Les syndicats sont-ils devenus le nouveau cool ?

07 sept. 2023

5min

Les syndicats sont-ils devenus le nouveau cool ?
auteur.e
Laetitia VitaudExpert du Lab

Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes

L’année 2023, bercée par les manifestations anti-réforme des retraites, semble avoir remis les syndicats sur le devant de la scène. Les adhésions ont explosé au printemps et les jeunes, pourtant décrits comme individualistes et désintéressés par le travail, ont même rejoint le mouvement en force. Alors, véritable remontada et retour du « cool » pour ces corps intermédiaires ou chant du cygne d’institutions vouées à l’agonie ?

Après des années de déclin, les organisations syndicales, la CFDT et la CGT en tête — la Confédération française démocratique du travail et la Confédération générale du travail sont respectivement le premier et le second syndicat de France — ont connu en 2023 un remarquable regain de popularité. Révoltés par la réforme des retraites qui leur demandent de travailler plus longtemps, appauvris par l’inflation, inquiets pour l’avenir du travail (et de la planète), de nombreux salariés ont pris leur carte CFDT, CGT, FO…

Depuis le début de l’année, les organisations syndicales enregistrent une hausse exceptionnelle du nombre d’adhésions, y compris dans des univers professionnels historiquement peu syndicalisés. La CFDT a gagné plus de 30 000 nouveaux adhérents, ce qui représente une hausse de 40% par rapport à 2022. Au printemps, la CGT a quant à elle enregistré une hausse de 200% du nombre d’adhésions. Fortement mobilisés, les salariés français se sont rassemblés dans des cortèges immenses pour exprimer leur colère face au projet de réforme de la retraite, confiant aux organisations syndicales le soin de mener pour eux les négociations.

Dans les cortèges, des jeunes et des moins jeunes se sont lancés dans des danses endiablées sur des rythmes militants, filmés et relayés de manière virale sur TikTok et Instagram. Si les médias traditionnels n’étaient pas franchement du côté des manifestants, les jeunes, leurs réseaux et leurs médias avaient, eux, bien choisi leur camp. Et il n’y a pas à dire : le cool était de leur côté ! Les nombreux accessoires que les manifestants se sont arrachés comme autant de signes tendance en sont une preuve de plus. Cette iconique casquette à strass de la CGT ou cet hilarant décapsuleur CGT qui chante l’Internationale à chaque ouverture de bouteille de bière illustrent une stratégie marketing maligne qui sait retourner avec humour des symboles ringards pour les rendre cool.

Qui plus est, les deux principales organisations syndicales ont cette année élu des femmes à leur tête. Sophie Binet est la première femme à diriger la CGT en 128 ans d’histoire. Marylise Léon, elle, est devenue la seconde femme secrétaire générale de la CFDT. Tout cela promet d’apporter un vent de nouveauté pour la rentrée sociale.

À l’étranger, Hollywood montre la voie

Le renouveau syndical n’est pas que français. Aux États-Unis, les « unions » ont le vent en poupe ces temps-ci. Les métiers dits « à vocation » parmi lesquels les enseignants, les soignants ou les artistes, se tournent en nombre vers les syndicats pour battre en brèche l’idée qu’on devrait accepter des salaires faibles et des mauvais traitements pour « vivre de sa passion ». Une étude récente révélant que les employeurs payent moins les heures supplémentaires de leurs travailleurs « passionnés » a fait grand bruit. C’est ainsi que les scénaristes, regroupés au sein de la Writers Guild of America (WGA) ont entamé une longue grève pour revendiquer des conditions de travail meilleures. Eh oui, la passion ne paye pas le loyer.

Dès juillet, les acteurs leur ont emboîté le pas. La grève oppose le syndicat des acteurs d’Hollywood (SAG-AFTRA) à l’Alliance des producteurs de films et de télévision (AMPTP). C’est la première fois depuis 1960 qu’acteurs et écrivains font grève simultanément, mettant ainsi Hollywood complètement à l’arrêt. Le conflit reflète les préoccupations de milliers d’artistes concernant les droits résiduels liés au streaming, ou encore la crainte que l’IA puisse demain reproduire leurs images sans leurs consentements (jusqu’à faire apparaître à l’écran des acteurs morts en utilisant des deepfakes !) Un mouvement inédit dit bien toute l’actualité (et le cool) du syndicalisme.

Être cool, c’est bien, mais est-ce que ça suffit ?

