Faire le buzz avec un CV original, ça marche vraiment ? Témoignages

09 févr. 2021

6min

Faire le buzz avec un CV original, ça marche vraiment ? Témoignages
auteur.e
Delphine Dauvergne

Journaliste pigiste

Pour se démarquer lors d’une recherche de stage, d’alternance ou d’un emploi, des candidats prennent parfois le temps de concocter un CV original en reprenant les codes visuels d’une entreprise qu’ils affectionnent. Le but de la manœuvre ? Faire le buzz sur les réseaux sociaux pour se faire remarquer des RH. Mais cette technique fonctionne-t-elle vraiment ? Et comment se démarquer pour toucher la plus large audience ? Témoignages et retours d’expérience.

Un CV original pour se démarquer

Plus de 56 000 likes et 1 800 commentaires, c’est le succès qu’a remporté le CV de Lenna sur LinkedIn en juin 2020. Elle n’en revient toujours pas : « C’était inespéré, d’autant plus que je n’avais pas un gros réseau. » La recette de ce buzz ? Un CV en sept pages inspiré du quotidien L’Équipe. Un travail original qui a su attirer les curieux, mais aussi les recruteurs du secteur qu’elle visait pour son alternance : la communication dans le milieu sportif.

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« Pendant le premier confinement, j’ai commencé à stresser à l’idée de ne pas trouver d’alternance pour l’année prochaine, se souvient Lenna en Master 1 management et marketing du sport à l’Inseec de Bordeaux. De nombreuses écoles forment aux métiers du sport et de la communication. La concurrence est rude entre les étudiants, alors je devais me démarquer en montrant ma créativité et mes compétences. » Elle regarde les CV originaux qui ont été publiés sur le net et les réseaux sociaux. « Certains utilisaient déjà l’idée de la Une de journal comme celle du Monde, explique-t-elle. J’ai eu envie de pousser l’idée plus loin et ne pas me limiter à une seule couverture. C’était un pari risqué car on nous conseille souvent de faire des CV courts, qui tiennent sur une seule page. Mais c’était l’occasion de mettre en valeur toutes mes expériences, d’aller au bout du principe. »

CV parodique qui reprend les codes des vidéos virales, format corporate ciblant une entreprise comme McDonald’s ou Burger King, mise en vente sur Amazon, utilisation d’une appli vous scannant comme Yuka… Les candidats ne manquent pas d’imagination pour sortir du lot ! En reprise d’études, Younn a lui aussi tout misé sur l’originalité pour trouver son alternance dans les ressources humaines. « Je ne visais pas un secteur en particulier, j’étais assez ouvert, raconte-t-il. Pour me mettre en valeur, j’ai décidé de parler de mes compétences à travers les valeurs du sport, que j’ai illustrées en vidéo, avec des images prises par un drone. » Celle-ci a généré près de 300 likes sur LinkedIn et plus d’un millier de vues sur Youtube, où elle est hébergée.

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Quant à Charlotte, elle a choisi le format de la bande dessinée pour se distinguer des autres : « Je me lançais dans un milieu nouveau après des études à Sciences Po Lyon. Je voulais trouver une alternance en direction artistique dans la communication. Au bout d’un mois de recherches avec un CV classique, je me suis dit qu’on en attendait plus et qu’il fallait se démarquer et montrer sa personnalité pour trouver. » Son CV fait une centaine de likes sur LinkedIn, pas un buzz à la hauteur de celui de Lenna mais c’est tout de même un succès pour cette étudiante en master direction artistique et digital design à l’école Supérieure de Publicité de Paris.

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Un travail qui demande de l’investissement

La jeune femme de 24 ans, a tout de même passé deux semaines en juin sur la réalisation de son CV qui tenait sur une dizaine de pages : « J’adore dessiner mais je n’avais jamais fait d’illustration graphique sur tablette. Je me suis dit que même si mon CV ne marchait pas, cela m’aurait tout de même permis d’acquérir de nouvelles compétences. » Elle conseille toutefois de ne pas aller chercher la difficulté à tout prix. « Le but c’est d’être original en gardant une idée qui nous est propre, il ne faut pas s’oublier avec quelque chose qui ne nous correspond pas. » Elle a choisi de parler d’elle avec un ton humoristique, léger. « J’aime le second degré, cela représente bien qui je suis. » En revanche, elle n’avait pas vraiment anticipé le poids du fichier : « Le CV était lourd, j’ai dû parfois envoyer un lien dropbox à des recruteurs, sans savoir s’ils allaient cliquer… Si c’était à refaire, j’enverrais peut-être une version papier à dix agences ciblées. »

