Self-management : quand les salariés se managent seuls !

18 janv. 2024

5min

Self-management : quand les salariés se managent seuls !
auteur.e
Paulina Jonquères d'Oriola

Journalist & Content Manager

contributeur.e

Laisser les collaborateurs se manager de façon autonome, voilà qui peut laisser craindre a priori des zones de flou ou d’incompréhension, voire des débordements. Pourtant, ce courant managérial qui prône une responsabilisation complète des salariés, a visiblement beaucoup à offrir. Décryptage.

Dans sa version française, le self-management signifie autogestion ou autocontrôle. Mais pour Luc Bretones, fondateur de NextGen et expert en nouvelles gouvernances, voilà qui traduit mal ce concept apparu dès la fin du XIXème sous les traits de la sociocratie d’Auguste Comte, avant d’être popularisé dans les années 1970 par Gérard Endenburg aux Pays Bas. « On pense à tort que le self-management, c’est le chaos et la liberté de tout faire, alors que c’est tout l’inverse. Il s’agit d’un ensemble de règles précises qui définissent le périmètre d’action et de prise de décision de chacun. Sans avoir sans cesse à consulter les autres, les collaborateurs peuvent fonctionner en autonomie sur un certain nombre de sujets, le tout reposant sur la base du consentement », explique-t-il.

Le self-management, ce n’est pas non plus l’absence de management ou de hiérarchie. Pour Luc Bretones, il s’agit simplement d’une autre forme de management : « Toutes les organisations ont besoin d’une colonne vertébrale. La hiérarchie s’impose dans toute culture humaine, et persistera dans les organisations. Simplement, on passe d’un management de subordination des personnes à une forme de leadership collaboratif. » Mais en quoi consiste vraiment ce dernier ? Quels sont les avantages et les limites d’un tel modèle ? Et surtout, comment le mettre en place efficacement ?

Self-management : la voie sacrée de l’autonomie

« Aujourd’hui, je peux dire que c’est une aventure extraordinaire. Comme une randonnée entre amis, on ne sait pas où cela va nous mener, tout ne sera pas rose, mais cela vaut vraiment le coup. » Voilà comment Jean de Maupeou décrit le modèle de self-management, qu’il expérimente chaque jour au sein de FlexJob. Pour cette société nantaise, spécialisée dans les projets de transformation des entreprises, tout a commencé par la suppression des primes individuelles. « On s’est rendu compte qu’en travaillant de manière très collaborative, on augmentait la satisfaction des clients et on gagnait en compétences », se souvient-il.

Puis, l’entreprise a voulu aller un cran plus loin, en cherchant un modèle plus épanouissant, jusqu’à opter pour la gouvernance partagée entre les douze collaborateurs, dont le fondateur. Et, preuve que cela fonctionne à toutes les échelles, on peut citer deux entreprises françaises qui emploient une centaine de salariés, Agronutris et Martin Technologies -une DSI d’Orange comprenant 500 salariés-, ou encore l’entreprise Gore-Tex, qui compte plus de 12 000 collaborateurs à travers le monde.

Un succès qui tient aux avantages non négligeables de ce
modèle :

  • Une clarté et une rigueur inédites : « La plupart des entreprises fonctionnent sur la base de règles implicites. Avec le self-management, c’est l’inverse : les règles sont parfaitement explicites et sont identiques pour tout le
    monde
    », précise Luc Bretones. Une transparence qui permet ainsi de lutter contre les jeux de pouvoir.
  • Un accent mis sur la raison d’être : « Le management par rôle nécessite de s’aligner sur les objectifs stratégiques. Via la méthode OKR, on se concentre sur ce qui a un maximum d’impact, et de ce fait, on évite les dérapages », insiste Luc Bretones. Le cas de FlexJob en est l’illustration, car le pouvoir y est distribué à travers des rôles, redevables d’actions précises et souvent partagés par deux personnes. « Chaque rôle a une raison d’être, sinon il est voué à disparaître », confirme Jean de Maupeou.
  • Une flexibilité opérationnelle : « Le principe du self-management est de mettre un maximum de subsidiarité, afin que les collaborateurs puissent exécuter le plus de tâches possible en autonomie », précise encore l’expert en nouvelles gouvernances. Chez FlexJob encore, tout le monde peut prendre des décisions opérationnelles sur la base d’une règle simple. Quand il s’agit d’une décision à faible impact, il suffit d’en informer les autres. Quand l’impact est moyen, on sollicite l’avis des personnes les plus concernées par cette décision. Enfin, quand la décision a un impact fort, comme par exemple le choix d’un salaire ou l’ouverture d’un nouveau bureau, le fonctionnement s’effectue fonctionne par consentement. « C’est-à-dire qu’aucune objection réelle et valable doit être apportée pour que la décision soit validée », précise Jean de Maupeou. La vertu de ce mode de fonctionnement est de permettre à chacun d’avancer rapidement sur ses sujets. Et pour les thématiques qui demandent une prise de hauteur plus importante, la gouvernance de l’entreprise est partagée par trois personnes de façon tournante. « Ces personnes ont le rôle de lanceurs d’alerte en quelque sorte », poursuit notre interlocuteur.
  • Une organisation en mouvement : on l’a vu, une organisation basée sur le self-management est plus normée qu’il n’y paraît, mais elle nécessite de remettre sans cesse à plat les règles, la réalité d’aujourd’hui n’étant pas celle de demain.

