Augmentation de salaire : faut-il menacer de partir pour l’obtenir ?

20 déc. 2021

7min

Augmentation de salaire : faut-il menacer de partir pour l’obtenir ?
auteur.e
Caroline Roux

Journaliste freelance

Vous êtes au pied du mur concernant cette augmentation que vous peinez à obtenir depuis des mois ? Cette fois, vous perdez patience et comptez abattre votre dernière carte… Vous jouez le tout pour le tout et tentez de faire plier votre boss par la méthode forte : menacer de quitter l’entreprise si votre salaire n’est pas revalorisé. Si l’idée de lui poser un ultimatum vous passe par la tête, sachez que cette démarche radicale n’est pas sans risque… Rompre tout dialogue avec son employeur en le menaçant directement de claquer la porte s’il n’accède pas à votre demande, dans un dernier souffle épique (et désespéré), pourrait bien vous mettre dans une situation délicate. Et cette démarche, pour le moins cavalière, sera-t-elle pour autant suivie d’effets ? C’est quitte ou double.

Nous avons donné la parole à des salariés qui ont osé ce véritable coup de poker puis interrogé Sandra Bondon, thérapeute et coach professionnelle, pour faire toute la lumière sur ce pari intrépide.

Quand la fin justifie les moyens

Matthieu (1), 25 ans, en a fait l’expérience. « Il y a deux ans, je passais des entretiens pour intégrer une agence de communication. Je pensais qu’il s’agissait d’un CDI, mais il n’en était rien. Ils proposaient en fait 2 CDD de 3 mois, puis une embauche en contrat indéterminée sans période d’essai ». Pas réticent, le jeune homme poursuit le processus de recrutement, et expose ses prétentions salariales. « On me répond immédiatement que ce salaire est nettement au-dessus des grilles appliquées dans la structure. On me propose 26K bruts, une grosse déception, alors que j’espérais plutôt une offre autour de 38K, pourtant pas hors sol par rapport au poste et ses responsabilités », déplore le chef de projet. On lui fait miroiter une possibilité de renégociation lorsqu’il signera son CDI. « Entre temps, je fournis tous les efforts nécessaires et je subis : horaires à rallonge, rythme intenable, et grosse charge mentale », commente Matthieu.

Celui qui apprécie malgré tout ses missions, finit par se voir offrir une proposition de CDI. Et là (mauvaise) surprise ! « Aucune augmentation ne vient sur le tapis. On ne m’ouvre absolument pas la porte pour entreprendre des négociations », précise-t-il. Médusé, Matthieu ne se laisse pourtant pas abattre. « Je sors ma plus grande poker face, et je tente un gros coup de bluff : j’explique à ma manager que j’ai reçu une autre proposition à 35K, et que, s’ ils ne s’alignent pas, je partirais », raconte-il. Mais cette bravade ne s’est pas faite sans aucun filet de sécurité : Matthieu avait commencé à passer des entretiens en parallèle. « Après ma demande, les choses ont traîné. J’ai dû prendre une nouvelle initiative et les mettre devant le fait accompli pour avoir une réponse. Quand celle-ci arrive enfin, elle est négative », relate-t-il. Une déception qui n’en est pas réellement une pour celui qui est désormais au bout du rouleau et se souvient à cet instant « préférer être au chômage que de supporter encore cette exploitation. » Mais les étoiles sont alignées, et Matthieu reçoit une offre au salaire escompté durant la même semaine pour rejoindre un cabinet de conseils.

Mathilde a, elle aussi, entamé un bras de fer avec ses employeurs, mais dans le cadre d’une action groupée. « Je commence un job alimentaire dans une boite d’événementiel en 2019. On me propose un CDI sur la base de 22K, avec +2 de variable. C’est faible, mais à l’époque je cherche à monter ma société et cela me permet d’avoir un revenu fixe », explique-t-elle. Entre-temps, la pandémie est passée par là, et elle est mise au chômage durant près d’un an et demi. Mais, à son retour, les choses ont bien évolué.

