« Je n'aurais jamais dû partir en vacances avec mes collègues »

20 juil. 2023

6min

« Je n'aurais jamais dû partir en vacances avec mes collègues »
auteur.e
Sarah Torné

Rédactrice & Copywriter B2B

contributeur.e

Il fait beau, il fait chaud, et on n’a qu’une envie : partir en vacances. Au bord de l’eau ou au sommet d’une montagne, au bout du monde ou à côté de chez soi, on rêve de grands espaces, et surtout, de détente. Une question épineuse demeure : avec qui partir ? Si certains choisissent leurs amis, leurs conjoints, ou tentent même l’aventure en solo, d’autres ont emprunté une autre voie : partir avec leurs collègues. Entre incidents, mésaventures et complications inattendues, nos témoins du jour l’ont vite regretté.

« Personne n’était prêt à faire de concession sur ses vacances »

Cléa (1), 24 ans, Talent Acquisition Manager

C’était l’été dernier. À ce moment-là, je viens tout juste d’arriver dans une nouvelle entreprise, dans une ville que je ne connais pas. On est très nombreux, mais tout le monde est jeune et sympa. Dès les premières semaines, d’autres nouveaux, arrivés en même temps que moi dans l’entreprise, me proposent d’aller boire des verres avec eux, et on se lie d’amitié. À tel point qu’au cours d’une de ces soirées ensemble, l’idée jaillit : « Et si on partait en vacances tous ensemble l’été prochain ? »

On est une quinzaine, et on jette notre dévolu sur une magnifique maison avec une vue à couper le souffle et une piscine à débordement, qui nous fait rêver. Ce qu’on ignore, c’est que nos personnalités s’apprêtent à entrer en collision, et que notre statut de collègues va complexifier davantage les choses…

Dès le début du séjour, des tensions se créent. En arrivant à la maison, on décide tous d’aller faire des courses, et cette petite excursion se transforme en négociation interminable. Entre ceux qui veulent un barbecue à chaque repas, ceux qui veulent manger léger, ceux qui veulent telle marque de yaourt au petit-déjeuner… Bref, je me rends compte que la bande est composée de caractères bien trempés, et que personne n’est prêt à faire de concession sur ses vacances.

Les jours suivant, le groupe se scinde petit à petit en deux. Certains sont de grands amateurs de farniente et passent leurs journées à dormir au bord de la piscine, cocktail à la main. D’autres (dont moi), sont plus du genre explorateurs, ils s’ennuient vite et ne supportent pas l’idée d’avoir fait tout ce chemin pour ne pas sortir de la villa. Un genre de dialogue passif-agressif s’installe entre les deux équipes, on s’envoie des pics à longueur de journée et je surprends parfois certains à chuchoter, puis s’arrêter brusquement à mon arrivée. Impossible pour moi de briser cette tension et de confronter les deux groupes : je redoute le conflit, on se connaît finalement peu et je ne veux pas que le récit de nos vacances râtées puisse impacter ma carrière à mon retour.

C’est lors d’une de nos excursions, dans la belle ville de Florence, que les choses se gâtent. La première équipe préfère flâner dans les ruelles et admirer l’architecture, tandis que la deuxième a faim et veut à tout prix passer à table. La fatigue et le soleil aidant, le ton monte et certains commencent à se hurler des insanités dans la rue. C’est officiel, nous sommes dans Koh Lanta, les “jaunes” d’un côté et les “rouges” de l’autre.

En dehors de ces moments de tension, ce voyage a surtout été un grand moment de solitude pour moi. J’ai compris que ces collègues et compagnons d’apéro n’étaient pas de bons partenaires de vacances. Cette expérience m’a fait prendre conscience de la complexité des relations entre collègues. On a beau avoir partagé des moments conviviaux afterwork et eu l’impression de créer des liens amicaux, lorsque nous avons transposé ces relations dans un cadre de vacances, les choses se sont compliquées. Les liens qui semblaient solides au bureau se sont révélés plus superficiels, et les divergences de personnalité ont créé des tensions. Je pense que si nous avions réellement été amis, nous aurions été capables de communiquer, de mettre les choses à plat et surtout de faire plus de concessions. Mais étant collègues, chacun est venu chercher quelque chose d’assez égoïste pendant ces vacances.

« Sa présence a complètement sapé la dynamique du groupe »

Jean (1), 36 ans, Head of Brand

Je suis parti en vacances avec huit de mes collègues, à l’été 2020. À ce moment-là on sort tout juste de la première vague Covid. Nous décidons de fuir Paris et de se retrouver, après plusieurs mois en télétravail, dans une petite station balnéaire en Normandie pour un week-end rallongé.

Dès le début de notre séjour, on remarque que l’un de nos collègues, David (1), est légèrement avare. Il refuse de participer aux dépenses communes de manière équitable. Il trouve toujours des excuses pour ne pas payer sa part, prétendant qu’il n’a pas consommé autant que les autres au restaurant, qu’il ne prend pas de petit-déjeuner, ne boit pas de soda, ou bien qu’il est déjà trop dépensier ou doit économiser pour d’autres projets. Son attitude crée rapidement une tension palpable au sein du groupe. Les autres sont indignés par le comportement de David, qui semble profiter des avantages de nos vacances sans contribuer financièrement. D’autant plus que nous savons tous qu’il a le salaire le plus élevé d’entre nous.

