Démuni face à un proche en souffrance au travail : comment gérer ?

Dec 03, 2020

7 mins

Démuni face à un proche en souffrance au travail : comment gérer ?
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Coline de Silans

Journaliste indépendante

« T’inquiète ça va aller », « tu vas bien finir par trouver autre chose », « allez, vois le positif, ça pourrait être pire … » Il faut bien l’avouer, la dernière fois que votre meilleur(e) pote vous a confié ses difficultés au travail, vous n’avez pas brillé par la pertinence de vos conseils. Et pourtant, vous ne demandiez pas mieux que de l’aider. Oui mais voilà, aider un proche qui est en situation de mal-être au boulot, ce n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît. Comment appréhender les difficultés professionnelles de l’autre, alors que vos domaines de compétences sont parfois très éloignés ? Comment rester positif sans tomber dans les banalités ? Et comment gérer quand la souffrance professionnelle de l’autre est trop grande, et nous dépasse ? Adrien Chignard, psychologue du travail, nous a donné quelques clés pour éviter de se sentir trop démuni dans ces situations parfois délicates.

Ne vous mettez pas à la place de l’autre

Qui n’a jamais commencé un discours par « Moi, à ta place, ce que je ferais… » face à quelqu’un qui s’épanchait sur ses difficultés au travail ? Pourtant, essayer de se mettre à la place de l’autre sous couvert de vouloir l’aider est une erreur assez commune selon Adrien Chignard. « On est assez vite infantilisant avec ceux qui vont mal, souligne le psychologue. Il faut garder en tête que l’on n’est pas à la place de l’autre. Dire « à ta place, je ferais ça », c’est supposer que l’autre n’a pas déjà envisagé ces solutions, et c’est assez dégradant. Souvent, quand quelqu’un ne se sent pas bien dans son boulot, il n’a pas besoin d’être conseillé, il a besoin d’être considéré. »

Un constat auquel est arrivé Sophie, 31 ans, dont le conjoint cherche à changer de poste depuis plusieurs mois, sans succès. « Après plusieurs échecs lors de ses entretiens d’embauche, je me suis dit que peut-être qu’il ne disait pas ce qu’il fallait, se remémore la jeune femme. J’ai donc commencé à tendre l’oreille quand il passait des entretiens, vu qu’il travaillait de la maison, et souvent je le « débriefais », malgré moi. Je lui disais « quand il t’a posé telle question, tu aurais peut-être dû dire ça… » Jusqu’au jour où il a explosé et m’a dit qu’il n’en pouvait plus que je lui dise ce qu’il aurait fallu qu’il fasse. Sur le coup, ça a été assez violent mais ce fut salvateur : on a eu une vraie conversation lors de laquelle je me suis rendue compte qu’effectivement il n’avait pas besoin de conseils - d’autant plus que l’on travaille dans des domaines très différents - mais de soutien. À force de vouloir le conseiller, je le faisais se sentir encore plus incompétent. »

Lorsque que quelqu’un se sent mal dans son entreprise, et ce quelle que soit sa situation, il va avant tout avoir besoin d’être entendu. « Bien souvent, celui qui souffre au travail a identifié les causes de son mal-être, souligne Adrien Chignard. Parfois, il a même déjà les solutions en lui. Ce n’est pas tant de conseils dont il a besoin mais plutôt d’un espace où exprimer ses doutes et ses angoisses. »

Écoutez… pour de vrai

Face à quelqu’un qui ne se sent plus en phase avec son travail, l’écoute est donc primordiale. Mais être à l’écoute est plus difficile qu’il n’y parait. En effet, on est souvent tenté de conseiller l’autre à l’aune de sa propre expérience, de le rassurer, voire de balayer ses peurs, juste parce que l’on n’est pas disponible pour l’écouter.

