Club, plage, musée : « Les lieux les plus insolites où j'ai télétravaillé »

19 juil. 2023

10min

Club, plage, musée : « Les lieux les plus insolites où j'ai télétravaillé »
auteur.e
Romane Ganneval

Journaliste - Welcome to the Jungle

contributeur.e

Télétravailler dans un café, dans un espace de coworking ou pendant ses trajets en train est devenu bien trop banal. Et si on sortait de notre zone de confort pour balader nos ordinateurs dans des endroits plus insolites ? Notre journaliste a testé pour vous des lieux pas vraiment prévus à cet effet et vous donne ses premières impressions.

Depuis presque quatre ans que je télétravaille, j’aime pimenter mon quotidien en testant des lieux insolites où je peux poser mon ordinateur et pianoter discrètement sur mon clavier. En ville, à la campagne ou à la montagne, depuis l’invention du partage de connexion, les possibilités sont presque devenues infinies (si vous n’êtes pas dans une zone blanche). Et encore, comme j’écris et que je n’ai pas de réunions toutes les deux heures, il est aussi agréable de travailler sans connexion Internet. Peut-être est-ce les vestiges de mon amour pour les récits de journalistes/explorateurs qui envoyaient leurs papiers via des télégrammes et partaient plusieurs mois à la recherche de l’information qui changerait le cours de l’histoire ? Problème, de nos jours, en deux clics sur un moteur de recherche nous obtenons les réponses à presque toutes nos questions. C’est pratique, ça fluidifie nos échanges, mais ne pensez-vous pas que ça bride aussi notre créativité ? Pour toutes ces raisons, je vous propose une liste non exhaustive des meilleurs lieux où télétravailler si vous n’avez pas encore sauté le pas. Je vous le promets, ici, il ne sera pas question de Wi-Fi dans le train, ni de hall d’aéroport et encore moins de coworking branchés.

Le PMU, pièce de théâtre de nos quartiers

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Écoeurée par un énième Chaï latte avoine (comme une parisienne sur deux, « je ne digère pas le lactose » même si je m’enfile des mozzarella buffala coulantes) à six euros englouti en deux gorgées, je me suis dit qu’il était temps de sortir de ma zone de confort et d’arrêter de travailler dans des cafés « coworking » aux meubles scandinaves. Autant adepte de bars branchés où les mixologues arrivent à créer des breuvages alcoolisés exotiques, que des PMU un peu glauques où la bière a le goût d’un vieux sachet de thé et où les chaussures collent sur le sol des sanitaires, je me suis dit qu’il serait intéressant de revenir dans ce genre de lieu au petit matin. Lorsque j’arrive au PMU à 9h ce matin-là, les places assises disponibles se comptent sur les doigts d’une main. Quelques personnes âgées sont déjà attablées avec leur petit verre de blanc. Je pensais que l’alcool le matin était révolu ; j’avais tort. Jean Gabin époque La traversée de Paris pourrait débarquer d’un instant à l’autre.

Le rade que j’ai trouvée est assez confortable : il y a deux prises dans la salle et une borne Wi-Fi. Autre point positif, les banquettes en cuir d’époque trouées sont bien plus confortables que les chaises design en plastique. Alors que je suis connectée à ma première visio de la journée, je pose un regard curieux sur chaque client qui passe la porte de mon nouvel espace de travail. Certains rient, d’autres lisent attentivement les journaux posés à l’entrée et quelques-uns parlent de leur difficulté à boucler leurs fins de mois à cause de l’inflation. Ces personnes ont l’air de se connaître depuis toujours et étrangement, ils n’ont pas l’air de travailler. Pour les personnes âgées, je ne me pose pas de question, mais que font tous les autres ? Et à qui est ce chien que tout le monde caresse dans le coin de la porte ?

Je suis de moins en moins attentive, mais d’un autre côté, je reprends foi en l’humanité. Toutes ces personnes font partie de ce petit théâtre de quartier où l’on connaît les prénoms des uns et des autres, où l’on prend des nouvelles des amis, de la famille, du travail. Ici, l’anonymat des grandes villes et les faux-semblants semblent s’être envolés.

