qui est très anxiogène. Il faut qu’ils se rapprochent de toute structure qui pourrait les aider et faire rencontrer du monde parce que, comme le disait Hélène, le fait d’être actif enlève l’angoisse.

HÉLÈNE CLOITRE : Je pense aussi qu’au moment d’arriver dans la vie professionnelle, faire un travail sur soi-même et apprendre à se connaître permettra de prendre des décisions en conscience. Aujourd’hui, on voit beaucoup de jeunes qui sont un peu pétrifiés face à tout ce qui se passe, qui ont l’impression de ne pas avoir assez d’impact. Et ce que je recommande toujours quand on va faire des projections c’est de savoir là où on se sent vivant, épanoui, et d’essayer d’aller vers un secteur qui nous correspond. Il y a des jeunes qui ont besoin de plus de sécurité et de stabilité ; d’autres qui vont se sentir capables de créer de nouvelles structures ou d’entrer en politique… Mais je pense que ce qui compte avant tout c’est de se connaître soi pour éviter d’aller dans des chemins qui ne nous correspondent pas et finir dans le “burn out du militant”.

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Article édité par Matthieu Amaré ; photos : Thomas Decamps pour WTTJ