Saisie sur salaire : « Mes collègues m'ont jugé irresponsable »

21 sept. 2023

5min

Saisie sur salaire : « Mes collègues m'ont jugé irresponsable »
auteur.e
Sarah Torné

Rédactrice & Copywriter B2B

contributeur.e

Il suffit d'un instant, d'une décision, d'un imprévu pour que la vie (financière) bascule. Et lorsque cette réalité s'invite sur le lieu de travail, elle peut bouleverser notre vie professionnelle. Qui n'a jamais ressenti un frisson en ouvrant une lettre officielle, craignant une mauvaise nouvelle ? Pour certains, cette fameuse lettre a annoncé une saisie sur salaire, une procédure aussi mystérieuse qu'inquiétante.

La saisie sur salaire est une procédure légale permettant à un créancier de récupérer une somme d’argent due par un débiteur directement sur son salaire. Elle intervient généralement après plusieurs relances et lorsque le débiteur est dans l’incapacité de rembourser ses dettes. Si cette procédure vise à protéger les droits du créancier, elle peut avoir des conséquences lourdes pour le salarié concerné, tant sur le plan financier qu’émotionnel.

Florent, 29 ans - Motion Designer : « Je me suis senti très infantilisé* »

2020 : une année marquée par la pandémie, les confinements et… le couvre-feu. Comme beaucoup, j’avais besoin de décompresser, de retrouver un semblant de normalité. Alors, un soir, j’ai décidé d’organiser une petite soirée chez moi. Rien de bien fou, juste quelques amis, de la musique, des rires. Mais voilà, la musique était peut-être un peu trop forte, et les rires un peu trop joyeux au vu du contexte. Alors que la soirée battait son plein et que Britney Spears entamait le refrain de « Toxic », des coups à la porte ont interrompu notre insouciance. Des policiers se tenaient là, nous informant d’une plainte pour tapage nocturne. Ils ont simplement relevé mes coordonnées, sans vraiment m’expliquer les conséquences de cette intervention. Je m’attendais à une amende, certes, mais rien ne m’avait préparé à ce qui allait suivre.

Quelques semaines plus tard, j’ai reçu une lettre officielle. À ma grande surprise, il ne s’agissait pas d’une simple amende, mais d’une amende majorée. Je n’avais reçu aucune notification initiale, aucun détail sur le montant à payer. Confus, j’ai décidé de contacter l’institution compétente pour clarifier la situation. J’étais prêt à assumer ma responsabilité, mais je voulais comprendre cette majoration soudaine. Les mois ont passé, et au lieu d’une réponse, j’ai reçu une nouvelle amende, encore plus majorée que la précédente. J’étais abasourdi. J’ai immédiatement tenté de contacter l’institution compétente, cherchant des explications, une solution. Mes appels et mes courriers sont restés sans réponse.

Puis, un matin, alors que j’avais presque oublié cette histoire, une autre lettre est arrivée. Elle annonçait la saisie sur salaire d’une amende de trois fois le montant initial. J’étais à la fois furieux et résigné. J’avais tenté de faire les choses correctement, de dialoguer, mais j’avais été confronté à un mur de silence. Et les conséquences ne se sont pas arrêtées là ! Lorsque la nouvelle de la saisie sur salaire a atteint mon lieu de travail, j’ai dû faire face à pas mal de conversations difficiles avec mes collègues. On m’a jugé irresponsable, d’abord d’avoir organisé un rassemblement en pleine période Covid, et ensuite de ne pas avoir réglé mon amende dans les temps. J’ai compris dans le regard de certains que c’était « bien fait pour moi. »

Ma direction, quant à elle, m’a convoqué pour discuter de la situation. Bien que compréhensifs, mes supérieurs m’ont rappelé l’importance de la discrétion et de la gestion personnelle. Je me suis senti très infantilisé, presque rabaissé. Ce qui au départ devait être une chouette soirée entre amis s’est transformé en une galère financière et administrative, qui m’a poursuivi jusqu’au bureau. La situation a fini par se tasser, mon dû a été réglé, mais je garde un gros sentiment de frustration lié à cette époque.