Younn a mis trois semaines pour réaliser et monter sa vidéo. « Je me suis concentré sur ce projet et j’ai arrêté d’envoyer des candidatures, se rappelle l’étudiant de 29 ans. J’ai l’habitude d’utiliser du matériel de photo, en revanche je n’avais jamais fait de montage vidéo. Et contre toute attente, je me suis rendu compte qu’avec les tutos, c’était vraiment à la portée de tous. » Le tournage a aussi demandé un peu d’organisation : « Je devais savoir où je pouvais filmer avec un drone, me coordonner avec la personne qui filmait et avec le drone… » Ce qu’il aurait voulu améliorer ? « L’intonation de ma voix. Avec du recul, elle n’était pas vraiment naturelle. »

Lenna, a passé une centaine d’heures à fabriquer son édition spéciale de L’Équipe. D’abord en prenant le temps de réfléchir à la conception de son œuvre : « Je ne voulais pas me presser mais réfléchir sans pression à tous les éléments, que cela reste aussi un plaisir de créer. » Cette expérience lui a également permis de monter en compétences sur des logiciels, notamment pour la maquette. « Je trouvais que les mots-clés dans les CV ne suffisaient pas à montrer ses compétences, avec ce format j’ai pu écrire, raconter une histoire, faire un story telling pour que les recruteurs aient le temps de se prendre au jeu, tout en ayant une vision de mes expériences et de qui je suis. »

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Pour quel résultat ?

Lenna a posté sa candidature un samedi sur LinkedIn et s’est donnée jusqu’au lundi suivant avant de commencer à contacter les entreprises. Enfin ça, c’était avant que les recruteurs ne prennent les devants : « La dizaine d’entreprises que je ciblais m’ont toutes contactée ! J’ai eu une quinzaine d’entretiens dans la semaine qui a suivi ce post et une dizaine de propositions. J’ai même eu une réponse et un article de la part de L’Équipe, alors que je ne les ciblais pas particulièrement comme certains ont pu l’interpréter. » En cette période particulièrement compliquée pour décrocher un stage ou une alternance, l’étudiante de 23 ans a pu se payer le luxe de choisir parmi plusieurs agences prestigieuses avant de s’arrêter sur Publicis Sports. « J’ai tout de suite senti qu’on se préoccupait plus de moi, de mon profil, plus que du CV que j’avais réalisé. Ils étaient dans une démarche de vouloir m’apprendre des choses en alternance, de me faire progresser sans me mettre la pression comme j’ai eu le sentiment avec d’autres agences. Aussi, je pense que le fait d’avoir mis en valeur toutes mes expériences dans le sport a joué. »

Charlotte n’a pas connu le même engouement. « Une ou deux personnes m’ont proposé un poste via LinkedIn, mais ce n’était pas pour des postes qui m’intéressaient. Quand j’ai contacté les recruteurs, ils ont pu voir ce CV, mais finalement ce qui les intéressait c’était plutôt mon book. C’est un milieu où tout le monde doit redoubler de créativité donc cela ne leur est peut-être pas paru aussi extraordinaire que ça. » Après coup, elle a tout de même décroché quatre propositions pour des alternances et choisi l’agence de communication HumanFish. « Ce qui a payé, c’est ma manière d’insister pour décrocher des entretiens, en contactant par exemple des responsables directement sur LinkedIn, il faut montrer sa motivation sans que cela aille jusqu’au harcèlement », conseille-t-elle.

De son côté, Younn a bien vu la différence entre sa première stratégie (envoyer des centaines de candidatures non personnalisées) et son CV vidéo. Il a décroché quatre entretiens, dont un à l’Usine Filet Bleu où il travaille en alternance aujourd’hui. « Je leur avais déjà envoyé mon CV et quand ils ont vu ma vidéo j’ai dû les convaincre de me donner une chance, puisqu’ils m’ont répondu le lendemain de la publication. J’ai également été contacté sur LinkedIn par un DRH qui m’a directement tutoyé et affirmé qu’il voulait travailler avec moi, c’était très flatteur. Les réseaux sociaux permettent d’avoir des contacts beaucoup plus directs avec les recruteurs », constate-t-il.

À tous les étudiants ou personnes en recherche d’emploi qui hésiteraient encore, ces trois jeunes conseillent d’oser l’expérience du CV original et ne regrettent pas l’investissement qu’il nécessite parfois. « Quand je vois l’impact que mon CV a eu, je n’hésiterais pas à refaire un CV vidéo en soignant encore plus certains aspects, notamment au niveau de l’écriture », confie Younn. Dans cette période compliquée, où il est encore plus difficile d’attirer l’œil des recruteurs, Charlotte n’hésitera pas à réitérer l’expérience : « Je sais que je retenterai l’expérience pour décrocher mon premier emploi, toute visibilité est bonne à prendre ! »

Du côté de Lenna, elle profite de sa notoriété sur LinkedIn pour aider d’autres étudiants qui ont des difficultés à trouver un stage ou une alternance : « J’ai mis en place un mercato solidaire et je partage régulièrement des candidatures et CV pour que tout le monde puisse profiter de la chance que j’ai eue. »

Photo d’illustration by WTTJ