Les neurosciences peuvent-elles améliorer notre vie en entreprise ?

09 déc. 2019

7min

Les neurosciences peuvent-elles améliorer notre vie en entreprise ?

D’après une étude Accenture, l’Intelligence Artificielle pourrait contribuer à augmenter la productivité mondiale de plus de 40% d’ici 2035. Pourtant, si les outils élaborés à partir de nos dernières découvertes en matière d’IA nous aident à être plus productifs, ils n’ont que peu d’incidence sur nos propres habiletés intellectuelles et émotionnelles. Dès lors qu’il s’agit de mieux appréhender nos capacités, nos relations avec les autres, nos réactions au stress ainsi que les nombreux signaux que nous envoie notre cerveau au quotidien, ce sont vers les neurosciences (les études scientifiques du système nerveux, ndlr) qu’il faut se tourner. Une observation qui ne laisse pas indifférent le monde de l’entreprise, en recherche constante d’axes d’amélioration.

Et si, plutôt que l’intelligence artificielle, les neurosciences étaient la véritable clé pour s’assurer d’une coopération optimale entre les cerveaux d’une même entreprise, mais aussi pour augmenter notre bien-être en entreprise ? Pour répondre à cette question, nous vous proposons une plongée dans le monde nébuleux de la neuroscience et de sa future incidence sur notre quotidien au bureau.

L’influence des neurosciences sur notre quotidien

Sans forcément avoir à se brancher des électrodes sur le cuir chevelu, les neurosciences permettent une meilleure analyse des mécanismes en action entre nos deux oreilles, que ce soit lors d’une réunion, d’une présentation, d’un travail de groupe, d’une interaction avec un supérieur, ou même d’une pause-café en solitaire…

La neuroscience : source d’enseignements précieux sur le bien-être

Selon Yuval Noah Harari, historien et auteur d’Homo Deus, l’un des trois challenges principaux de l’humanité dans les siècles à venir sera la recherche du bonheur. Un idéal qu’il nous sera impossible d’atteindre sans une profonde évolution de notre qualité de vie au travail. Un domaine que les neurosciences commencent à explorer. Dans un premier temps, elles ont permis de mettre en avant l’importance d’un environnement de travail en phase avec nos besoins cognitifs (notre besoin de connaissances, ndlr), toujours dans le but de nous rendre plus efficace. D’après Cog’X, une agence de conseil et d’études en sciences cognitives, que ce soit la manière que nous avons de prendre nos pauses, l’agencement de notre bureau ou même le niveau de luminosité à laquelle nous sommes soumis, de nombreux éléments influent sur les capacités de notre cerveau et impactent ainsi notre bien-être au travail.

Par exemple, la neuroscience nous apprend que notre cerveau est limité en termes de ressources et qu’une hyperconnexion à notre smartphone nous demande beaucoup d’énergie. De fait, cela va affecter notre capacité à entamer des actions susceptibles de faire baisser notre niveau de stress. Résultat, à mesure que notre connectivité augmente, nous devenons plus pessimistes, plus nerveux et surtout plus angoissés…

Peuvent-elles prévenir de certains maux ?

Au-delà du fait d’identifier des problématiques liées à notre fonctionnement neuronal, la neuroscience propose également des solutions palliatives et préventives pour remédier aux tours que peut nous jouer notre cerveau.

Elles peuvent d’abord nous aiguiller sur les pratiques les plus saines pour notre santé mentale. L’année dernière, par exemple, Elon Musk se targuait de travailler près de 120 heures par semaine et d’être proche du burn-out. Arianna Huffington, fondatrice du Huffington Post, son amie, lui a alors écrit une lettre ouverte dont nous ne citerons qu’une partie :

« Tu es une personne scientifique, concentrée sur les données. Tu es obsédé par la physique, l’ingénierie et la façon dont les choses fonctionnent. Applique donc cette même passion pour la science à toi-même. Les gens ne sont pas des machines. Pour les machines, un temps d’arrêt constitue un problème ; pour les humains, c’est une caractéristique. »

Des propos justes, mais surtout tirés de nombreuses études réalisées par des neuroscientifiques au sujet des effets de la fatigue sur notre cerveau et notre système nerveux. Une récente étude italienne publiée dans le Journal of Neuroscience va même jusqu’à utiliser les termes suivants : « Le cerveau commence à se manger lui-même après un manque de sommeil chronique. » L’employé efficace - sur le long terme - n’est désormais plus celui qui reste au bureau jusqu’au milieu de la nuit, mais bien celui qui rentre chez lui pour se reposer et déconnecter avant de revenir en pleine forme au travail le lendemain.

« Le cerveau commence à se manger lui-même après un manque de sommeil chronique. »

En plus de nous aider à nous sentir mieux, l’avènement des neurosciences a aussi permis de briser certains mythes pour les remplacer par des vérités scientifiques. Dans un podcast de L’usine digitale, Marie Lacroix, Docteur en neuroscience et co-fondatrice de Cog’X, nous explique qu’il est impossible d’apprendre en dormant - contrairement à la croyance populaire - mais que dormir après une leçon permettait de consolider la mémoire. Grande nouvelle pour les siesteurs, après une longue matinée de formation, rien de mieux qu’un petit somme pour faire passer les informations de la mémoire court-terme à la mémoire long-terme.

En adaptant la réalité du travail au fonctionnement de notre cerveau, en entreprise, les neurosciences pourraient bien apporter de l’intelligence aux méthodes de management et renforcer le bien-être des collaborateurs.

Vers un nouveau type de management ?

À l’heure où les nouvelles générations font leur premier pas sur le marché du travail, en quête de sens et de bien-être, les neurosciences sont un allié de poids pour s’assurer de capter et de conserver ces nouveaux profils. Des directions vont même jusqu’à mettre en avant le terme “neuromanagement” pour revendiquer un nouveau style de management.

