« Les gens fuient les structures archaïques où il ne restera que les résignés »

16 juil. 2021

4min

« Les gens fuient les structures archaïques où il ne restera que les résignés »
auteur.e
Florence Abitbol

Journaliste indépendante et rédactrice de contenus

contributeur.e

Fondateur et CEO de Purpose for Good, organisateur de l’évènement The NextGen Enterprise Summit, Luc Bretones est accro aux nouvelles méthodes de management libéré, délivrées des archaïsmes. De ses réflexions, il signe L’entreprise nouvelle génération, co-écrit avec Philippe Pinault et Olivier Trannoy : 250 pratiques de management innovant pour mieux appréhender l’entreprise de demain.

Quelle épiphanie vous a fait passer d’une carrière dans la tech chez Orange à une recherche de fond sur le management ?

Luc Bretones : Durant mon parcours, j’ai vu beaucoup de business models être disruptés les uns après les autres. Mais un parangon résiste encore et toujours au changement : la forme canonique du management. En 130 ans d’existence, il n’a quasi pas bougé d’un pouce. Ce modèle, qui a largement fait son temps, m’a poussé à chercher d’autres formats possibles.

Votre livre L’entreprise nouvelle génération, co-signé avec Philippe Pinault et Olivier Trannoy explore, en 400 pages et moult témoignages, les possibles du management du futur. On imagine que ce n’est pas un projet qui se fait en 1 jour…

L. B. : Tout repose sur l’essentiel : le terrain. Dans mon cas, c’est 20 ans d’expérience personnelle en management qui sont à l’œuvre, du plus tradi au plus moderne. Des années à tester, expérimenter, s’engager et surtout à remettre en question ce que j’avais appris. Parmi mes essais de méthodes agiles, il y a eu le SCRUM [un cadre de gestion de projet dynamique et participatif inspiré par les mêlées de rugby NDLR] et plus globalement, des méthodes de gouvernance partagée ou collaborative, où la confiance est au cœur du processus. Après est venu le temps de la réflexion et ma recherche personnelle s’est changée en projet de livre. Je suis allé à la rencontre de ceux qui ont laissé le management classique derrière eux, avec pour point de départ la bucket list du site Corporate Rebels, qui répertorie les entreprises et personnes qui repensent le travail.

L’herbe a souvent l’air plus verte ailleurs… Quel constat tirez-vous du paysage managérial actuel en France ?

L. B. : Ici, on se repose sur un mode de management assez archaïque, traditionnel, voire patriarcal, avec une pyramide hiérarchique immuable qui génère pas mal de dégâts collatéraux. En bref, on baigne dans le même jus depuis longtemps. Résultat : l’économie française reste ancrée autour des mêmes fleurons depuis des décennies, et aucun géant de la tech n’a émergé en Europe. Ceci est lié à des modèles managériaux très classiques, qui génèrent un engagement faible au sein des entreprises.

Quelles sont les valeurs phares qui guident les nouveaux managements libérés ?

L. B. : Ils doivent avant tout fédérer et réengager des groupes de talents autour d’une mission avec un impact, généralement sur la société ou l’environnement. C’est parce qu’on se projette dans un but plus grand que soi, qui ne pourrait pas se réaliser seul, qu’on fait entreprise pour répondre à cette mission. On développe ainsi de l’estime de soi, tout simplement. Or, pour faire entreprise, la collaboration repose sur des valeurs partagées, valables pour une communauté, et des principes de fonctionnement au quotidien. Les plus importants sont : d’être responsable non pas envers un chef, mais vis-à-vis de ses pairs, ce qui est beaucoup plus engageant et qui a pour corollaire l’autonomie. Ensuite la transparence : elle est vitale dans les équipes agiles et pluridisciplinaires pour partager les informations en temps réel. Et en fil rouge, la confiance qui doit être présente à tous les instants. Sans tomber dans le total lâcher-prise, contrôler et surcontrôler ne sert à rien.

Dans votre livre, la quête de sens d’une entreprise apparaît comme un pivot essentiel vers le management libéré. En quoi consiste cette démarche ?

L. B. : Les entreprises qui rament à trouver leur sens sont celles gouvernées par 1, 2 ou 5 personnes, qui pilotent en petit comité. Le problème, c’est qu’avec de telles organisations, on fonce dans le mur à grande vitesse. Les gens fuient ces structures archaïques où il ne restera que les résignés. En revanche, lorsqu’on laisse l’organisation s’exprimer, l’intelligence collective prend le dessus et le corps social va vous expliquer sa mission, comme le démontrent très bien les travaux d’Émile Servan-Schreiber dans son livre Supercollectif.

Concrètement, pour faire bouger les choses, par où doit commencer un·e manager pour libérer son entreprise ?

L. B. : Le principal facteur clé du succès, c’est le mindset. Si les dirigeants sont fermés, c’est perdu d’avance. La stratégie du bottom-up, où les derniers maillons impulsent le changement, n’est pas assez puissante. Une fois les dirigeants convaincus, on démarre directement avec le corps social de 50 ou 100 personnes. Souvent, il est favorable aux changements, mais peine à les mettre en place. Il faut repérer ceux qui veulent passer à l’action pour en faire des leaders d’opinion. Un peu de coaching à base de self-management, et on leur permet d’expérimenter et convertir d’autres personnes au changement. Ensuite, la loi naturelle fait le travail : à 20% d’acceptation d’une modification majeure, l’affaire est gagnée. Enfin mon petit grain de sel sur le changement de management : je ne crois pas au blitzkrieg managérial. Tout est dans la progressivité, l’assimilation en douceur, résolue, mais à un rythme humain.

Face à une organisation du travail de moins en moins attractive et un désengagement des collaborateur·rice·s, vous proposez de déployer la cohésion et la participation. Est-ce un moyen de faire barrage à l’exode des salarié·e·s vers le freelancing ?

L. B. : Pour moi, ces deux mouvements ne sont pas incompatibles et la blockchain va accélérer la constitution d’entreprise. Exemple IRL : dans l’état du Wyoming aux États-Unis, le DAO [decentralized autonomous organization, organisation autonome décentralisée en français NDLR] s’appuie sur le blockchain, et permet à des freelances de nouer avec une entreprise sur un contrat blockchainé. On voit émerger des formats inédits, qui permettent aux individus de s’y retrouver dans leurs engagements. Désormais, faire entreprise ne se résume plus au sacro-saint salariat. Mon image préférée, c’est celle de l’oiseau qui est dans sa cage depuis trop longtemps et ne sort plus lorsqu’on lui ouvre la porte. Nous devons retrouver cette envie de sortir des schémas et remettre en route nos capacités apprenantes.

Article édité par Ariane Picoche

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