« Mon entreprise ne sait pas que je télétravaille depuis l’étranger »

01 juin 2023

5min

« Mon entreprise ne sait pas que je télétravaille depuis l’étranger »
auteur.e
Sarah Torné

Rédactrice & Copywriter B2B

L’ère post-Covid a définitivement ouvert la voie au télétravail, émancipant les salariés de leurs bureaux. Après avoir goûté à cette liberté de vivre et travailler d’où ils voulaient, certains ont décidé d’aller plus loin, quitte à mentir. Expatriés à Bali, à Rome, ou digital nomad à l’insu de leur hiérarchie, ils mènent une double vie. Si ces pratiques ne sont pas sans risque (entre le danger de voyager sans être assuré, la charge mentale de vivre dans le mensonge, et plus largement, l’impact écologique non négligeable de ces pratiques), ces salariés ont tout de même tenté le coup.

« J’ai réalisé que le retour à la vie de bureau n’était plus une option pour moi »

Laurène, 29 ans, Agile Program Manager

Pendant la pandémie, je me suis sentie enfermée entre les murs de mon petit appartement. Un soir, alors que je m’ennuyais ferme derrière mon ordinateur, j’ai envisagé l’idée de partir télétravailler depuis l’étranger. En quelques recherches seulement, j’ai découvert une énorme communauté de digital nomad : des personnes qui vivent et travaillent tout en voyageant autour du monde.

Étant déjà salariée à 100% en télétravail, j’ai demandé à mon employeur l’autorisation de télétravailler à l’étranger. Il a accepté de m’accorder un mois par an à cette fin. Alors je suis partie à Madère avec mon copain, et nous avons adoré. Après avoir goûté à la liberté et à l’épanouissement de ce premier mois, j’ai réalisé que le retour à la vie de bureau n’était plus une option pour moi. J’ai donc continué à voyager tout en travaillant, sans l’approbation officielle de mon employeur.

J’ai adopté cette approche car je craignais que mon manager ne m’accorde pas sa permission. J’ai donc préféré assumer le risque d’être découverte, plutôt que d’avoir une conversation difficile.

Ces dernières années j’ai vécu à Ténérife, à Bali, au Maroc, au Portugal, en Italie, en Grèce… Je n’ai jamais été repérée, ma technique était d’utiliser un fond virtuel en visioconférence, toujours le même où que je sois. Ainsi il était impossible de deviner si j’étais chez moi ou à l’autre bout du monde. Pour les horaires, c’était parfois plus compliqué. J’ai parfois dû me lever très tôt ou me coucher très tard pour assister à des réunions à cause du décalage horaire.

Malgré les risques et toute l’organisation que ça demande, j’adore mon mode de vie. Il me permet de voyager plus lentement, de m’immerger dans différentes parties du monde. J’ai pu travailler dans des environnements uniques, plus proche de la nature.

Lentement mais sûrement, la liberté est devenue une valeur essentielle pour moi et mon partenaire, plus importante que la stabilité et la sécurité.

Alors après m’être expatriée plusieurs mois à Bali sans que mon entreprise le sache, j’ai finalement décidé de faire le grand saut. Réalisant bien que ma liberté était prioritaire et qu’elle passait avant mon travail, j’ai annoncé à mon employeur que je souhaitais télétravailler depuis l’étranger à l’année. C’était une condition sine qua non pour que je reste. À ma grande joie, il a finalement accepté. Me voilà donc dans la légalité !

« Je n’ai pas demandé d’accord, car je ne pouvais pas risquer qu’ils refusent »

Pénélope, 25 ans, Chargée de mission RH

C’était en 2022, j’étais à la recherche d’un stage à Paris, que je n’arrivais pas à trouver malgré tous mes efforts. Je n’avais aucune nouvelle des recruteurs après le premier échange téléphonique, même lorsque mon profil correspondait et que l’échange se passait bien.

La plupart des entreprises imposaient d’être en télétravail au moins deux jours par semaine, mais une présence au bureau restait obligatoire.

J’appréhendais beaucoup l’idée de venir à Paris avec ma petite rémunération de stagiaire, et de me retrouver dans un logement insalubre - sans non plus pouvoir profiter des avantages de la vie parisienne en raison des restrictions sanitaires.

En parallèle de mes recherches non fructueuses, je passais beaucoup de temps avec l’une de mes amies qui était, comme moi, revenue chez ses parents à Lyon, afin de trouver un stage. Son ambition était de trouver une opportunité à Rome, car depuis son Erasmus là-bas, elle rêvait d’y retourner.