Hollywood est un symbole : voir les acteurs, des personnalités familières comme George Clooney, Rosario Dawson ou Margot Robbie sur les piquets de grève pour revendiquer des salaires justes, ça fait son petit effet. D’accord, ceux-là, même sans syndicat, n’ont pas besoin des Restos du Coeur, mais il y a beaucoup d’acteurs et de scénaristes qui ne sont pas riches du tout. Mon propos est simplement que les acteurs ont une influence positive en propageant l’idée que la négociation collective est utile. Et c’est cool.

Mais est-ce que cela suffira ? Il faut dire que le déclin des syndicats remonte déjà à loin… et qu’on reste à des années lumière de leur époque de gloire (les Trente Glorieuses), en France comme aux États-Unis. Le frémissement de cette année ne fait pas (encore) le poids. En France, plus de 20% des salariés étaient syndiqués dans les années 1960-1970. Ce taux est tombé à environ 10% aujourd’hui pour l’ensemble des salariés (environ 18% dans le secteur public et moins de 8% dans le secteur privé).

Aux États-Unis, le déclin syndical est comparable. Il a conduit à une hausse spectaculaire des inégalités de revenus. Le taux d’adhésion syndicale y est passé de 30% dans les années 1960 à 10-11% aujourd’hui. L’évolution de l’économie vers plus d’emplois temporaires et contractuels a rendu plus difficile l’organisation des travailleurs. Les entreprises numériques (Amazon, Google) et les entreprises de la grande distribution (Walmart, Starbucks) sont les plus grands employeurs du pays… et sont activement hostiles aux syndicats.

En France comme ailleurs, il y a de nombreuses explications à leur déclin. Mondialisation, désindustrialisation, financiarisation de l’économie, révolution numérique, montée de la culture de l’individualisme… ont achevé de détériorer l’image des syndicats. Quand on ne les décrit par comme ringards, on les voit comme des bandes de grincheux qui défendent les intérêts d’une clique contre l’intérêt général. À l’inverse, après la Seconde Guerre mondiale, les syndicats étaient des institutions mainstream qui pouvaient se targuer de représenter les travailleurs et l’intérêt général.

La dégradation de leur image a nourri une idéologie qui leur est hostile. Cela a conduit le gouvernement français à passer des lois pour les affaiblir davantage. Un exemple historique est la réforme du marché du travail de 1982, qui a assoupli certaines réglementations et a eu des répercussions sur la capacité des syndicats à négocier collectivement. À cela s’ajoute le fait qu’il y a moins de salariés en CDI susceptibles d’être syndiqués : depuis la fin du XXe siècle, le travail indépendant (y compris, plus récemment, sur les plateformes numériques) et les formes d’emplois précaires (intérim, CDD) se développent.

Mais si les syndicats ont décliné, c’est aussi parce qu’ils n’ont pas su / pu éviter la paupérisation de leurs adhérents. Dans la fonction publique, où le taux d’adhésion syndicale est encore élevé, les salariés se sont appauvris. Comme le souligne William Lafleur dans son livre L’ex plus beau métier du monde (Flammarion, 2023), « les enseignants ont perdu 30% de leur salaire par rapport au reste des professions sur les trente dernières années ». Le gel du point d’indice des fonctionnaires depuis près de 15 ans a amplifié la paupérisation de l’ensemble des agents du public… alors qu’ils sont les plus syndiqués ! Aucune des revendications portées par les syndicats ces dernières années n’a abouti à un succès : ni l’opposition à la réforme des retraites, ni le rejet des réformes de l’Éducation nationale. Rien n’a marché.

Les défis que présentent les transformations du travail — télétravail, IA, montée du travail indépendant, précarisation des cols bleus et roses, réchauffement climatique, vieillissement de la population, accès au logement — sont autant d’occasions pour les syndicats de se réinventer. Le regain d’intérêt qu’on leur porte aujourd’hui est économiquement rationnel pour les travailleurs. La négociation collective donne aux employés un levier qu’ils n’ont pas quand ils négocient individuellement. Hélas, la désintermédiation des conflits sociaux à la mode “gilets jaunes” continue d’affaiblir ces institutions clés du monde du travail. Pour l’instant, le regain de cool ne suffit pas. On peut espérer cependant qu’il marque le début d’un retournement. Souhaitons que parmi les tendances mode de l’automne-hiver 2023-2024, il y aura des accessoires plus puissants pour le travail que les casquettes à strass et paillettes…


Article édité par Clémence Lesacq - Photo Thomas Decamps pour WTTJ

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