« J'ai vécu le micromanagement et c'était un enfer »

09 nov. 2023

5min

« J'ai vécu le micromanagement et c'était un enfer »
auteur.e
Sarah Torné

Rédactrice & Copywriter B2B

Il existe une ligne fine, et malheureusement invisible, entre un encadrement attentif et un contrôle excessif. Cette ligne, une fois franchie, peut transformer une expérience de travail enrichissante en un véritable cauchemar. C'est l'histoire de Lucile, dont le parcours professionnel a été marqué par l’ombre oppressante du micromanagement.

Lucile a plongé dans le monde des start-ups et des médias avec l’ambition d’y laisser sa trace. Elle cherchait à évoluer, à inspirer et à être inspirée, à manager et à être managée dans un échange de respect et de croissance mutuelle. Mais ce qu’elle a rencontré fut tout autre : une réalité où chaque détail de son travail était scruté, chaque minute de sa journée comptée, et chaque once de son énergie, surveillée et évaluée.

Le micromanagement ne se manifeste pas toujours dès le premier jour. Il s’installe insidieusement, se camouflant derrière des intentions parfois bienveillantes, avant de révéler sa nature étouffante. Pour Lucile, cette réalité est devenue un enfer quotidien, un combat constant pour préserver son intégrité professionnelle et personnelle face à des managers qui ne savent pas lâcher prise.

Les premiers signaux d’alerte

Ma première rencontre avec le micromanagement a eu lieu dans une start-up réputée. Je suis embauchée pour apporter ma vision stratégique du contenu et pour insuffler une nouvelle dynamique à l’équipe. Cependant, l’excitation de relever de nouveaux défis a rapidement laissé place à une réalité plus sombre.

La personne que je dois manager prend mal mon arrivée et choisit de démissionner, créant une tension dès le début. Mon manager, quant à lui, est étranger au monde de l’écriture, mais souhaite examiner chaque ligne que je produis, chaque idée que je propose. Je me souviens de documents partagés, jonchés de commentaires et de suggestions qui semblent moins viser l’amélioration de mon travail que la démonstration d’une présence autoritaire.

Le micromanagement s’installe doucement mais sûrement, et avec lui, un sentiment d’oppression grandit. Je commence à ressentir une anxiété sourde, une peur de faire des erreurs, car je sais qu’elles ne passeront pas inaperçues. Je me sens comme une artiste dont le pinceau est guidé par une autre main, où chaque trait est surveillé et souvent redessiné.

Un mois à peine après mon arrivée, je suis convoquée un lundi matin pour me voir signifier que je ne suis « pas au niveau ». Ces mots sonnent comme le coup de grâce. La crise d’angoisse qui s’ensuit est le témoignage de mon épuisement. J’ai quitté un emploi stable dans un gros média pour cette opportunité, et voilà que je me retrouve à devoir rebondir. La start-up, plutôt que de s’attaquer à la racine du problème, a choisi de protéger le manager responsable du micromanagement, entraînant (même après mon départ) un turnover massif et une perte de talents considérable.

Quand l’histoire se répète

Après cette mauvaise expérience, je me jure de ne plus jamais tomber dans un tel piège. Pourtant, lorsque je rejoins un grand média quelques mois après, je ne vois pas venir la tempête.

La phase d’intégration est douce - ma nouvelle manager ayant pourtant assez mauvaise réputation. Malheureusement, les premières fissures apparaissent rapidement, mettant une fin abrupte à ma lune de miel professionnelle.

J’identifie rapidement les premiers signes du micromanagement : des demandes de visibilité excessive, des tâches qui ne sont pas de mon ressort qui s’empilent, des commentaires pointilleux sur des travaux qui, finalement, ne sont pas utilisés… On me demande de « microtracker » tous mes articles - une exigence non imposée aux autres - comme si on cherchait à quantifier ma valeur et ce que je « rapporte ». Chaque tâche devient une urgence, chaque détail une affaire d’État, créant une pression constante.

Avec le télétravail, la surveillance s’intensifie. Ma disponibilité en ligne est constamment vérifiée. Il faut que ma pastille de statut sur Slack et Teams soit toujours verte, signe que je suis à mon poste, disponible et productive. Si jamais elle ne l’était pas, je pouvais m’attendre à recevoir des messages me demandant des comptes sur ce que je faisais.

