Travailleuses de nuit, épisode 2 : une nuit à la maternité avec Léa

06 juin 2022

5min

Travailleuses de nuit, épisode 2 : une nuit à la maternité avec Léa
auteur.e.s
Romane Ganneval

Journaliste - Welcome to the Jungle

Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Depuis toujours, on dit aux femmes que la nuit n’est pas faite pour elles. Qu’il est dangereux de s’y aventurer et qu’elles feraient mieux de rester chez elles, en sécurité. C’est justement pour déconstruire cette idée reçue que Welcome to the Jungle a décidé de rencontrer et de capturer la vie nocturne de ces effrontées, celles qui, en plus de travailler de nuit, doivent parfois se faire une place dans des milieux testostéronés. Elles sont sages-femmes, conductrices de taxi, agentes de sécurité, grossistes en viande… et nous dévoilent leur quotidien, pas tout à fait comme les autres.

Paris XIIe arrondissement, 20h. Léa Kourganoff, sage-femme depuis six ans, rejoint ses trois collègues dans la salle de repos pour recevoir les transmissions du jour. Au début de sa garde de nuit, une femme vient d’accoucher, deux autres ont commencé le travail et une dernière vient d’être admise pour commencer la préparation à l’accouchement. Mais les missions de cette jeune femme ne se limitent pas à accompagner les futures mamans dans l’accouchement, noter l’avancement de l’ouverture des cols, ni à surveiller les rythmes cardiaques des bébés ; elle prend aussi des consultations par téléphone pour rassurer toutes celles qui chez elles, scrutent avec une certaine angoisse les mouvements anormaux de leur progéniture. Telle une ballerine, elle virevolte avec le sourire d’une chambre à l’autre sans jamais montrer un signe de fatigue sur son visage.

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Quand tu débutes une garde de nuit, dans quel état d’esprit es-tu ?

Il y a toujours une petite appréhension, surtout si le service est complet. Si c’est le cas, je sais que j’arrive sur un champ de bataille et qu’il va falloir assurer. La journée, cela arrive aussi, mais ne pas pouvoir se poser la nuit, c’est plus difficile pour le corps. Après, il y a aussi des points positifs à travailler la nuit, comme l’excitation de l’inconnu. Celles et ceux qui ne connaissent pas mon métier me demandent toujours si les complications qui surviennent au cours de l’accouchement me stressent, mais ça fait partie de mon métier et ça ne me fait pas peur. Non, la vraie source d’inquiétudes pour moi, c’est le nombre de patientes à gérer en même temps, parce que cela a un impact direct sur mon accompagnement : plus y a de monde, moins je suis disponible.

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Cela fait maintenant six ans que tu fais ce métier, dirais-tu que sage-femme est une vocation ?

J’ai toujours connu ce métier et je m’y suis vraiment intéressée en classe de seconde au lycée. À ce moment-là, j’ai eu la chance de faire un stage découverte à la maternité de Port-Royal à Paris. Tout m’a plu dans ce métier : la préparation à l’accouchement, l’accompagnement des couples dans ce qui sera le plus grand chamboulement de leur vie, l’arrivée d’un enfant et la transmission de savoir à toutes ces femmes. Concernant ce dernier point, il est assez étonnant de voir à quel point les femmes ne connaissent pas leur corps et ne comprennent pas ce qui se passe au moment de la grossesse et de l’accouchement. Je fais très attention de prendre le temps de leur expliquer toutes les étapes et de les rassurer. Je dis souvent : « oui, c’est tout à fait normal que vous sentiez ça ou que vous ayez peur, détendez-vous… »

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Accompagner la naissance d’un nouveau-né, c’est une grande responsabilité. Quelle est l’ambiance la nuit avec vos collègues ?

Nous savons tous que nous avons besoin des uns et des autres pour que tout se passe bien et c’est pour cette raison que j’ai beaucoup de respect pour tous les corps de métier de la maternité : auxiliaires, médecins, infirmières… Comme les responsabilités sont énormes, entre sages-femmes on est toujours sur le qui-vive et il y a une forte cohésion pour tenir toute la nuit ensemble. Si l’une d’entre-nous est très occupée, on va la soulager en s’occupant des démarches administratives, et on se tient à jour de l’avancée de chaque patiente. Comme on ne déclenche pas les mamans, il arrive qu’une sage-femme ait à gérer deux accouchements au même moment, et qu’une autre prenne le relais.

