Sur les traces d'Emmanuelle Duez de The Boson Project
16 juin 2015
4min
Spécialiste de la génération Y, Emmanuelle Duez l’aide à se réapproprier les grandes entreprises françaises. Elle a créé pour cela The Boson Project. Partons sur les traces de celle qui défriche le monde de l’entreprise pour les convertir aux nouvelles exigences du « Good Job ».
Comment définir la génération Y ?
Tout d’abord, on aurait tort de penser que la « génération Y » se réduit à une tranche d’âge. Il s’agit plus d’une culture que d’une génération, un certain comportement vis-à-vis de la société et des entreprises. Je dirais qu’elle se définit surtout par un contexte et des outils. Le contexte d’abord parce qu’elle a affaire à la refonte d’un certains nombres de grands modèles : capitalistes, environnementaux etc. On lui livre un monde où tout est à reconstruire ! Ensuite c’est une génération qui a dans ses mains un nouvel outil : le digital. Les générations qui arrivent sont de culture « digital native ».
Quels sont les idéaux de cette culture digitale ?
Cette génération ne carbure plus aux mêmes aspirations ! Elle est symptomatique d’un phénomène de mutation qui la dépasse largement. La jeune génération est le fruit d’un monde devenu transversal, précaire, interconnecté et fluide. Elle se heurte à une logique très différente au sein des entreprises, qui sont en pleine collision entre l’ancien monde et le nouveau. L’époque où le gros mangeait le petit est remplacée par une époque où l’agile mange le lent.
Quelles valeurs définissent ce nouveau monde ?
Il se définit par plusieurs valeurs, notamment la transparence : par exemple, comment sont rémunérés les leaders. Le modèle de rémunération est vecteur de sens pour des salariés, qui ne se contentent plus d’avoir un contrat de travail mais veulent comprendre et jouer leur rôle dans l’entreprise. La fluidité permet d’implémenter des idées rapidement, avant qu’elles ne périment ! La transversalité, ou « cross-fertilization », qui est le fruit d’un monde qui se heurte à la diversité des compétences : on ne peut plus rester dans une case toute sa vie, il y a une remise en cause de l’obsolescence des compétences qui passe par la transformation de l’entreprise en lieu d’apprentissage. Et puis le côté « flat », une pyramide moins aigüe. La hiérarchie alourdit la structure, il faut intégrer plus de collaboratif, et non du collectif ! Le collectif c’est 1+1 égal 2 quand pour le collaboratif 1+1 doivent faire 3. Nous sommes entrés dans une logique plus individualiste. Pour cette nouvelle génération, le plus important c’est l’humain, et le premier humain, c’est moi.
Cette nouvelle culture est-elle perçue comme un danger par les entreprises ?
Cette culture n’est pas un « problème » mais les entreprises sont conscientes qu’elles doivent adapter leur structure. Nous intervenons principalement sur deux demandes de leur part. La première concerne la problématique d’attraction et de rétention des talents cette génération. Les entreprises n’arrivent plus à attirer les jeunes ou à garder les meilleurs. Et puis les cadres dirigeants viennent également nous voir car ils ont conscience de ne pas avoir la bonne grille de lecture de ce nouveau monde digital. Cette génération doit être un trait d’union, un traducteur du monde de demain. Les entreprises savent que cette culture est une fenêtre sur le nouveau monde numérique, un levier de transformation.
Qui sont ces entreprises qui viennent vous voir ?
Les premières à s’être posé la question sont les entreprises d’audit et de conseil, de par la composition de leur corps social. Et puis les entreprises dont le métier est en lien avec la révolution digitale, comme la banque. Le secteur bancaire a été confronté à une réinvention totale de ses métiers et doit faire appel à des « digital natives » de cette nouvelle culture digitale, extérieurs à sa pyramide.
Concrètement, que faites-vous pour ces entreprises ?
Le but de The Boson Project est justement d’amener cette nouvelle logique au sein des entreprises. Cela passe concrètement par la mise en place de pépinières internes pour développer l’« intrapreneuriat ». Il s’agit de fonctionner comme des entrepreneurs, mais au sein de l’entreprise ! Nous mettons en place des incubateurs internes pour permettre aux jeunes collaborateurs d’avoir des idées et de les implémenter dans leur entreprise. Nous revoyons les modes de formation en créant des académies internes, avec la conviction que ce que l’on sait ne vaut que pour 3 ans maximum. Il faut casser la structure en silo et créer une émulation apprenante permanente. Et puis cela passe enfin par des modalités de reconnaissance en instaurant des critères d’évaluation des managers par leurs collaborateurs. Le manager, pour être reconnu, ne doit pas tenir son leadership de son ancienneté mais de sa valeur.
Est-ce que cette génération a une influence sur ses aînés ?
Bien sûr ! Cette culture infuse dans les entreprises. Les « baby-boomers » sont très « Y » dans leur façon de fonctionner. La plupart des aspirations de la génération Y ont été portées par les X et les baby-boomers : mais la génération Y les revendique haut et fort car à la différence de ses aînés, elle n’a rien à perdre. Elle remet en cause le système de façon massive, et devient un enjeu RH.
Quel est le « Good Job » de cette génération ?
Pour cette culture, il n’existe pas de clivage net entre la vie personnelle et la vie professionnelle. L’entreprise fait partie d’un écosystème ouvert. Beaucoup de salariés ressentent un malaise dans leur entreprise sans pouvoir mettre des mots dessus, sans en avoir conscience. Notre intervention les aide à réaliser qu’ils ne sont pas le problème, mais la solution. Ils se rendent compte que le discours de la génération Y est le leur, que leurs ambitions professionnelles sont différentes de celles de leurs aînés. Ils ont une vision court-termiste, aspirent à des trajectoires très transversales. Ils veulent être entrepreneurs de leur propre vie et avoir 15 vies en une! Le bonheur professionnel viendra moins de l’escalade des échelons de la pyramide que de la diversité de leur trajectoire, c’est ce qui les inspire ! Cela entraine un changement du rapport de force avec les entreprises, ce qui est paradoxal dans un contexte de crise.
Vous portez également la casquette de présidente de l’association « WoMen’Up » : la question de la place de la femme en entreprise est-elle indépendante de celle de la génération Y ?
Au contraire ! Les deux sujets se recoupent. La mutation à laquelle nous avons affaire est plus qu’une mutation digitale, elle est une mutation de genre. Les aspirations jusque-là féminines deviennent des aspirations générationnelles et mondiales.
Le mot de la fin :
Faites confiance à la jeunesse dans vos organisations, elle porte en elle les fondements de l’entreprise de demain.
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