Au départ, on s’imaginait que je viendrai lui rendre visite. Puis, au fil des mois et de mes recherches décevantes, nous nous sommes dit, qu’après tout, je pourrais venir avec elle.

À partir de là, j’ai concentré mes recherches sur des entreprises ouvertes au télétravail à 100%. J’abordais la question du télétravail dès le premier échange afin de ne pas perdre de temps. J’argumentais en parlant de l’exorbitance d’un loyer parisien pour seulement quelques jours de présence par semaine dans les locaux. Une entreprise a finalement accepté de me prendre en full remote.

J’ai effectué la période de formation dans leurs locaux à Paris, puis j’ai travaillé depuis Lyon pendant une semaine, avant de partir à Rome avec mon amie. Je n’ai pas demandé l’accord de mon entreprise pour partir. J’avais trop peur qu’ils refusent mon départ hors de France.

Pour ne pas me faire démasquer, j’ai inventé quelques visites familiales pour justifier du changement de décor et j’ai fait aussi fait très attention à masquer ma localisation sur les logiciels que nous utilisions.

Le moment vraiment délicat a été lorsque l’entreprise a loué des locaux à Lyon et que mon manager imaginait que j’allais m’y rendre de temps à autre. Heureusement, cela a eu lieu le dernier mois de mon stage, j’ai donc pu gagner du temps pour éviter cette déconvenue (en utilisant la merveilleuse excuse du “cas contact” notamment).

« J’ai dû accepter le fait que je devrais faire face aux conséquences si je me faisais prendre »

Lia, 28 ans, Sales Engineer

Pendant la période Covid-19, je travaillais entre les quatre murs de ma chambre, à Londres, cinq jours par semaine. C’était mieux que d’aller au bureau tous les jours, mais les rencontres et les relations sociales me manquaient. Je me sentais seule. J’ai donc commencé à réfléchir à de nouvelles façons de rencontrer des gens et de rendre mes journées travail plus amusantes.

J’ai commencé par fréquenter des espaces de coworking à Londres. C’était une découverte formidable, car cela me permettait d’avoir une routine et de sortir un peu ma chambre.

Après quelque temps, j’ai eu envie d’aller plus loin et de sortir du Royaume-Uni, afin de pouvoir travailler de n’importe où, en voyageant. Mon travail était entièrement à distance à l’époque, mais les conditions générales de mon entreprise interdisaient de travailler en dehors du Royaume-Uni pendant plus d’un mois. Deux options s’offraient à moi : travailler depuis le Royaume-Uni et être honnête sur mon lieu de travail, ou travailler depuis l’étranger et mentir. J’ai choisi la seconde option.

Pendant deux ans, j’ai voyagé dans toute l’Europe et dans certaines parties de l’Asie. De Tenerife à Budapest en passant par l’Inde et l’Indonésie, je suis tombée amoureuse du nomadisme digital.

Toute décision a ses avantages et ses inconvénients. Comme mon entreprise ne savait pas que je travaillais depuis l’étranger, j’ai dû être très prudente et veiller à ce que tout se passe le plus harmonieusement possible. Pour éviter d’être repérée, j’utilisais par exemple toujours le même fond virtuel lors des réunions en visioconférence. La plupart des journées se sont déroulées sans heurts, mais il est arrivé par exemple qu’Internet tombe en panne au milieu d’une réunion car j’étais au milieu de nulle part.

Au bout d’un moment, mon entreprise a remis en place une présence obligatoire au bureau une fois par mois. J’alternais mes voyages avec des allers-retours à Londres, ce qui a commencé à compliquer la situation. Le plus difficile était de devoir mentir à mes collègues. Nous étions amis, mais j’ai décidé de leur cacher mon mode de vie, car j’avais trop peur que quelqu’un fasse une gaffe. J’ai aussi dû les bloquer de mon compte Instagram, où je postais des photos de mes voyages.

Je me souviens aussi d’une fois où, alors que j’étais en coliving, le chat de la maison est passé devant ma caméra. Mes collègues étaient surpris, ils m’ont demandé si j’avais adopté un chat et j’ai dû inventer une excuse de toutes pièces. Même si ces incidents étaient mineurs et se produisaient très rarement, ils étaient frustrants sur le moment. Quoi qu’il en soit, j’ai dû accepter le fait que je devrais faire face aux conséquences si je me faisais prendre.

Il y a quelques mois j’ai finalement décidé de quitter mon travail pour voyager à plein temps en sac à dos. J’ai pris conscience que je voulais avant tout être libre et découvrir le monde.

Article édité par Gabrielle Predko ; Photo de Jack Taylor

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