« J’intègre désormais un autre pôle en tant que chargée de communication. Je participe au lancement d’une nouvelle marque, et je fais mes preuves, pouvant enfin dévoiler mes talents artistiques et créatifs, poursuit-t-elle. Afin de formaliser mon changement de poste, nous nous entretenons avec le département RH lors d’un rdv plutôt lunaire. Y sont abordées diverses questions, mais le salaire est toujours mentionné sous un angle flou, des pourparlers absurdes, et au final, je n’obtiens aucune réponse quant à ma demande de passer à 40K, nouvelles missions et responsabilités obligent. » Les semaines passent, Mathilde s’impatiente. Elle n’est pas la seule dans ce cas, l’ensemble du pôle est en train de renégocier son salaire, déplorant des inégalités de revenus par rapport à d’autres services de l’entreprise. De son côté, la chargée de communication ne voit pas le bout du tunnel : « Les échanges n’en finissent pas. Alors, je change mon fusil d’épaule et j’explique clairement que je n’accepterai pas de poursuivre avec eux en-dessous de 40k. Face à cette annonce, mes interlocuteurs se crispent, la discussion se corse. Pourtant, la solidarité d’équipe est bien là, nous faisons front commun tous ensemble, mais nous ne sommes pas entendus, malgré de multiples appels. » Après 5 entretiens, aucun compromis n’est trouvé, et les relations entre Mathilde et son employeur sont clairement entachées. Finalement, elle arrive à un stade de non-retour. « Je suis vidée, je n’ai plus de motivation, je pense désormais me concentrer sur mon projet de freelance en parallèle. » Concernant le reste de l’équipe : certains sont restés sur le carreaux et sont partis, d’autres ont trouvé un compromis dans la douleur acceptant par dépit une proposition pas à la hauteur de leurs attentes. Mathilde a fini par renoncer et a claqué la porte pour aller de l’avant et se lancer à 100% en auto-entrepreneuse.

De son côté, Léa, qui évolue dans le milieu de l’audiovisuel, a rencontré plus de succès. « Je suis recrutée à 1800 bruts pour travailler en tant qu’assistante pour une émission de télévision quotidienne. Lorsque ma supérieure démissionne, je suis appelée pour la remplacer. C’est dans l’ordre des choses et une aubaine pour moi : l’occasion de faire un bon dans ma rémunération qui passe à 2500 euros bruts. Cependant, je sais que je suis moins bien payée que ma prédécesseure qui était gratifiée de 1000 euros de plus que moi, alors que j’exerce désormais les mêmes fonctions qu’elle. En tant qu’intermittente du spectacle, j’oscille entre reconnaissance pour ceux qui m’ont donné ma chance et frustration », explique-t-elle. Secouée par des sentiments contradictoires, la jeune femme ne se démonte pas pour autant, et entreprend une croisade pour rétablir un semblant de justice. « Dans un premier temps, j’arrive à obtenir une petite prime, un signal positif mais qui ne me satisfait pas pleinement. Je suis cependant en position de force, travaillant dans une petite boite de production qui repose sur des liens de confiance, que nous avons tissés au fil du temps. J’ai été formée durant 1 an, un investissement humain et professionnel que tout le monde souhaite rentabiliser. Je ne lâche rien et je pose mes conditions : 3000 euros ou rien », explique Léa. La réponse ne se fait pas tarder : la direction accède à sa demande.

Notre protagoniste laisse passer une année, mais n’a pas perdu de vue son objectif : avoir le même salaire que la personne qu’elle a remplacée. « L’année suivante, je repars en négociation, et je réitère ma menace de partir s’ils refusent, même si, évidemment c’était du bluff. Cette fois mes supérieurs s’agacent, ils sont irrités, leur seuil de tolérance est bientôt atteint. Mais je suis un bon élément, tout se passe bien, et ma demande est parfaitement justifiée : je finis par avoir gain de cause », conclut-t-elle.

Alors, mettre le couteau sous la gorge de son employeur : stratégie payante ou sommation inconsidérée ? Sandra Bondon nous aide à faire le point et passe en revue les alternatives à cette technique d’intimidation pas toujours recommandable.

