Manager : comment faire passer un entretien quand on n’aime pas ça ?

08 janv. 2024

5min

Manager : comment faire passer un entretien quand on n’aime pas ça ?
auteur.e
Barbara Azais

Journaliste freelance

contributeur.e

Stress, confusion, timidité… Faire passer un entretien d’embauche est un défi pour certains managers. En plus de la peur d’être jugés par les candidats, ils savent qu’une grosse charge pèse sur leurs épaules et qu’un mauvais recrutement coûte cher.

« Je suis aussi stressée que la personne que je reçois en entretien d’embauche », raconte Debbie, 37 ans, manager dans le tourisme. « J’ai mal au ventre alors que je suis censée avoir le rôle le plus confortable. Mais je sais que les candidats vont aussi m’évaluer et j’appréhende ce jugement de valeur. » Les managers jouent un rôle clé dans le processus de recrutement, puisque c’est sous leur responsabilité que les nouveaux arrivants vont travailler.

Mais le recrutement est un métier à part entière pour lequel ils ne sont pas toujours formés. Et qui, pour certains, s’avère un mauvais moment à passer. « Je déteste ça », explique Marie-Pierre, 56 ans, responsable administrative et comptable dans une PME en pleine croissance. « Je connais bien le poste pour lequel je recrute donc j’ai peur d’être trop précise et d’oppresser les candidats, ou à l’inverse, d’être trop évasive et de ne pas les captiver. » Alors très vite, elle s’interroge et doute d’elle-même : « Je me dis que j’ai peut-être été trop direct… Ou je me demande si j’ai eu des comportements que je n’aurais pas aimé que l’on ait avec moi ».

Guerre des talents : un contexte qui met la pression aux managers

En pleine « guerre des talents », les managers savent aussi que les codes du recrutement ont changé et que l’opération séduction n’est plus à sens unique. Les candidats ont de nouvelles attentes, comme celles d’avoir de la flexibilité, un meilleur équilibre vie pro / vie perso ou encore une meilleure qualité de vie au travail. Autant d’avantages qui reposent majoritairement sur la qualité du management. « C’est important que les managers fassent partie du processus de recrutement car les candidats veulent savoir avec qui ils seront amenés à travailler, même lorsqu’il y a un service RH ou qu’un cabinet de recrutement est mandaté », confirme Laure Charbonneau, directrice régionale du cabinet de recrutement Robert Half.

Une enquête a en effet démontré que 30 % des talents refusant une offre d’emploi après l’avoir acceptée, ou pendant la période d’essai, ont fait marche arrière à cause d’une mauvaise relation avec le ou la manager. Un contact négatif avec ce dernier lors d’un entretien d’embauche serait même rédhibitoire pour 37 % des talents, juste après un salaire trop bas (65 %) et une localisation qui ne convient pas (49 %). « Pourtant, ce que nous dégageons en entretien, en tant que recruteurs, peut ne pas refléter ce que nous sommes vraiment, explique Debbie. Des talents que j’ai recrutés m’ont déjà dit, après coup, que j’avais eu l’air fermée et dure lors de notre rencontre. Alors qu’ils ont découvert que j’étais tout l’opposé. »

Derrière le stress, la crainte d’un mauvais recrutement

Recruter le profil idéal est une responsabilité de taille pour les managers, qui se savent scrutés sous tous les angles par les candidats, mais aussi attendus au tournant. D’une part par leur équipe, qui espère qu’ils dénichent la bonne personne pour pourvoir efficacement et durablement aux besoins collectifs. Et de l’autre, par leur hiérarchie qui leur a accordé une confiance qu’ils ne veulent pas briser. « Il y a des enjeux importants derrière, ajoute Debbie. Car si on se plante, c’est une perte de temps, d’énergie et d’argent pour la boîte. » La pression est énorme. Car les recrutements ratés coûtent cher aux entreprises. Selon ManPower, HR Voice et Opensourcing, cela représenterait 30 000 euros pour un poste de technicien et 150 000 euros pour un dirigeant.

