Pourquoi l'herbe semble toujours plus verte dans le job du voisin ?

03. 6. 2021

7 min.

Pourquoi l'herbe semble toujours plus verte dans le job du voisin ?
autoři
Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Gabrielle de Loynes

Rédacteur & Photographe

« Lui, son métier est super gratifiant », « Infirmière en soins palliatifs, ça c’est un job qui a du sens ! », « Prof c’est trop bien, on est en vacances toute l’année », « Et ce bloggeur qui gagne sa vie à voyager »… Ah ça fait rêver ! C’est plus fort que nous. Lorsqu’on jette un œil sur la parcelle d’à côté, l’herbe y paraît toujours plus verte. Le sol est plus fertile, le terrain mieux exposé et le jardinier mieux outillé. Tout pousse sans effort. Il n’y a qu’à se pencher pour récolter les fruits. Bienvenue au paradis, ce Jardin d’Eden si parfait et luxuriant. Un rapide coup d’œil de notre côté du mur et l’on vacille. Chez nous, tout nous semble être terre en friche, terrain vague où poussent mauvaises herbes et mauvaises graines. Ça ne prend pas. Alors, on se lamente, on rumine, on est frustré… Vanessa Lauraire, psychologue du travail et psychothérapeute, revient sur ce réflexe naturel qu’est la comparaison et nous donne des clés pour faire de notre frustration un moteur d’actions.

La comparaison : une question de survie

« Nous sommes tous soumis aux pensées comparatives, relativise Vanessa Lauraire. Notre cerveau reptilien a pour mission d’assurer notre survie et, pour se faire, nous devons répondre à un programme qui nous dit de se nourrir, se reproduire, de récolter un maximum d’informations, d’explorer, de conquérir et de dominer notre environnement. Le tout, avec un minimum d’efforts ! » La comparaison est donc instinctive. « J’observe mon environnement et je me compare pour m’efforcer d’être le meilleur et assurer ma survie, poursuit-elle. Nous sommes câblés pour améliorer sans cesse notre position sociale. »

Depuis l’homme de Neandertal jusqu’à l’homo modernus, nous sommes tous sujet à la comparaison. « Il y a toujours eu des comparaisons, à toutes les époques, ce ne sont que les références et les modèles qui changent, reprend la psychologue. Pour autant, aujourd’hui, dans nos sociétés occidentales, il n’est plus question de danger réel et immédiat. C’est un danger d’ordre psychologique que de penser que “l’autre est meilleur, mieux que moi”. Cet autre est alors perçu comme une menace. Et on se compare, on évalue, pour choisir la meilleure des stratégies possibles : la fuite (“Je me sens nul, j’évite”), l’inhibition (“Je ne bouge pas, je fais le mort”) ou la compétition (“Je me bats, je me dépasse”). »

De la comparaison à la frustration…

Lorsque je regarde chez le voisin, je vois en lui ce que je n’ai pas, ce qui me manque. « On cherche tous à combler ce vide en regardant à l’extérieur ce que l’on n’arrive pas à trouver en nous-même », constate Vanessa Lauraire. L’autre paraît mieux que moi. Il gagne plus d’argent, occupe un poste plus important, dispose d’un plus large réseau, exerce un métier qui a plus de sens, bénéficie d’un meilleur équilibre de vie…

« La comparaison génère une forme de frustration, poursuit la psychologue. Ce sentiment de frustration n’est ni bien ni mal en soi, il va motiver une réaction. » C’est ainsi que la frustration issue de cette comparaison peut générer de l’admiration, de l’inspiration, une stimulation, ou au contraire du stress, de la colère, de la jalousie et autres ruminations ou pensées négatives.
La frustration engendre ainsi des “actions projectives” comme se dépasser pour atteindre un objectif, s’améliorer pour être “aussi bien que l’autre” ou, à l’inverse, des actions délétères comme celles de se dévaloriser, de s’épuiser (burnout), ou “d’anéantir” l’autre identifié comme un ennemi.

Fantasmes : gare aux biais de perception !

Quoi de plus naturel donc que la comparaison ? Autrefois la référence était d’avoir un CDI dans un grand groupe ou de recevoir un gros salaire. « Aujourd’hui, la norme sociale est plus subtile, relève Vanessa Lauraire. On est en quête de sens, d’un équilibre de vie. Or, cette nouvelle référence donne bien plus de terrain à la comparaison. » Peu à peu, elle se glisse dans tous les volets de notre vie. Et les réseaux sociaux en sont les meilleurs terrains de jeux ! LinkedIn nous donne à voir les carrières brillantes de nos anciens camarades et Instagram affiche le portrait de familles parfaites. Partout, Internet, la publicité, le marketing nous renvoient une image idéale de l’autre, nous conduisant sans cesse à nous comparer et nous dévaloriser. « La société fait de nous d’éternels insatisfaits », constate la psychologue.

« Nous avons tous tendance à fantasmer des profils de vie, reprend-elle. Le problème, c’est que nous ne voyons pas l’autre tel qu’il est. Nous sommes soumis à des biais de perception qui font que je ne vois en l’autre que ce que j’ai envie d’y voir et ce qu’il me montre à voir. » Si l’on prend l’exemple d’un chef étoilé. L’image que je perçois de sa réussite est faussée. Derrière la façade du succès, le métier passion, je ne vois pas les heures passées à douter, le stress qui l’habite, les premiers mois sans client, les galères financières et tous ses sacrifices personnels. Pourtant, c’est le lot de tous les chefs étoilés !

« Il est important de ramener son rêve à la réalité et de s’efforcer d’obtenir une vision globale de l’autre », insiste Vanessa Lauraire. Alors, quand on fait un pas de côté, qu’on perçoit le cliché dans son ensemble, la vie professionnelle ou personnelle de l’autre nous paraît tout à coup moins parfaite qu’il n’y paraît… Bienvenue dans la réalité !