Vous le comprendrez, ma session d’écriture n’a pas été particulièrement efficace tant les habitués ont captivé mon attention. Pour autant, je sais déjà que je reviendrai avec plaisir taper dans la main du taulier en commandant un jus de pomme au petit matin. Au passage, je prendrai des nouvelles de Jean-Luc et Sylvie, ce couple d’octogénaires endimanchés qui vient tous les matins boire leur café au comptoir et qui sait, d’ici-là Idir aura peut-être décroché un rôle dans la pièce de théâtre dont il prépare l’audition depuis des semaines.

La salle d’escalade, salle de jeu géante pour adultes

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Cela fait des années que mes amis me tannent pour que je me mette à l’escalade. Vous ne me connaissez pas encore, mais je n’aime pas suivre les tendances et encore moins ce que les autres me disent de faire. Après, je reste quand même influençable et comme avec la musique rap, j’ai fini par céder aux joies de la varappe. J’en arrive même à culpabiliser quand je ne peux pas me rendre à la salle trois jours de suite. Il y a pourtant une ombre au tableau : si j’aime réfléchir aux chemins que je dois emprunter pour arriver en haut des blocs, l’entraide entre grimpeurs et que je chérie mes cloques sur les doigts comme les stigmates glorieux de mes efforts physiques, je suis beaucoup moins fan de l’odeur de pieds qui émane de ces espaces et l’attente entre deux montées. Passé 18h, le tout Paris semble s’être donné rendez-vous sur ces tapis. Quand l’une de mes amies qui travaille dans un groupe de salles d’escalade me dit que les espaces dédiés à l’escalade font partie des « meilleurs endroits pour draguer », je ne suis pas étonnée. Mais est-ce un bon endroit pour télétravailler ?

Je trouve une idée : et si je télétravaillais dans ma salle de jeu préférée ? Je pourrais grimper avant de commencer ma journée et faire des petites pauses grimpettes en fonction de mes impératifs. Autre avantage non négligeable, avant 16h30, les tarifs sont plus avantageux.

8h du matin, Pantin. Contrairement à ce que j’avais imaginé, la salle n’est pas totalement vide, un petit groupe de grimpeurs chevronnés est déjà en train d’analyser les prises noires. Pas de drague, de blagues, ni de bière, ils comptent bien réaliser leurs prouesses à l’abri des regards. De mon côté, j’enchaine les voies vertes sans avoir à patienter. Une heure plus tard, les épaules étirées comme jamais par ce sport matinal, je sors mon ordinateur et je m’affale sur un fauteuil en cuir avec un thé. Le Wi-Fi est exceptionnel et mon corps sécrète des endorphines. Bonus : quand deux heures plus tard la motivation commence à flancher, je jette un regard gourmand aux corps musclés qui m’entourent. Peut-être que j’ai enfin trouvé le meilleur endroit sur terre pour télétravailler ? J’abats un travail de dingue en quelques heures et je quitte les lieux le sourire aux lèvres. J’ai déjà prévu de revenir dans deux jours.

La plage, fantasme d’une liberté retrouvée

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Quand les villes sont trop chaudes et que l’air conditionné ne fonctionne pas dans l’open-space, qui n’a jamais rêvé de se téléporter à la plage et piquer une tête dans une eau turquoise ? Sur Instagram, qui n’a jamais ressenti une once de jalousie en regardant les photos de digital nomades télétravailler sur une plage déserte à l’autre bout du monde ? Pour autant, je me suis toujours posée cette question : le cadre paradisiaque est-il vraiment propice au travail où est-ce un fantasme qu’il vaut mieux garder en tête et ne jamais réaliser ? Rappelez-vous, à l’adolescence, on pensait encore que faire l’amour sur une plage était ce qu’il y avait de plus romantique dans la vie. Puis, on a galéré avec le sable, avec l’eau froide et on a compris que l’image était plus belle que la réalité. Bref, je dois en avoir le cœur net.