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Parmi toutes les gardes de nuit que tu as faites, une t’as particulièrement marquée ?

C’était le soir du nouvel an. Une collègue avait noté qu’une de ses patientes était en dilatation complète, donc prête pour l’accouchement, mais comme c’était « son premier », elle s’est dit qu’elle avait encore un peu de temps devant elle, surtout qu’une autre femme mettait son enfant au monde à ce moment-là. Puis, la femme restée seule a sonné. Avec une autre sage-femme nous avons accouru à son chevet et cette dernière nous a dit qu’elle sentait qu’elle déféquait. Sauf qu’en relevant le drap on s’est rendu compte que pas du tout ! On s’est mises à rigoler, son bébé était déjà à moitié sorti et elle n’avait rien senti grâce à la péridurale. Évidemment, on l’a aidé à terminer le travail et on a discuté avec cette maman qu’on ne connaissait pas du tout et pris soin de son bébé ! Et bonne année !

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Ah oui en effet, il doit toujours y avoir des surprises !

Après, ce que je préfère, c’est m’occuper d’une patiente pour la deuxième fois et plus. Comme je l’ai déjà accompagnée une première fois, on a créé des liens forts avec le couple et c’est toujours de bons souvenirs. Attendez une seconde, je me souviens d’une autre anecdote assez rigolote : un soir, une femme arrive alors que le travail est déjà bien avancé, on n’a pas le temps de lui mettre une péridurale. Et là, elle se met à quatre pattes sur la table et elle donné naissance à un bébé coiffé, c’est-à-dire que la poche des eaux ne s’est pas encore rompue. C’est très rare (1 naissance sur 80 000 en moyenne, ndlr) et on dit que ça porte bonheur à l’enfant.

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Ce soir, c’est ta deuxième garde de suite, tu nous as dit que tu n’aimais pas ça. Peux-tu nous expliquer pourquoi ?

Chaque mois, on doit faire six ou sept gardes de nuit. Certaines filles aiment bien les enchaîner parce qu’elles ont réussi à caler leur rythme et dormir la journée, mais ce n’est pas mon cas. Quand je rentre chez moi à 9h du matin après douze heures à courir partout, je ne sais jamais combien de temps je vais dormir, c’est un vrai stress. Il est tout à fait possible que je me réveille à l’heure du déjeuner et que je n’arrive pas à faire la sieste. C’est complètement aléatoire. Et comme je n’aime pas prendre le risque d’être fatiguée, j’essaie d’éviter le plus possible cette situation.

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Entre les gardes de jour et de nuit, cela ne doit pas être évident de tenir le rythme. Tu n’as jamais pensé faire autre chose ?

Je pense que toutes les sages-femmes y ont déjà songé. Même si c’est un métier merveilleux, c’est dur. En plus d’être très physique, on manque beaucoup de moyens pour bien travailler et on est très mal rémunérées pour ce que l’on fait. Depuis la crise sanitaire, il y a un grave problème d’effectifs et cela touche toutes les maternités de France. Il n’est pas rare qu’au début d’une garde, une collègue manque à l’appel et qu’on soit obligé d’appeler quelqu’un en urgence pour la remplacer. La vocation peut être là, mais tout ce qu’il y a autour est si démotivant qu’il est presque normal de se dire qu’il vaudrait peut-être mieux faire autre chose. En tout cas, je comprends les doutes.

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Petite question indiscrète, en six ans d’activité, tu as aidé à mettre au monde combien de bébés ?

Je tiens le compte, j’en suis à 549 naissances ! C’est marrant, sur mon téléphone portable, j’ai une petite liste avec la date et le prénom de chaque bébé. Et je compte pas m’arrêter en si bon chemin.

Article édité par Gabrielle Predko

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