L’ultimatum, une opération risquée

Tout d’abord, rassurez-vous : à priori, votre demande d’augmentation est parfaitement légitime. Vous avez travaillé dur toute l’année et vous avez contribué à la croissance de l’entreprise. Pour autant, une revalorisation salariale n’est pas automatique. Il faut parfois aller au front pour obtenir son dû, « employer la manière forte peut fonctionner, mais on prend tout de même le risque de brusquer son interlocuteur, ce qui rendra votre discours potentiellement inaudible, met en garde Sandra Bondon. De plus, vous pourriez briser la confiance établie depuis plusieurs années avec votre supérieur et altérer durablement vos relations. » Dans le pire des cas, votre entreprise pourrait même bien vous mettre au placard… Revenir en arrière semble donc compromis. Si vous avez décidé de mettre votre menace à exécution, rien ne vous empêche de filer, “Alea jacta est” comme disait un fin stratège… Mais avant d’en arriver là, il peut être plus prudent d’employer la méthode “douce”…

1. Privilégiez les arguments rationnels

Armez-vous d’éléments tangibles. « Soyez plutôt cartésien dans votre discours et mettez à distance toute forme d’émotionnel. Pour convaincre votre interlocuteur, rien de mieux que des données chiffrées et arguments pragmatiques », recommande Sandra Bondon. Vous pouvez par exemple souligner que les ventes ont augmenté de 5% grâce à vous au cours de l’année, ou encore que vous avez généré un trafic à la hausse sur le site Internet de votre entreprise. « N’hésitez pas également à comparer votre salaire à celui du marché, cela montrera que vous n’êtes pas déconnecté de la réalité et, au contraire, sera un argument en votre faveur si vous êtes sous rémunéré », conseille Sandra Bondon. Pour cela, vous pouvez éventuellement consulter des comparateurs de salaire en ligne comme celui de l’APEC.

2. Mettez en valeur votre savoir-être

Autre raisonnement qui fait mouche : vos atouts humains. « Mettez en avant votre savoir-être, et vos qualités extra-professionnelles », suggère notre experte. Vous avez formé et accompagné cet alternant arrivé en début d’année dans le service ? Rappelez à votre boss comment vous avez réussi à fédérer une équipe et renforcer les liens entre ses différents membres : vous savez créer de l’émulation et c’est une vertu rare.

3. Ouvrez le dialogue

Évitez à tout prix les postures trop agressives qui risquent de vous jouer des tours : un non ferme et définitif par exemple. « Si vous n’arrivez pas à obtenir ce que vous voulez, essayez de trouver un compromis, et surtout, posez des questions, cherchez à comprendre la raison de ce refus », préconise Sandra Bondon. Par exemple, négociez un jour de télétravail en plus par semaine, une prime de fin d’année, ou encore un ratio horaire un peu allégé. Notre coach nous souffle un dernier petit conseil : « au cours d’une négociation, il est important d’employer des phrases affirmatives et des réponses ouvertes afin de favoriser le dialogue et l’échange. »

4. Choisissez votre moment

Enfin, n’agissez pas n’importe quand. Pour ce type de requête sensible, il n’est pas recommandé d’interpeller son manager au détour d’un couloir ou entre deux portes. « Il faut convenir d’un rendez-vous avec son responsable avant toute discussion et avoir préparé et structuré son discours en amont. Cela permettra de ne pas se laisser aller à une réaction à chaud, toujours dangereuse, et que, de son côté, l’interlocuteur ne soit pas pris de court et dans de bonnes dispositions », soutient notre coach. Enfin, il faut vous assurer que l’entreprise est en bonne santé économique. Si ça n’est pas le cas, cela laisserait penser que vous agissez dans une perspective égoïste ou que vous n’avez pas conscience de votre environnement.

5. Si vous optez pour l’ultimatum, assurez vos arrières

Si vous décidez malgré tout de vous engager dans cette pente sinueuse, il faut être certain d’être en position de force avant de vous lancer dans cette démarche. Par exemple, si vous êtes un pilier indispensable au bon fonctionnement de l’entreprise ou êtes le seul à maîtriser une compétence rare. Sinon, assurez-vous d’avoir une porte de sortie comme une autre opportunité, cela vous évitera de perdre la face en cas de refus…

(1) Tous les prénoms ont été changés
Article édité par Manuel Avenel, photo par Thomas Descamps

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