Yves, 63 ans - ex-Directeur des Ressources Humaines : « J’ai toujours été respecté pour mon expertise et mon leadership, mais cette situation a changé la donne* »

À l’approche de la retraite, je pensais avoir tout planifié. Mais la vie réserve parfois des surprises. Suite à un investissement immobilier malavisé, j’ai été confronté à d’importantes dettes. Lorsque j’ai reçu la notification de saisie sur salaire, j’étais abasourdi. À mon âge, avec ma position, je n’aurais jamais imaginé me retrouver dans une telle situation.

J’ai tenté de garder cette situation confidentielle, mais travaillant dans les ressources humaines, c’était ironiquement plus compliqué pour moi. Un de mes subordonnés, qui traitait les dossiers de paie, a découvert ma situation. Bien que professionnel, il a partagé l’information avec quelques collègues en qui il avait confiance. Mais comme on dit, les murs ont des oreilles.

Les regards de pitié, les murmures derrière mon dos, c’était insupportable. J’ai toujours été respecté pour mon expertise et mon leadership, mais cette situation a changé la donne. Certains collègues plus jeunes ont commencé à me voir comme un vieil homme dépassé par les événements, et non plus comme leur directeur.

Heureusement, avec le soutien de ma famille, j’ai pu vendre certains biens et régler mes dettes en un an. La saisie a été levée, mais l’impact sur ma réputation a perduré. Je sentais que l’on me percevait différemment au travail. Au sein de la direction en particulier, j’ai senti un certain mépris de la part de mes collaborateurs. J’étais moins écouté, moins considéré dans les décisions stratégiques. En fait, j’ai senti qu’on me mettait petit à petit au placard. J’ai finalement pris ma retraite plus tôt que prévu, pour prendre un nouveau départ loin des jugements.

Sophie, 52 ans - Professeure de Yoga : « J’ai appris ma leçon, et maintenant je suis plus attentive à mes finances* »

Il y a quelques années, j’ai eu une petite mésaventure financière. Rien de grave, juste une série de stages de yoga à l’étranger que j’avais oublié de déclarer aux impôts. Résultat : une petite saisie sur salaire pour régler le dû.

Quand la nouvelle s’est répandue dans le studio où je travaillais, nous avons tous pris le parti d’en rire. Mes collègues se moquaient gentiment de moi, me rappelant l’importance de la « pleine conscience » même dans les finances. J’en ai aussi parlé ouvertement devant mes élèves, qui me connaissent depuis plus de 10 ans pour certains. L’un d’entre eux m’a même offert une calculatrice en fin d’année, avec un petit mot disant : « Pour t’aider à rester équilibrée financièrement ! »

La saisie a duré seulement trois mois, et honnêtement, cela n’a pas vraiment affecté ma vie quotidienne. J’ai appris ma leçon, et maintenant je suis plus attentive à mes finances. Mais je garde toujours la calculatrice sur mon bureau, comme un petit rappel de cette époque et de l’importance de garder les pieds sur terre (et un œil sur mes finances).

La saisie sur salaire, plus qu’une simple procédure administrative

Pour ceux qui la vivent, elle peut s’avérer être une véritable épreuve personnelle et professionnelle. Elle rappelle à chacun d’entre nous combien il est crucial d’être vigilant quant à nos finances, mais aussi de comprendre qu’un moment d’égarement, une décision imprudente ou même un malentendu peuvent avoir des conséquences bien au-delà de ce que l’on pourrait imaginer.

Au-delà de ces difficultés, faire les frais d’une saisie administrative peut nous apprendre un enseignement fondamental : la capacité de résilience. Chaque vécu, qu’il soit marqué par l’humour, la frustration ou la remise en question, illustre la détermination des individus lorsqu’ils sont confrontés à des défis. Les jugements des autres peuvent être difficiles à encaisser, mais ils ne définissent pas notre valeur ni notre identité.

En fin de compte, la saisie sur salaire peut aussi être une opportunité de repartir à zéro, de revoir ses priorités et de renforcer ses compétences en matière financière. Après tout, l’erreur est humaine, mais c’est notre capacité à apprendre et à grandir à partir de ces erreurs qui relèvent notre véritable force de caractère.

Article édité par Manuel Avenel ; Photo par Thomas Decamps

*Les prénoms ont été modifiés.

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