Managers : pourquoi les bruits de couloir ont plus à vous apprendre qu'il n'y paraît

30 mai 2022

5min

Managers : pourquoi les bruits de couloir ont plus à vous apprendre qu'il n'y paraît
auteur.e
Laetitia VitaudExpert du Lab

Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes

Au travail, les bruits de couloir ont mauvaise réputation. On les perçoit comme les héritiers des ragots de cour de récré, quand ils constituent en fait une soupape pour les salariés et un baromètre de l’entreprise pour les managers. S’ils ont un réel intérêt, les bruits de couloir n’arrivent que rarement aux oreilles des instances dirigeantes. Alors, comment leur laisser la place d’exister, et surtout, quand et pourquoi y prêter attention sans sombrer dans une politique de l’espionnage ?

Rumeurs, ragots, complaintes, râlage, conversations diverses entre collègues à la machine à café… Les « bruits de couloir » font le sel de la vie de bureau. On a tendance à les présenter comme quelque chose de négatif : il faudrait couper court aux bruits de couloir. Mais ils ne sont que le reflet de la culture d’une organisation ou d’une équipe. Ils ne sont « malsains » que si la culture l’est. D’ailleurs, même dans un environnement hostile, les « bruits de couloir » sont des échanges informels essentiels à la vie de l’organisation. Là où il y a des secrets, une absence de transparence et d’honnêteté, l’information circulera « en douce », mais elle circulera. Là où il y a surtravail ou management toxique, les collègues trouveront le moyen de se souder autour d’une bonne séance de râlage…

En somme, ces échanges en apparence négatifs jouent des rôles importants : ils compensent les défauts communicationnels de l’organisation formelle, ils sont une soupape psychologique, un défouloir cathartique, et ils donnent le pouls d’une équipe. Y prêter attention, c’est comme prendre la température d’un patient. Mais s’il y a toutes les raisons de s’y intéresser, est-on pour autant en mesure de le faire quand on est manager ? Quand et comment prêter attention aux bruits de couloir informels lorsqu’on est plus haut dans la hiérarchie et que ces bruits ne nous sont pas destinés ? Au risque de tuer tout ce qu’il y a de positif dans les échanges informels d’une équipe, il ne faudrait pas que leur importance vous incite à mettre en place une surveillance cachée ou un système d’espionnage…

Pourquoi les managers n’ont pas accès à tous les bruits de couloir

Quand on est manager, on peut être parfaitement convaincu de l’importance de prêter attention aux échanges informels entre les collaborateur·rices… mais ne pas y avoir accès aussi facilement que ces dernier·es. En effet, même dans les organisations les plus « plates », là où les niveaux hiérarchiques sont moins nombreux, l’existence des liens hiérarchiques crée une asymétrie fondamentale dans les échanges informels. On ne râle pas devant son / sa manager (même quand on l’aime bien) comme on le fait avec un·e collègue. La peur d’être jugé·e pour une baisse de motivation ou que la critique ne soit pas réellement acceptée nous pousse à être prudent·e face aux personnes « au-dessus de nous ».

Cette asymétrie fondamentale est inhérente au lien de subordination : si vous avez le pouvoir d’embaucher, de promouvoir, d’évaluer et d’augmenter quelqu’un, on sera davantage sur ses gardes avec vous. Un·e manager aura beau dire : « Vous pouvez vous ouvrir à moi et parler librement », une partie des bruits de couloir lui échapperont. Rappelons que cette barrière entre ce qui relève de la communication formelle et de la communication informelle est saine, précisément parce que la seconde compense les insuffisances de la première.

Les discussions parallèles sont d’autant plus foisonnantes qu’il y a une culture du secret dans l’organisation. Là où les circuits formels d’information sont insuffisants (on transmet peu ou mal les informations, on cache des choses aux salarié·es), les discussions de couloir sont la seule source d’informations vers laquelle on peut se tourner en tant que salarié·e. Si on se méfie des messages insincères ou mensongers issus des voies officielles, on préfère obtenir des renseignements plus « vrais » sur le fonctionnement d’une entreprise et sa culture par les voies officieuses. On va parfois aussi y trouver le moyen de former des alliances dans l’adversité.

Quand les « bruits » sont l’expression de frustrations et de colère, ils représentent un exutoire sain dont les managers sont a priori exclu·es, surtout quand ils / elles sont la cause desdites frustrations. Le râlage entre collègues est également l’occasion de nouer des liens forts. Eh oui, quand on râle avec quelqu’un, ça soulage et ça rapproche. Bien sûr, ces discussions doivent aider à agir pour aller mieux (et ne pas alimenter une forme de rancœur en restant stériles). On aurait tort de négliger les effets vertueux de la seule catharsis : les bruits de couloir ont un effet libérateur.