La situation se détériore encore plus lorsque nous décidons de participer à des activités payantes, comme une excursion en bateau. Malgré de longues négociations, David refuse catégoriquement de participer financièrement à cette activité, prétextant que cela coûte trop cher et qu’il n’est pas intéressé. La frustration contre lui monte encore d’un cran, l’ambiance conviviale que nous espérions était devenue tendue et inconfortable. Personne n’ose confronter David, personne n’ose lui dire qu’il est radin. On a peur de vexer, de blesser, et de détériorer ensuite la relation de travail.

Je décide finalement de confronter David sur son rapport à l’argent, un soir lors d’une discussion privée entre nous deux. Je reprends ma casquette de manager et j’utilise la communication non-violente pour lui expliquer ce qu’il fait ressentir aux autres en refusant de partager les dépenses équitablement. Il comprend, s’excuse et accepte de payer sa part.

À notre retour de vacances on n’en a plus jamais reparlé, mais on n’est plus jamais reparti en vacances avec lui non plus. Normal, puisque sa présence a complètement sapé la dynamique du groupe.

Cette expérience a été une leçon, ça m’a rappelé que la générosité est une valeur essentielle pour moi, que ce soit dans le choix de mes amis, ou de mes collègues. Ça m’a beaucoup touché de voir à quel point on peut réussir à gommer nos pires défauts dans le cadre du travail et se découvrir sous un autre jour une fois la porte du bureau passée. Les valeurs de mon collègue ont mis en évidence une fragilité dans nos relations : face à son comportement, on était incapables de réagir et avions des difficultés à communiquer. C’est seulement en réutilisant certaines méthodes de résolution des conflits que l’on emploie au travail que l’on a réussi à débloquer la situation.

« Ça a été un moment très traumatisant pour tous ceux qui étaient présents »

Ethan (1), 37 ans, Agent immobilier

Je me souviens encore de cette expérience de vacances comme si c’était hier, alors que c’était il y a cinq ans déjà ! Je travaillais à l’époque dans une petite agence et nous sortions tout juste d’une période de travail très intense. Mes collègues et moi avons donc décidé d’organiser un petit séjour afin de se détendre un peu. Il faut savoir que nous nous connaissons depuis plusieurs années, que l’on se fréquente régulièrement et que nous nous considérions comme “amis” en dehors du travail.

Le lieu du drame est un chalet rustique situé au bord d’un magnifique lac de montagne. Nous sommes un groupe de dix personnes, composé de moi-même, quatre collègues, et nos conjointes. Les premiers jours se déroulent dans une ambiance chaleureuse et détendue. Il fait un temps magnifique et nous en profitons pour faire des randonnées, nous baigner dans le lac et organiser des barbecues. Tout semble se passer pour le mieux.

Tout bascule le soir où nous décidons d’organiser une petite fête au chalet. L’un de mes collègues, Paul (1), est connu de nous tous pour mal réagir à l’alcool. Son tempérament d’habitude très calme et réservé a tendance à se transformer en un raz-de-marée de colère qui emporte tout sur son passage. Malheureusement, il n’arrive pas à se contrôler ce soir-là.

Au départ, Paul commence à faire des commentaires désobligeants envers certains d’entre nous, critiquant notre travail ou se moquant de nos défauts physiques. Ses remarques créent une atmosphère étrange et tendue pendant la soirée. Ma conjointe n’ayant jamais rencontré Paul est choquée de le découvrir ainsi. Sa femme tente alors de le calmer et de le raisonner, mais plus la soirée avance, plus Paul est hors de contrôle. La situation dégénère lorsque Paul devient physiquement agressif. Il commence à pousser et menacer certains d’entre nous et renverse des verres. On se met à plusieurs pour essayer de le maîtriser, mais il est incontrôlable. On doit finalement le menacer d’appeler la police pour qu’il finisse par se calmer.

Cette soirée a laissé des séquelles profondes au sein de notre équipe. Ça a été un moment très traumatisant pour tous ceux qui étaient présents. La confiance entre nous a été ébranlée, au niveau personnel comme professionnel. Certains collègues ont refusé de continuer à travailler avec Paul après cet événement. De mon côté, ça m’a fait beaucoup réfléchir à mes choix de relations : ai-je vraiment envie de m’exposer quotidiennement à un collègue qui est potentiellement dangereux dans le privé ? Et à quel point nos choix et actions personnels doivent-ils être jugés au sein de l’entreprise ? Cet incident privé a en tout cas impacté l’avenir professionnel de Paul, car nous avons de nombreuses discussions difficiles quant au futur de notre collaboration avec lui suite à ces vacances. Paul a évidemment présenté ses excuses à tout le monde et il a depuis pris la décision de ne plus boire d’alcool.

(1)Les prénoms ont été modifiés
Article édité par Gabrielle Predko, photo Thomas Decamps pour WTTJ

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