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5 conseils pour éviter les couacs

Si le self-management présente des avantages certains, sa mise en place, elle, ne peut s’envisager à la va-vite. « On s’est dit que l’on pouvait prendre les décisions de manière collective, mais nous nous sommes vite rendu compte que le côté “tout le monde décide de tout” était une mauvaise idée », rembobine Jean de Maupeou. Mieux vaut donc suivre quelques recommandations pour éviter les faux pas.

Conseil n°1 : s’assurer de l’adéquation de sa culture d’entreprise au modèle

Pour Ana Zonari, le self-management ne peut fonctionner qu’à la condition d’une véritable symbiose avec la culture de l’entreprise, mais pas pour répondre à un effet de mode. « Je pense que c’est plus facile dans une entreprise où cela est ancré dans la culture dès le démarrage », affirme-t-elle. Davantage, elle estime que si la volonté doit émaner de la direction, les collaborateurs, eux aussi, doivent être réellement en demande de plus d’autonomie. Or, « ce n’est pas toujours le cas », comme le constate aussi Luc Bretones.

Conseil n°2 : mettre en place un cadre structuré

Lors de la mise en place du self-management chez Flexjob, Jean de Maupeou et son équipe se sont vu confrontés à certaines difficultés, à commencer par une absence d’ownership. Un écueil sans doute classique, qui explique que de nombreux projets de self-management avortent avant même d’avoir vraiment commencé. La solution ? S’assurer d’édicter des règles suffisamment précises et claires pour tous, qui ne donnent pas l’impression que chacun dispose des mêmes prérogatives. Alors que de toute évidence, « tout le monde n’a pas la même autorité sur les sujets. C’est une question de compétences ».

Conseil n°3 : offrir un espace de discussion et de débat

« II ne faut pas hésiter à s’exprimer, débattre, oser affirmer ses désaccords. Nous avons le devoir d’être bienveillants les uns envers les autres, mais nous devons être très exigeants avec les rôles », pointe encore Jean de Maupeou. En accompagnant d’autres sociétés dans leur transition, cet associé a pu constater que le self-management peut créer des formes de non-dits :
« Parce que tout le monde est très bienveillant, personne n’ose se dire les choses, ce qui n’apporte rien de bon. » Or, la réussite d’un tel projet implique de parvenir à mettre aussi les sujets qui fâchent sur la table.

Conseil n°4 : accompagner ses managers

Ana Zonari, Head of Training, a pu expérimenter certaines difficultés lors de la mise en place du self-management au sein de son agence de conseil RH Ignition Program. « Nous fonctionnions sur la base du co-management, mais au final, on avait du mal à suivre nos résultats. De plus, la difficulté à prioriser peut entraîner chez certains du surmenage », estime-t-elle notamment. À cette difficulté de priorisation, elle ajoute le risque d’un manque de reconnaissance, elle qui croit farouchement à l’importance de conserver des managers en entreprise, dans une version 2.0. « Beaucoup de salariés quittent l’entreprise à cause du micromanagement ou d’un manager flou, mais cela ne signifie pas qu’il faille renoncer au management. Car bien pratiqué, il permet de faire grandir les collaborateurs », milite-t-elle.

Conseil n°5 : prévoir le temps et les moyens nécessaires

Une telle transformation mérite un accompagnement en profondeur, soit par des spécialistes en externe, soit par la formation spécifique des ressources en interne au démarrage, afin que le projet soit piloté au mieux. Sans compter qu’il est primordial d’accorder du temps à ce changement de fond. Aussi, une phase de test sur quelques équipes, avant de se lancer dans toute l’organisation, est une option à garder en tête selon les recommandations de Luc Bretones.

Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.