Le management dans ce média est un écho permanent de ma première expérience, un refrain répétitif qui me rappelle que, malgré un changement de décor, je suis de nouveau face à un manager qui ne peut pas lâcher prise. Ma manager scrute chaque détail de mes rendus, chaque mot, chaque virgule. C’est comme si elle ne pouvait pas faire confiance en mes compétences, celles-là mêmes qui m’avaient valu d’être embauchée.

La descente aux enfers

Malheureusement, son micromanagement ne se contente pas de s’immiscer dans ma vie professionnelle, mais cherche à franchir les frontières de ma vie privée. Lorsque j’annonce mon besoin de prendre un jour de congé pour déménager, sa réponse en est un reflet glaçant : « Ça ne m’arrange pas ».

Le pire survient lorsque ma santé commence à décliner. Je découvre que je suis atteinte d’endométriose, une maladie déjà difficile à gérer, mais qui devient un enfer sous le poids du micromanagement. Alors que le médecin du travail me préconise plus de flexibilité et de repos, ma manager exige au contraire une prévisibilité (impossible) de mes jours d’absence.

Finalement, c’est un acte assez anodin qui fait déborder le vase. Alors que j’organise un déjeuner pour le départ d’un stagiaire sans l’inclure, elle réagit avec une froideur qui m’a glacé le sang. Je reçois un email intitulé « Bonnes pratiques », me réprimandant pour cette initiative personnelle. C’est le moment où je comprends que ma santé mentale et physique est en jeu, et que je dois prendre des mesures drastiques pour me protéger.

Je décide d’alerter les ressources humaines, le syndicat, le délégué du personnel, et le médecin du travail. Malgré mes alertes répétées et mes tentatives de résoudre la situation par les voies officielles, l’entreprise choisit de protéger ma manager, invoquant son style de management « à l’ancienne » et minimisant ses comportements problématiques. Quelques mesures sont prises, un coaching est mis en place pour la former, mais le mal est fait. La confiance est rompue, et ma capacité à contribuer et à m’épanouir dans mon travail est irrémédiablement endommagée.

Actuellement, je suis en arrêt maladie, épuisée non seulement physiquement mais aussi mentalement. La perspective de retourner dans un tel environnement m’est insupportable. Ma manager continue de gérer des équipes, malgré les avertissements et les recommandations d’une entreprise de conseil externe qui a clairement indiqué qu’elle n’était pas apte à manager.

L’entreprise, pour sa part, semble réticente à prendre des mesures concrètes, préférant me proposer une rupture conventionnelle plutôt que de s’attaquer au problème à la source.

Le micromanagement, une négligence des compétences

Cette descente aux enfers m’a appris une leçon cruelle : le micromanagement n’est pas seulement une question de style de management, c’est une question de respect : à la fois de l’expertise des salariés, de leur autonomie dans l’exécution de leurs tâches, et de leur capacité à contribuer de manière significative sans être constamment surveillés ou dirigés. Il ne s’agit pas seulement de performance ou de résultats, mais de l’impact profond et durable que de telles pratiques peuvent avoir sur l’individu. J’ai dû faire face à la réalité : pour sauvegarder ma santé et mon bien-être, je devais prendre de la distance avec mon travail, et prendre le chemin du « quiet quitting » (l’attitude d’un employé qui choisit de ne faire que le strict minimum requis par son poste, sans s’engager au-delà des attentes ou des responsabilités de base, ndlr).

J’ai compris que le dialogue était essentiel dans cette situation. Il faut à tout prix parler avec son manager dès que l’on reconnaît les signaux du micromanagement. Car vient un moment où le dialogue n’est plus possible, où l’on est trop atteint pour parler. Mais lorsque les retours sont ignorés ou déformés par la hiérarchie, il faut avoir le courage de remettre en question l’environnement dans lequel on évolue.

Si je devais un jour me retrouver dans un rôle de manager, je sais que je ferais les choses différemment. Je valoriserais la confiance et l’autonomie, j’offrirais un soutien sans étouffer. Je serais attentive à ne pas répéter les erreurs de mes anciens superviseurs, en comprenant que le micromanagement est le signe d’une faiblesse managériale, pas d’une rigueur professionnelle.

Article édité par Aurélie Cerffond, photographie par Thomas Decamps.

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