Micro-féminisme : les 9 gestes à adopter au travail

30 mai 2024

6min

Micro-féminisme : les 9 gestes à adopter au travail
auteur.e
Aurélie Cerffond

Journaliste @Welcome to the jungle

contributeur.e

Autour du hashtag #microfeminism des centaines d’internautes partagent sur TikTok et d’autres réseaux sociaux, leurs petites actions personnelles pour lutter contre le sexisme ordinaire dans la vie quotidienne comme au travail. Des initiatives subtiles pour faire bouger les mentalités qui, mine de rien, oeuvrent pour un monde pro plus égalitaire

« Lorsque j’envoie un mail à un PDG ou un chef d’entreprise qui a une assistante, je mets toujours cette dernière comme destinataire principale et je la mentionne en premier dans mon mail (…) Peut-être que personne ne le remarque, mais c’est ma façon de signifier “je te vois” », nous confie la tête sur l’oreiller l’animatrice et productrice américaine Ashley Chaney dans sa vidéo devenue une trend TikTok, avant de nous interpeller : « Et vous, quel est votre geste de micro-féminisme ? ». 2,7 millions de vues et plus de 6000 commentaires plus tard, le hashtag #microfeminisme poursuit son petit bonhomme de chemin grâce aux centaines de femmes qui témoignent sous sa bannière de leurs « trucs et astuces » personnels pour secouer le patriarcat au quotidien. Ne pas céder le trottoir à un homme dans la rue, dire « Madame et monsieur » et non l’inverse, ou encore appeler les pères en premier quand un enfant est malade pour cette professionnelle de la petite enfance qui travaille en crèche, les idées ne manquent pas, et beaucoup touchent au monde du travail, lieu saint des inégalités de genre, avons-nous besoin de le rappeler.

Un « micro-militantisme » qui peut faire sourire mais qui n’est pas anodin pour autant. Après tout, n’est ce pas un moyen subtil de faire évoluer les mentalités doucement… mais sûrement ? Pour Léa Lejeune, journaliste et autrice de Féministe Washing (éd. Le Seuil, 2021), le terme serait même inapproprié : « Je n’aime pas tellement le terme “micro” qui réduit d’emblée l’importance de ces actions. À partir du moment où une action sert le collectif en aidant d’autres femmes, ce qui est différent de nos actions “d’empowrement” par exemple qui visent à faire avancer sa carrière, c’est un geste qui compte, il ne faut pas le minimiser. » Et toc. Alors pour s’inspirer des gestes les plus utiles partagés par toutes ces femmes, on a listé - et tenté de mesurer l’impact - de 9 actions de micro-féminismes à adopter au travail pour faire trembler le patriarcat.

1. S’adresser en premier à l’assistante avant le directeur

Point de départ de cette tendance, cette initiative vise à donner plus de visibilité aux femmes au sein des organisations, en particulier quand elles occupent des postes subalternes, comme l’exemple de l’assistante. Une démarche intéressante qui reste néanmoins à double-tranchant selon Léa Lejeune : « Cela peut laisser penser qu’on ne maîtrise pas les codes de l’entreprise… Le vrai sujet selon moi est ailleurs : comment valoriser le travail (de l’ombre) de ces assistantes ? Car il est essentiel ! Les directeurs le disent eux-mêmes : sans elles, ils ne pourraient pas fonctionner. » Une piste à creuser donc pour valoriser encore davantage le travail des femmes.

2. Utiliser à l’écrit et/ou à l’oral, le langage inclusif

Ce qui ne signifie pas uniquement utiliser le point médian dans ses écrits professionnels comme le précise le manuel d’écriture inclusive de l’agence de communication d’influence Mots-Clés, mais c’est aussi : accorder en genre les noms de fonctions, grades, métiers et titres (« la conseillère, la magistrate »), utiliser le masculin et le féminin, limiter l’utilisation d’expressions réductrices comme « Mademoiselle », ou encore cesser d’employer le mot « homme » pour désigner le genre humain. Des efforts et une certaine gymnastique intellectuelle qui en valent la peine. En effet, d’après une étude de l’université de Stanford de 2022, l’utilisation de l’écriture inclusive dans les offres d’emploi améliore le taux de réponse des candidats·es. « Ça lève des barrières, confirme Léa Lejeune. Cela permet aux femmes qui ne se reconnaissaient pas dans certains descriptifs de postes de se sentir concernés et donc de postuler davantage. »

3. Ne pas adopter le nom de son mari au travail

Si changer de nom pour celui de son mari après avoir convolé en noces n’est pas une obligation légale, cette tradition est très répandue au sein des couples mariés, même si la pratique est de plus en plus remise en question ces dernières années. Au travail, cela a son importance : quand on est connu sous un nom dans son écosystème professionnel, le changer du jour au lendemain peut nous faire perdre en visibilité et en réseau. Un constat que nuance tout de même notre experte : « L’impact est important pour les professions pour lesquelles on a développé une image extérieure avec de la médiatisation, c’est le cas des cheffes d’entreprises ou des auteures par exemple. La question se pose aussi si l’époux a une forte notoriété dans son domaine, ce qui pousse à réfléchir à l’envie d’être assimilé à lui ou au contraire au besoin de s’en distinguer. Mais en dehors de ces deux cas de figure, on ne risque pas grand-chose à changer de nom selon moi. Nos collègues nous identifieront toujours. »

4. Reprendre un collègue en plein mansplaining

Peut-on reprendre à la volée un collègue ou manager homme en train d’expliquer à une autre collègue femme quelque chose qu’elle sait déjà, voire dont elle est experte, sur un ton potentiellement paternaliste ? On a envie de dire « oui » bien sûr, mais tant qu’on y met les formes alerte Léa Lejeune. « Je déconseille de pointer une situation de mansplainning en pleine réunion publique par exemple. C’est le meilleur moyen de braquer les cadres sup de l’entreprise qui peuvent se sentir humiliés, ce qui ne va pas servir notre cause. » À la place, elle suggère l’action plus subtile ci-après.