« Je me suis déjà trompée dans mes recrutements », confie Debbie qui fait passer un ou deux entretiens d’embauche par an et qui considère que « c’est déjà trop ». « Ce n’est pas évident de cerner quelqu’un que l’on ne connaît pas, qui a peut-être trafiqué son CV et qui essaie de paraître sous son meilleur jour, poursuit-elle. On a tendance à croire en une personne qui a beaucoup d’assurance, car si elle est à l’aise, cela suggère qu’elle s’y connaît. C’est parfois plus rassurant qu’un candidat réservé ou timide. Alors qu’au final ça ne veut rien dire. »

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1. Définissez à l’avance les 4 compétences clés recherchées

« Afin d’éviter les questions classiques rébarbatives, les managers devraient définir les 3 ou 4 compétences clés qu’ils recherchent », conseille Laure Charbonneau. Ces quelques aptitudes peuvent même être définies en concertation avec toutes les personnes impliquées dans le processus de recrutement (RH, directeur de service, employeur, etc.), afin qu’elles soient toutes sur la même longueur d’onde. « Préparer l’entretien à plusieurs permet d’avoir du recul. »

2. Préparez les questions pour identifier ces compétences clés

« Ensuite, on peut imaginer les questions à poser pour identifier ces compétences. Par exemple, pour déceler une bonne capacité d’apprentissage, on peut imaginer des questions telles que : “Qu’avez-vous appris ou qu’apprenez-vous par vous-même ?”. Cela peut être : jouer d’un instrument de musique, pratiquer un sport, etc. Ou encore : “Qu’avez-vous appris lors de votre dernière expérience professionnelle ?”. » Le tout est de poser des questions ouvertes qui invitent à la discussion. « Ce n’est pas tellement la structure qui compte, mais la profondeur. » Bien définir les compétences attendues et les questions qui permettent de les détecter permet déjà d’appréhender l’entretien d’embauche avec une meilleure visibilité et plus de sérénité. Car en plus d’être pertinente, cette ligne conductrice est rassurante et évite de se disperser.

3. Répartissez-vous les questions avec l’équipe de recrutement

Une fois les questions arrêtées, il est recommandé de les répartir entre toutes les personnes intervenant dans le processus de recrutement. « En effet, si on est plusieurs à poser les mêmes questions aux candidats, c’est ennuyant », argue Laure Charbonneau, selon qui il est important de véhiculer l’image d’une équipe organisée.

4. Respectez une phase de préparation avant l’entretien

Une fois les questions attribuées, place à la rencontre… Mais pas sans préparation ! La plupart du temps, les managers « calent » en effet les entretiens d’embauche entre deux réunions, là où il y a de la place. Ce qui les amène à passer brutalement d’une situation à une autre sans aucune préparation psychologique. Résultat : ils arrivent parfois à l’entretien sans avoir réellement déconnecté de leur réunion précédente, manquant de concentration, n’ayant plus le profil de la personne en tête, oubliant les questions à poser et ayant du mal à se connecter à la discussion. Ce à quoi s’ajoutent le stress de la rencontre, la peur de se tromper et d’être jugé par l’autre. « Il vaut mieux libérer une quinzaine de minutes avant l’entretien pour se préparer à recevoir la personne, recommande Laure Charbonneau. Pour relire les éventuels échanges de mails, parcourir son CV et surtout, revoir les objectifs liés à cet entretien » : pourquoi rencontrez-vous cette personne ? Qu’est-ce qui vous a interpellé dans sa candidature ? Quelles sont les 3 ou 4 principales aptitudes que vous recherchez ? Quelles questions vous permettant de les identifier allez-vous lui poser ?

5. Informez votre employeur de vos difficultés et demandez à être formé

Enfin, les entreprises ont également une responsabilité et « doivent revoir leur processus de recrutement pour l’optimiser, car la façon de recruter à beaucoup évoluer », estime Laure Charbonneau. Les employeurs et les RH ne sont plus les seuls décisionnaires. Les managers sont aujourd’hui largement impliqués et sont souvent garants de la décision finale. Pourtant, malgré ce rôle décisif, toutes et tous ne sont pas capables de mener à bien un entretien d’embauche. « Les candidats posent aussi plus de questions qu’avant, ce qui bouscule un peu les managers », ajoute l’experte.

Il est donc dans l’intérêt des entreprises de former leurs managers au recrutement afin qu’ils soient mieux préparés et plus confiants. « Mais aussi aux codes du recrutement propres à leur secteur d’activité, précise Marie-Pierre. En effet, la culture du recrutement n’est pas la même dans le secteur de la finance ou au sein d’une PME, par exemple. Il faut tenir compte de ces nuances. »

Chers managers, n’hésitez pas à faire part de vos éventuelles difficultés à votre supérieur hiérarchique ou à votre employeur. Ainsi qu’à demander à être initié au recrutement. Car si vous éprouvez un malaise en entretien et ne savez pas comment mener la danse, c’est que ce n’est pas votre métier d’origine. Mais heureusement, tout s’apprend.


Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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