Au petit matin, j’installe ma serviette, mon parasol et je sors mon ordinateur. Le ciel est dégagé et les touristes dorment encore. La position n’est pas très confortable. Comme je n’ai pas pris de chaise pliable, je décide de faire un petit tas de sable sous ma serviette pour remplacer ma table de travail. Mon partage de connexion n’est pas exceptionnel non plus, mais j’arrive à me concentrer en écoutant de la musique. Jusqu’à 10h30, comme mes lombaires tiennent encore, je culpabilise presque en ayant l’impression de voler du temps de vacances. C’est justement-là que tout se complique. L’ombre du parasol ne suffit bientôt plus à m’abriter de la chaleur ambiante, il devient urgent de piquer une tête pour reprendre mes esprits. Autour de moi, personne ne semble vouloir prendre la responsabilité de garder mes affaires pendant ma pause, alors je me contente de mettre les pieds dans l’eau, l’ordinateur sous le bras.

Deux heures plus tard, le soleil est désormais à son zénith. Je sue, mon ordinateur est brûlant, j’ai mal au dos à force d’être pliée en deux et surtout j’envie celles et ceux qui n’ont rien d’autre à faire que bouquiner, se baigner, remplir des grilles de mots fléchés ou se reposer autour de moi. La plage est désormais bondée et j’ai l’impression qu’on me regarde mal. Cette image est rapidement confirmée. Un de mes voisins de plage me demande ce que je fiche sur ma serviette à pianoter sur mon clavier, un autre me dit que c’est un enfer de me regarder alors qu’il est justement venu ici oublier tout ce qui concernait son travail. Un gamin qui manque de reverser de l’eau de son seau à quelques centimètres de mon écran finit par m’achever. J’en conclu que comme il est important de préserver les espaces naturels du tourisme de masse, peut-être qu’il vaut mieux interdire tout ce qui touche à la sphère professionnelle à la plage.

Le musée, l’inspiration des grands maîtres

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Qu’est-ce qui fait un lieu idéal pour le télétravail ? Le calme, un bon réseau Internet et un peu de confort. Si la décoration et les personnes qui le fréquentent sont inspirantes, c’est toujours mieux. J’ai longtemps réfléchi à un endroit qui pourrait réunir toutes ces qualités et lors d’une visite au Palais de Tokyo pour un festival éphémère de dessin un dimanche, j’ai pensé au musée. En ce mois de juillet, alors que les parisiens ont commencé à fuir la capitale et que les touristes sont trop occupés à chercher de la fraîcheur dans les centres commerciaux, je me suis dit que j’allais faire comme les étudiants en arts plastiques qui copient les toiles des grands maîtres et aller au Louvre avec mon ordinateur. Vu la superficie de la surface d’exposition (60 000m2), je devrais pouvoir trouver une salle qui conviendrait.

Comme télétravailler au Louvre ne s’improvise pas ; j’ai préparé mon coup en réservant mon entrée en ligne et j’ai procédé par élimination : exit le premier étage de l’aile Sully où sont exposés les plus importants tableaux du XVIe siècle dont la Joconde, je raye également de ma liste le deuxième étage de l’aile Richelieu où l’on peut voir le portrait de François 1er et la Baigneuse de Valpinçon… Finalement, mon choix s’arrête sur les antiquités du Proche-Orient au rez-de-chaussée.

Assise à même le sol, mon ordinateur sur les genoux, je guette discrètement le vigile qui ne semble pas se préoccuper de ma présence tant que je ne m’approche pas trop près des œuvres. Je me connecte au Wi-Fi gratuit et je commence ma session d’écriture. La salle est majestueuse et relativement calme. Les quelque touristes qui s’aventurent ici ont l’audio guide du musée vissé dans les oreilles. Je ne ressemble pas vraiment à une étudiante et deux heures après avoir commencé à travailler, le vigile décide de s’intéresser à ma présence. « Le Louvre n’est pas un espace de coworking », finit-il par me dire. Je dois trouver au plus vite un nouveau sanctuaire où ma présence ne serait pas une insulte à la culture française. Je traverse les salles du musée et je retombe amoureuse. Pourquoi quand on a la chance de vivre près d’un tel musée, on remet systématiquement nos visites à plus tard ? Je m’arrête devant la sculpture de l’hermaphrodite endormi du Bernin et je renonce à poursuivre mon travail. Le vigile avait raison.