5 conseils pour mieux vivre sa comparaison au travail

Notre société se joue de nos biais cognitifs. Nous sommes sans cesse soumis à des injonctions sociales, souvent contradictoires. « Pour ne pas sombrer dans la comparaison, recommande la psychologue, il est impératif de s’ancrer dans la réalité et de retrouver sa lucidité. » Voici 5 conseils pour y arriver…

1. Reconnaître ses propres besoins

On se figure souvent que les autres exercent un métier parfait. « Or, un métier s’inscrit toujours dans une organisation et il n’y a pas d’organisation parfaite, nous met en garde la psychologue. Il n’existe pas de situation parfaite, tout dépend de ce qu’on cherche dans son métier. » Qu’est-ce qui est le plus important dans mon travail ? Quelles fonctions doit remplir mon travail dans ma vie ? Quels besoins doit-il satisfaire ? « Reportez-vous à la célèbre pyramide des besoins de Maslow », invite Vanessa Lauraire. Demandez-vous où vous vous positionnez par rapport à votre métier. Est-ce qu’il doit satisfaire vos besoins physiologiques et de sécurité ? Est-ce que vous recherchez en lui de la reconnaissance ou un sentiment d’appartenance à un groupe ? « Il y aura nécessairement des frustrations, car un métier ne peut pas satisfaire tous ces besoins, concède-t-elle. C’est à chacun de se fixer ses priorités et objectifs. »

2. Accepter la frustration et la modération

« Il faut ensuite accepter la frustration, reprend la psychologue. Il y aura toujours des manques qui apparaîtront avec le choix d’un métier, car choisir c’est renoncer. » Ainsi, vivre de sa passion implique souvent de faire une croix sur le fait de bien gagner sa vie. « Si vous attendez de votre travail qu’il vous garantisse un salaire tous les mois, dans ce cas, mieux vaut faire de votre passion, votre loisir », suggère Vanessa Lauraire. Si, au contraire, vous êtes en quête de sens et d’épanouissement personnel au quotidien dans votre activité professionnelle, vous serez plus à même de renoncer à un travail offrant une situation confortable. « L’équilibre se trouve dans le fait d’accepter que tous nos désirs ne peuvent pas être satisfaits par et dans le travail, précise-t-elle. Il nous appartient alors de construire notre meilleur équilibre. »

3. Rester ouvert aux opportunités et au changement

« L’équilibre se trouve dans le mouvement », analyse la psychologue. Pour être sûr d’être en phase avec ses aspérités et de ne pas éprouver de frustrations destructrices, « Il faut sans cesse se remettre en question, poursuit-elle. L’équilibre qui a pu me satisfaire à un instant T peut évoluer. Restez ouvert, cultivez votre curiosité, prenez du recul pour ne pas vous enfermer dans une voie, continuez à apprendre sur vous-même, formez-vous pour acquérir de nouvelles compétences » Lorsque revient la comparaison de manière récurrente, peut-être est-ce le signal que l’équilibre ne convient plus. Il faut alors se réinterroger sur ses envies et besoins. Sont-ils pleinement satisfaits au regard de la situation actuelle ?

4. Se confronter à la réalité

Nos biais de perception nous induisent en erreur. Ils nous offrent une vision fallacieuse de la réalité. Chaque fois que l’on est en proie à la comparaison, efforçons-nous donc de faire un pas en arrière. « Il faut apprendre à changer son regard sur soi et sur les autres, propose Vanessa Lauraire. Cela commence par arrêter de fantasmer les métiers des autres. » Certains métiers vous font littéralement rêver ? Vous vous sentez l’étoffe d’un entrepreneur, un chef cuisto ou un photographe ? « Faites la liste des métiers qui vont font fantasmer, suggère la psychologue. Et confrontez le rêve à la réalité. » Rencontrez des personnes qui exercent ce métier, allez voir concrètement comment ça se passe, échangez avec eux sur leur quotidien, leurs avantages et inconvénients. Puis confrontez le résultat de cette enquête à vos besoins. Vous vous apercevrez que, bien souvent, le rêve ne correspond pas à la réalité.

5. Être toujours actif, cesser de subir…

Enfin, la comparaison peut générer du stress, des pensées négatives, des ruminations. Si on en a « plein le dos » et qu’on est dans une insatisfaction permanente, c’est que quelque chose ne va pas. « Rien ne sert de râler et de ruminer, il faut agir, recommande la psychologue. Il ne faut pas subir la situation, mais assumer que l’on est responsable de ce que l’on vit. » Si ça ne va pas, que vous vous comparez sans cesse aux autres et, qu’après confrontation à la réalité, l’herbe est véritablement plus verte ailleurs, alors il vous faut réinventer votre job. « Cela n’implique pas nécessairement de tout quitter pour changer de job, parfois une mutation en interne suffit », insiste Vanessa Lauraire. Et si vous n’arrivez pas à prendre de recul et à franchir le cap de passer à l’action, faites-vous accompagner. Psychologue, coach, association, bilan de compétences, de nombreuses options s’offrent à vous.

Alors ? À bien y regarder, qu’il y-a-t-il de plus chez le voisin ? L’herbe est-elle vraiment plus verte ailleurs ? « Quand je me compare à mon voisin, je me projette dans un état idéal, conclut la psychologue. Prenez garde, il faut sans cesse ramener le rêve à la réalité. » L’herbe vous semble plus grasse dans la parcelle d’à côté ? Relevez-vous les manches et mettez les mains dans la réalité. La vie se révèle souvent plus terre à terre qu’il n’y paraît…

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Édité par Manuel Avenel
Photos by WTTJ

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