5. Encourager la parole des femmes…

Parce qu’on les entend moins en réunion mais aussi sur les plateaux TV, il est important de tout faire pour favoriser cette parole. Ce qui passe par donner la parole en premier aux femmes lors de présentation (quand l’attention et l’écoute de l’auditorium est la meilleure), à choisir autant d’intervenantes femmes que hommes lors des tables rondes et autres conférences mais également, face à deux mains levées dans la salle, à favoriser la féminine. Autre point très important, veiller à ce que la personne puisse bien s’exprimer insiste l’autrice : « Si notre collègue se fait interrompre pendant qu’elle parle (ce qui hélas arrive souvent), ne pas laisser passer en interpellant poliment : “Jean-Luc, je crois que Marine n’a pas fini de développer son idée, j’aimerais bien l’entendre jusqu’au bout.” »

6. … et appuyer leur propos

Autrement dit, adopter la technique d’amplification qui consiste à souligner la pertinence de l’idée d’une collaboratrice et à rebondir dessus. Si on reprend notre exemple précédent, cela donnerait : « Je trouve la proposition de Marine super, surtout qu’on peut la mettre en place dès demain. » Tout comme ne pas hésiter à revenir sur les idées de ses consœurs, si elles sont (trop) rapidement mises sous le tapis. « C’est un comportement de soutien bien intégré entre hommes, souligne Léa Lejeune. Il est temps que les femmes fassent de même ! Même si c’est juste une petite phrase pour dire “je suis d’accord, c’est un bon choix”, ça donne de la valeur et de la crédibilité aux idées des femmes en entreprise.»

7. Ne pas participer au « bitchage » de la machine café

Dans ces moments de relâchement, les cancans ont vite fait de s’acharner sur une collègue, parfois proie facile, et de dévier de la sphère pro pour émettre des jugements sur l’apparence ou les choix de vie de l’intéressée. Dans ce cas de figure, c’est sans appel, même plus besoin de prendre un filtre pour recadrer les langues fourchues ajoute la journaliste. « Si les critiques envers une collaboratrice ne sont pas constructives et liées à un projet pro, c’est niet : il faut tout de suite rappeler que le propos et le lieu sont inappropriés pour clore le sujet. » Sans compter que ce type de commérages peuvent être le terreau d’un futur harcèlement au travail.

8. Dire non aux tâches invisibles qui ne relèvent pas de sa fiche de poste

Concrètement, cela veut dire : ne pas se porter systématiquement volontaire pour organiser les pots de départs, les cagnottes pour les anniversaires et la distribution du Secret Santa à Noël. Toutes ces petites tâches liées à la vie d’équipe souvent assignées aux collaboratrices mais desquelles elles ne retirent aucun bénéfice si ce n’est celui d’être « sympa ». Car non, ce n’est pas l’orchestration de la galette des rois ou l’achat des capsules nespresso pour la salle de pause qui font obtenir une promotion, peu importe le temps qu’on y consacre. Léa Lejeune complète : « Il s’agit aussi de dire non à tous ces petits services de l’ombre qu’on demande souvent aux femmes à la dernière minute comme mettre en forme la présentation powerpoint par exemple. La règle à observer selon moi : si vous n’êtes pas créditée sur le dossier, dites non. »

9. S’asseoir au premier rang avec ses consœurs

En réunion, en assemblée, la position dans la pièce compte. « L’égalité de genres passe par l’appropriation de l’espace physique. C’est important que les femmes soient bien visibles autour de la table où l’on prend des décisions, explique la journaliste. Quand il y a beaucoup de monde en réunion ou autre, plus on est à l’extérieur, moins on nous voit, moins on retiendra qu’on était présente. Il faut donc s’asseoir au premier rang et inviter ses collaboratrices à faire de même pour occuper les meilleures places. » Car une fois encore dans ce geste féministe, la démarche est de faire bénéficier collectivement les femmes de cette plus grande visibilité.

Micro-militantisme ou non, avec ces petites actions d’anonymes ou recommandées par des expertes, on observe une prise de conscience grandissante sur les inégalités de genre au travail. Un constat réjouissant dont on peut s’entousiasmer conclut Léa Lejeune : « À l’instar des petites actions qu’on fait tous à notre échelle pour contribuer à la cause écologique, ces gestes participent au combat féministe avec un ton un plus pop et donc plus accessible que le militantisme classique qui en effraie certaines. » Avant de rappeler que cela ne doit pas empêcher de voir plus loin que le bout de son nez : « Il faut faire attention aux femmes autour de soi notamment si on bénéficie d’une position avantageuse au sein de l’entreprise. Les cadres qui ont plus de pouvoir doivent réfléchir à aider les femmes de professions intermédiaires qui ont parfois moins les moyens de s’imposer. » Le combat continue.


Article écrit par Aurélie Cerffond; édité par Manuel Avenel ; Photo Thomas Decamps pour WTTJ

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