Mais alors, s’il existe une barrière de l’informel qui exclut les managers des bruits de couloir et que ceux / celles-là ont plus d’impacts bénéfiques s’ils / elles en sont exclu·es, que faire quand on est en haut de la pyramide pour prendre le pouls de l’organisation ? Comment prêter attention à ces échanges riches en informations ? Voici quelques dos and don’ts pour vous aiguiller.

Bruits de couloir : les 4 dos and don’ts des managers

1. Éviter absolument la surveillance, les micros cachés et les systèmes d’espion

Si prêter attention aux bruits de couloir est essentiel, planquer des microphones et/ou mettre en place un système d’espionnage digne des polices secrètes des dictatures est une autre histoire ! C’est le modèle de la Stasi en Allemagne de l’Est (RDA) qui a eu, des années 1950 aux années 1980, un puissant réseau de mouchards au sein de la population civile. Si le droit du travail ne l’interdit pas, ce n’est pas une bonne idée pour autant d’espionner ses équipes, car cela installe une culture de la méfiance et du mensonge à tous les niveaux. S’il ne reste aucun espace de parole libre, alors le sentiment d’aliénation des salarié·es est total.

2. Transmettre les informations importantes aux salarié·es, rapidement et largement

Les rumeurs les plus farfelues (et médisantes) se multiplient là où l’information officielle est insuffisante ou mensongère. Il est important de donner accès à des renseignements précis et vérifiés sur la vie de l’entreprise, tout particulièrement quand elle fait face à des crises et des défis économiques. S’il y a un vide de l’information, il sera rempli par des rumeurs et des spéculations, souvent bien plus négatives que la vérité. Il y a donc intérêt à officialiser les annonces (départs, recrutements, nouveau·elle PDG, plan de licenciement, etc.) le plus rapidement possible.

3. Créer des canaux sécurisés pour les lanceurs d’alerte et les personnes victimes de harcèlement

L’information pourra circuler du bas de la hiérarchie vers son sommet via des canaux sécurisés qui protègent les lanceur·ses d’alerte (ceux / celles qui voudraient rapporter des crimes, délits et dysfonctionnements dont ils / elles ont été témoins) et les victimes. Cela veut dire qu’il devrait exister au sein des départements des ressources humaines des protocoles spécifiques pour garantir la sécurité des personnes concernées, pour les protéger de la pression, des violences et des sanctions. Cela n’est pas facile dans la pratique car les DRH sont souvent soumis·es à la direction et rarement organisé·es comme un « contre-pouvoir » indépendant (comme le pouvoir judiciaire à l’échelle d’un État). On peut ajouter à cela tout ce qui relève de la « tolérance zéro » sur les sujets de harcèlement au travail. Cela peut passer par l’incitation pour les collègues à reporter des faits de harcèlement dont ils / elles sont seulement témoins (le bystander training).

4. Organiser des rituels pour que les salarié·es puissent poser toutes leurs questions (même irrévérencieuses) aux dirigeant·es

Les grand-messes d’entreprises ont tendance à être des moments guindés où les échanges d’informations ne sont pas toujours libres. Les salarié·es sont censé·es écouter la parole officielle, assis·es religieusement devant d’ennuyeuses présentations PowerPoint. Mais certaines entreprises ont imaginé au contraire des moments d’échanges et encouragent les salarié·es à poser aux dirigeant·es des questions difficiles ou gênantes. Un·e collègue peut être préparé·e à formuler la première question. Libérée grâce à cette intervention, la machine des questions est ensuite difficile à arrêter. Des réponses sincères et complètes de la part des dirigeant·es contribueront à faire de ces « messes » des rituels de remontée d’informations, de critiques et de problèmes.

Retenez que les bruits de couloir ont leur utilité et qu’ils ne vous seront pas toujours accessibles si vous êtes haut placé·e dans la hiérarchie de votre organisation. Ils restent « sains » dans la mesure où vous combattez par ailleurs les tabous et la culture du secret qui font le lit des ragots mensongers, des rumeurs malveillantes et des rancœurs. On préfère parfois cacher ce qui n’est pas glorieux pour sa marque employeur (les histoires de prud’hommes, les départs à problèmes, les cas de harcèlement), mais souvent, les « bruits de couloir » seront d’autant plus délétères que les secrets et les tabous sont puissants.


Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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