L’open air, la fête éternelle

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Alors que je terminais mon tour des endroits les plus insolites où télétravailler et que je regardais une femme qui avait ramené son ordinateur à la piscine municipale ce matin-là, m’est venue une nouvelle question : à priori, quel serait le pire lieu où je pourrais essayer trouver de l’inspiration et écrire ? Tout de suite, j’ai pensé aux boîtes de nuit. C’est sombre, moite, les sonos crashent de la musique électronique à fond et il y a toujours un risque qu’une personne renverse son verre d’alcool sur toi… D’un autre côté, j’ai récemment découvert le format “open air” du dimanche après-midi à Berlin et j’ai pensé que ça pourrait être une expérience intéressante. Dans la queue de Else, un club branché du quartier de Kreuzberg, je regarde un peu angoissée des jeunes femmes aux t-shirts résilles se remettre des paillettes sur le visage avant de passer devant le physio. Pourquoi ? J’appréhende la sentence de l’homme au turban noué façon madame Irma à l’entrée quand il verra que j’ai pris un ordinateur dans mon sac. Plus de peur que de mal, après qu’il m’ait donné un sticker à coller devant l’appareil photo de mon téléphone portable (la plupart des clubs à Berlin ont adopté une politique no photo pour que chacun puisse être libre d’être qui il veut à l’intérieur), je pénètre dans l’enceinte de la boîte.

Quelles sont mes options pour travailler ici ? Les premiers bancs à l’entrée ont déjà été pris d’assaut par des groupes de clubbers tout de noir vêtus aux lunettes de Matrix. Après un rapide mais complet tour du propriétaire, je dresse une liste dans ma tête : la table géante sur le toit près des toilettes, dix petites pièces obscures d’1m2 où l’on peut tirer les rideaux (selon les rumeurs, ces petites pièces permettrait d’avoir des relations à l’abri des regard ou de prendre diverses drogues sans bloquer les WC…) et les banquettes autour de la scène. Le ciel est clair ce dimanche, je décide de me poser sur une table à l’extérieur. Ici, la lumière de mon écran ne gênera personne. Et fait exceptionnel quand on paye pour voir des artistes jouer, j’enfonce discrètement mes AirPods pour m’isoler de la fête.

Très vite, des fans de musique électronique me toisent et me lancent des phrases en allemand que je ne capte pas. J’essaie de ne pas y prêter attention. Cette expérience est vraiment étrange ; même à la plage, je ne me suis pas autant sentie en décalage avec les personnes qui m’entouraient. Comme j’ai un peu de mal à supporter la situation, je décide de m’installer dans une de ces fameuses pièces sombres pas très confortables. Une heure passe, la musique monte d’un cran à chaque nouveau DJ et j’entends de drôles de bruits venant du petit espace attenant au mien. Qu’est-ce qu’ils foutent là-bas ? C’est fini, je n’ai plus aucune motivation pour travailler. C’est à ce moment-là que trois de mes amis débarquent et m’obligent à refermer mon écran. D’un commun accord, ils me poussent sur la piste de danse et me commandent un Gin Tonic. J’ai écrit trois lignes depuis mon arrivée, c’est un échec. Exit le travail le dimanche après-midi, il est temps de sortir mes plus belles pirouettes et d’enflammer le dance floor.

Finalement, que retenir de cette expérience de travail originale ? Si vous aimez déjà télétravailler, je vous dirais de ne pas hésiter à sortir des sentiers battus, surtout si vous êtes en quête d’une nouvelle inspiration. Mais avant de vous lancer, testez déjà votre capacité de concentration dans des endroits plus classiques, elle pourrait sérieusement être compromise…

Article édité par Gabrielle Predko ; Photo de Thomas Decamps

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