L’intelligence émotionnelle, nouvel atout du manager

Utilisé pour la première fois en 1990 par le psychologue Peter Salovey et le sociologue John Meyer, deux universitaires américains, l’expression “intelligence émotionnelle” met en évidence le fait que la réflexion et les émotions ne sont pas deux outils distincts, mais bien un seul, découpé en trois processus mentaux :

  • L’évaluation et l’expression des émotions,
  • La régulation de ces émotions,
  • Et leur analyste qui détermine les processus cognitifs (comment un système traite l’information en y répondant par une action, ndlr)

L’intelligence est désormais si convoitée par les entreprises et par les managers, que les formations sur le sujet ne cessent de se multiplier. Les managers qui se forment à l’intelligence émotionnelle apprennent par exemple à éviter les attitudes purement réactionnelles, à intégrer de la bienveillance au quotidien dans leurs équipes, à travailler sur leur écoute, à faire des feedbacks positifs et constructifs plutôt que négatifs, ou encore adopter une posture de leader positif…
Un bon neuro-manager doit également maîtriser la communication non-verbale, que ce soit pour faire passer des messages ou en recevoir. Parfois même, la technologie peut lui venir en aide…

La Brain Tech

Forcément, lorsque de nouvelles découvertes sont faites dans un domaine, il faut peu de temps avant qu’elles ne se retrouvent entre les mains d’entrepreneurs, conscients de s’attaquer à un marché d’avenir.

L’émergence de la Braintech

De plus en plus d’entreprises tech se basent sur des recherches fondamentales en neurosciences pour créer des technologies qui nous permettront demain d’être plus efficaces. C’est ce que beaucoup appellent la Braintech. C’est le cas de Dreem, une scale-up française à l’origine d’un bandeau de nuit capable d’étudier en direct le comportement de notre cerveau pendant notre sommeil. Ce dispositif a pour vocation d’améliorer le repos via la diffusion d’un “bruit rose” par conduction osseuse. Résultat, des utilisateurs plus reposés et aux capacités naturellement décuplées.

Dans la même veine, nous pouvons citer la start-up Melomind qui a créé un casque EEG (électroencéphalographe) mesurant l’activité cérébrale de son utilisateur pour diffuser les musiques adéquates à son état et ainsi favoriser sa relaxation et diminuer son niveau de stress. C’est le fameux principe de “neurofeedback” qui consiste à utiliser les résultats d’analyses cérébrales pour y appliquer des modifications. Auparavant, de tels résultats ne pouvaient être obtenus qu’à partir d’analyses médicales approfondies. Aujourd’hui, grâce à une miniaturisation technologique avancée, il est devenu plus simple de récolter des données neuronales pour en tirer des enseignements.

Si depuis quelques années, les technologies de luminothérapie envahissent les rayons dédiés au bien-être, c’est aussi une conséquence des études en neurosciences. Pendant des milliers d’années, l’être humain a été habitué à vivre au rythme d’une lumière - le soleil - qui fluctue. Passer sa journée sous un néon de même intensité aurait tendance à fatiguer notre cerveau. C’est d’ailleurs pourquoi la lumière naturelle revient régulièrement comme étant le dénominateur commun à tout bureau de qualité.

Attention au neuro-bullshit

Chaque année, le fameux cabinet de conseil américain Gartner fait profiter au monde entier de son Hype Cycle for Emerging Technologies, une analyse de l’avancée des technologies les plus innovantes. En étudiant la version 2018 de ce rapport, un œil attentif remarquera que la technologie baptisée “Interface Cerveau-Ordinateur” (dispositif permettant de contrôler par la pensée un ordinateur, une prothèse ou tout autre système automatisé, ndlr) est encore au stade des “attentes élevées”. En d’autres mots, la neurotechnologie est un domaine où la recherche nourrit encore beaucoup d’espoirs, sans pour autant avoir atteint des résultats concrets satisfaisants.

Toujours selon les experts de chez Gartner, les neurotechnologies ne seront pas démocratisées avant au minimum une décennie. La recherche fondamentale a beau faire des découvertes prometteuses régulièrement, les applications réelles n’en sont encore qu’à leur balbutiement. Pourtant, ces promesses ne sont pas tombées dans l’oreille de sourds. Selon les chercheurs, le potentiel de la braintech est gigantesque. Preuve en est, selon une étude de SharpBrains, plus de 1600 brevets ont été déposés en 2015 dans cette catégorie, contre 400 en 2010 !

À l’heure où le monde ne jure que par l’Intelligence Artificielle censée nous faciliter le quotidien, les neurosciences nous permettraient peut-être de replacer la complexité du cerveau humain au centre des préoccupations des entreprises. Paradoxalement, ce sont grâce à nos avancées en matière d’imagerie cérébrale (ensemble des techniques issues de l’imagerie médicale qui permettent d’observer le cerveau, ndlr) que la recherche en neuroscience a pu faire un si grand bond en avant ces dernières années. Une alchimie entre le cerveau et la technologie qui bouleverse de nombreux aspects de notre quotidien au bureau ; de l’environnement de travail aux pratiques managériales en passant les synergies d’équipes.

Elon Musk - encore lui, a également placé de nombreux espoirs dans les neurosciences et plus particulièrement les technologies cognitives. Avec la création de Neuralink en 2016, il espère réussir à connecter des solutions d’intelligence artificielle à notre cerveau. L’objectif ? Ajouter une couche numérique directement à nos neurones afin de développer une grosse partie de nos capacités mentales. Une perspective à la fois effrayante et excitante, mais qui pourrait marquer le début d’une nouvelle ère cérébrale.

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Illustration by Pablo Grand Mourcel