« Écouter quelqu’un, ça signifie ne pas l’interrompre, ne pas parler de soi et se taire. On peut pratiquer une écoute active, en posant des questions, en reformulant ce qui a été dit, en creusant quand on sent qu’il y a quelque chose à creuser » - Adrien Chignard, psychologue du travail

« Il y a quelques années ma meilleure amie travaillait dans la restauration, et elle s’y sentait mal. Elle voulait changer de métier mais ne savait pas vraiment vers quoi se réorienter. On en avait discuté un peu, et je l’avais fortement incitée à changer de domaine, se souvient Julien, ingénieur dans l’aéronautique. Je pensais l’avoir convaincue. Quand quelques mois plus tard, elle a décroché un poste de serveuse dans un autre établissement, je n’ai pas compris. Ce n’est qu’en en reparlant récemment avec elle, maintenant qu’elle a entamé une reconversion en œnologie, que j’ai réalisé qu’à l’époque je n’avais pas su l’écouter. Sur le moment elle avait surtout besoin de changer d’air, mais elle n’était pas encore prête à se réorienter complètement. Elle avait besoin de plus de temps, là où moi je la poussais à se reconvertir sans attendre. »

Adrien Chignard rappelle qu’« écouter quelqu’un, ça signifie ne pas l’interrompre, ne pas parler de soi et se taire. On peut pratiquer une écoute active, en posant des questions, en reformulant ce qui a été dit, en creusant quand on sent qu’il y a quelque chose à creuser. Mais on ne parle pas de soi : on écoute, sans chercher ni à conseiller, ni à convaincre, ni à rassurer. » Toutefois, pour écouter ce qu’un proche en souffrance a à nous dire, encore faut-il qu’il soit à même de le verbaliser.

Partez de votre propre ressenti

L’une des difficultés principales quand il s’agit de soutenir un ami, un conjoint ou un membre de sa famille, est de parvenir à comprendre le problème qui se pose à lui. Et pour cela, il faut que celui qui souffre puisse exprimer librement ses angoisses. Face à quelqu’un qui ne semble pas prêt à se confier, Adrien Chignard conseille de parler de son propre ressenti. « Quand quelqu’un va mal, il faut explorer la situation, explique-t-il. Si l’autre a du mal à verbaliser, on peut commencer par donner son feedback, toujours en partant du « je » et non du « tu », pour ne pas le culpabiliser. Par exemple : « Je constate que tu es un peu moins présent(e) en ce moment, que tu n’as plus trop d’enthousiasme, cela m’inquiète un peu, j’aimerais qu’on puisse en parler. » Rien que le fait de pouvoir mettre des mots sur son mal-être va déjà être un apaisement pour la personne concernée.

« Ce qui nous a beaucoup aidé, c’est quand j’ai fait remarquer à mon conjoint que le sujet du travail était devenu presque tabou entre nous, et que cela m’affectait beaucoup, se rappelle Céline. Il m’a alors avoué que ces entretiens d’embauche avortés étaient particulièrement durs à vivre pour lui. Lui qui a toujours été brillant à l’école, qui n’a jamais connu de difficultés dans son parcours professionnel, s’est soudainement retrouvé bloqué. Il se sentait complètement démuni face à ses échecs répétés. Là où quelqu’un d’autre aurait sans doute réussi à relativiser, lui se remettait complètement en question. »

Partir des conséquences que le mal-être de notre proche a sur la relation que l’on entretient avec lui, peut être un bon point de départ pour l’inciter à se confier sans le culpabiliser. Ce n’est qu’une fois la parole libérée, et le mal-être compris et entendu, que des solutions peuvent se dessiner.

Bien orienter l’autre

Quand un proche nous fait part de ses difficultés professionnelles, il n’est pas rare que surgissent au cours de la conversation des ressources et des solutions qu’il portait déjà en lui mais qu’il n’avait pas eu l’occasion de creuser. Dans ce cas, une bonne discussion et une écoute qualitative peuvent parfois suffire à soulager le mal-être.

Vous pouvez mettre en place des formes de soutien plus concrètes en fonction du problème rencontré : simuler un entretien d’embauche, pour aider l’autre à être bien préparé, écrire ensemble ce qu’il conviendrait de dire à son manager, rédiger un brouillon de mail ou une lettre de démission à deux… Et lorsque le mal-être est trop profond, orienter la personne vers les professionnels adéquats : conseillers d’orientation ou professionnels de la santé. Car parfois, la souffrance de l’autre est telle qu’elle est impossible à porter seul(e).

Ce fut le cas pour Mathilde, dont le compagnon a fait un sévère burn-out il y a quelques années : « Mon conjoint était en alternance, il venait d’entamer une reconversion professionnelle. Tout se passait a priori bien, mais il avait une charge de travail relativement élevée qu’il semblait avoir de plus en plus de mal à gérer. Au début, je ne me suis pas spécialement alarmée, je pensais qu’il était juste un peu débordé, comme ça peut arriver à tout le monde. Mais petit à petit, je le voyais changer. C’est quelqu’un de très sociable à la base, de jovial, et là il se renfermait sur lui-même. Il parlait beaucoup de son travail, il devenait très irritable… J’ai essayé de lui changer les idées en lui proposant des sorties et des activités, mais plus rien ne lui faisait envie. Un matin, il s’est levé et m’a dit : « Je ne peux pas y aller ». Il a été arrêté quelques jours mais cela n’a rien changé. Moi j’étais complètement impuissante, je le voyais s’enfoncer dans la dépression et je ne savais plus quoi faire. J’ai fini par appeler ses proches, et avec sa mère, nous lui avons trouvé un psychiatre qui a tout de suite diagnostiqué un burn-out. C’est seulement là que les choses ont commencé à aller un peu mieux, même s’il lui a fallu plusieurs mois pour s’en sortir. »

Se sentir impuissant face au mal-être de l’autre est tout à fait naturel dans la mesure où l’on ne peut pas vivre à sa place ce qu’il traverse. On peut l’écouter, l’aider, l’orienter, mais parfois, l’aide d’un professionnel est indispensable. « Nos capacités à recevoir la peine d’autrui sont limitées, explique Adrien Chignard. Prendre sur soi la toxicité émotionnelle de l’autre n’est pas la solution. »

Ne culpabilisez pas inutilement

« Toutes les aides ne débouchent pas nécessairement sur des mesures concrètes, on peut aider l’autre en lui redonnant une certaine estime de lui-même. » - Adrien Chignard, psychologue du travail

Face au sentiment d’impuissance que peut nous provoquer le mal-être d’un proche, beaucoup culpabilisent et ont l’impression d’échouer dans leur rôle d’ami, de conjoint, ou de membre de la famille. Pourtant, cette culpabilité n’a pas lieu d’être. Là encore, il ne faut pas se méprendre sur ce que signifie “soutenir” l’autre. Il ne s’agit pas de lui trouver un travail, de régler tous ses problèmes avec son boss ou de lui trouver miraculeusement une nouvelle voie dans laquelle s’épanouir, il s’agit avant tout de l’écouter.

« On a souvent une mauvaise représentation de ce qu’est aider l’autre, éclaire Adrien Chignard. On se dit que pour aider un proche, il faut à tout prix le sortir de la situation dans laquelle il est. Or, aider l’autre ce n’est pas nécessairement lui trouver des solutions, mais le considérer. Toutes les aides ne débouchent pas nécessairement sur des mesures concrètes, on peut aider l’autre en lui redonnant une certaine estime de lui-même, en lui procurant un soutien émotionnel… En résumé, il faut essayer de donner à l’autre les moyens de traverser les embuches de la vie, et non essayer de les traverser à sa place. » D’autant plus qu’en ce moment, les épreuves sont nombreuses !

Si les causes du mal-être au travail peuvent être multiples, il ne faut pas oublier qu’en temps de pandémie, il est normal de ne pas se sentir au top. « On néglige souvent l’impact que l’environnement actuel a sur nous, souligne le psychologue. On pense trop souvent que notre bonheur dépend entièrement de nous, mais nous sommes en pleine crise en ce moment, c’est normal de se sentir un peu triste, ou déprimé, il ne faut pas diaboliser cela. » Il faut remettre les choses dans leur contexte donc, relativiser tant que faire se peut, et surtout, maintenir le lien social, si précieux en ces temps difficiles !

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Photo d’illustration by WTTJ

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