Lara Khanafer : « On doit laisser de la place aux gens qui nous entourent »

29 oct. 2021

5min

Lara Khanafer : « On doit laisser de la place aux gens qui nous entourent »
auteur.e
Floriane Zaslavsky

Journaliste indépendante

De commerciale à entrepreneure, il n’y a qu’un pas. C’est en tout cas ce que nous démontre le parcours de Lara Khanafer, fondatrice et CEO de Kara, startup spécialisée dans la productivité des sales. Entre retours d’expérience et conseils pratiques, la cheffe d’entreprise « débutante » vous partage sa vision du management bienveillant et tisse des liens entre vente et entreprenariat. Entretien.

Votre source de motivation

En ce moment, mon équipe : ça peut sembler cliché, mais je vous assure que ce n’est pas du bullshit. Même si on apprend encore à se connaître, j’ai conscience d’être entourée de personnes très investies qui ont eu des parcours remarquables. Ça me donne de l’énergie d’être à côté de gens que j’admire. J’ai aussi envie de réussir pour eux.

Pourquoi l’entrepreneuriat ?

Ça fait maintenant deux ans que Kara existe, et on peut dire que ça a été un long chemin pour y arriver. Pour commencer, je ne viens pas d’un milieu ou d’une famille d’entrepreneurs, je n’ai pas de formation d’ingénieur et je suis diplômée d’une école de commerce qui n’existe même plus aujourd’hui : bref, rien ne me prédestinait à monter une startup et à réussir. J’ai commencé ma carrière comme commerciale en Espagne, le job m’a plu et j’ai très vite grimpé les échelons. À vingt ans, j’ai pu composer et manager ma propre équipe. J’ai ensuite évolué dans ma branche, et je suis passée par deux startups qui ont connu une très forte croissance – l’une d’elle est même devenue une licorne depuis ! Parallèlement, j’ai vu mon frère et l’un de ses amis (devenus mes associés) monter leur boîte à peine sortis d’école d’ingé et y arriver. Alors je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire, que ce serait possible. Et puis soyons honnête : depuis que je suis petite, j’aime bien tout orchestrer. D’ailleurs, j’ai adopté une démarche intrapreneuriale dans toutes les boîtes dans lesquelles je suis passée et j’ai eu la chance d’avoir des boss qui ont non seulement compris ma démarche, mais qui m’ont encouragée et que j’ai pu prendre comme modèles. Enfin, il y a un autre moteur de réussite très important pour moi : c’est d’être totalement indépendante financièrement à quarante ans. J’ai un petit garçon de huit ans dont j’ai la charge, et c’est aussi pour lui que j’ai envie de cartonner.

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Votre vie antérieure

J’ai commencé à travailler en tant que commerciale : j’ai moi-même été managée avant de devoir encadrer des collaborateurs. Ça m’a permis de constater un certain nombre de problèmes. Les managers en vente sont le plus souvent d’anciens très bons commerciaux qui se retrouvent à devoir gérer une équipe du jour au lendemain, sans être formés ou accompagnés. Le seul outil à leur disposition est généralement le CRM (Customer relationship management), qui ne permet pas d’avoir un rapport personnel avec les membres d’une équipe, de comprendre quels sont les atouts de chacun. On peut vite se retrouver avec des managers dépassés et des commerciaux mal encadrés. J’ai pu observer ces problèmes de l’intérieur. C’est comme ça qu’est née l’idée de Kara, pour permettre aux entreprises de cadrer les rapports entre les chefs d’équipe et ceux qui sont sur le terrain, entendre quel est le potentiel et le fonctionnement de chacun, afin de développer une meilleure cohésion de groupe.

Le secret de la réussite pour un·e entrepreneur·e

Il n’y a pas de règle. On peut vouloir se lancer pour plein de raisons, que l’on vienne de finir nos études ou que l’on soit à la retraite. Je remarque que de chercher à régler un problème que l’on a découvert sur le terrain ou en observation est une base solide pour monter un business. Sur cette base, si l’on a des raisons de vouloir régler un problème, on peut réussir sa vie d’entrepreneur·e, même si l’on ne vient pas du secteur en question.

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Vos tips… en négociation

Quel que soit le sujet, il y a des règles simples que l’on peut utiliser.

  • Sur le long terme, je crois qu’il s’agit de travailler tellement bien que la décision d’investir en vous, votre entreprise, votre produit… soit un no-brainer. C’est important que l’on parle de vous en bien.
  • Ensuite, il faut connaître les intérêts de l’interlocuteur (son but, ses objectifs), et mettre en lumière la façon dont nos intérêts et les siens peuvent s’aligner.
  • Enfin, il importe de se donner un objectif temporel et quantitatif précis, et si la négociation n’aboutit pas dans votre sens, il faut penser à demander sur quels points précis retravailler et ne pas hésiter à demander un nouveau rendez-vous quelques mois plus tard.
  • Sur le fond, il est important de connaître et de mesurer sa valeur, et demander de l’aide à des gens qui ont fait ce que vous cherchez à accomplir.

La plus grosse difficulté rencontrée en chemin

Je crois que cela m’a pris du temps de trouver ma place en tant que CEO et d’oser clairement exprimer ma vision. J’avais plein d’espace, mais je ne le prenais pas. Un jour, on a eu une discussion avec mon équipe. Ils m’ont dit : « Lara, on a besoin que tu nous dises où on va ». Ça a été un déclic. Par exemple, depuis, j’ai chaque semaine un entretien de 30 minutes avec tous les membres de mon équipe pour faire un point sur son travail, ses perspectives et plus généralement celle de l’entreprise. Ça fluidifie énormément les choses.

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Votre définition du / de la leader idéal·e

Quand on veut trop être dans le contrôle, on finit par passer à côté de ce qui se joue réellement. Il faut savoir accepter qu’il existe une part d’inconnu dans toute réussite, ne pas chercher à tout prix à imposer son propre calendrier et ses idées coûte que coûte. On doit laisser de la place aux gens qui nous entourent. À la tête d’une entreprise, il importe de suivre son intuition. Mais si ça doit se faire au détriment de la bonne entente au sein de votre équipe, ce n’est pas la peine. Parfois, il faut savoir prendre du recul et se dire qu’il vaut mieux qu’un projet prenne trois mois avant d’aboutir au lieu d’un. L’essentiel est qu’à la fin tout le monde soit fier de soi sans que personne ne se retrouve au bord du burn out.

Team management horizontal ou vertical ?

Je me passe des étiquettes la majorité du temps, je trouve ça inutile. « Horizontal », « vertical » : ce sont des mots. Je recrute des gens intelligents en qui j’ai confiance, et je donne la direction globale de Kara. Au quotidien, j’écoute mon équipe et je leur parle. Je manage par les valeurs, typiquement le zéro bullshit : ça demande un certain courage, mais tout devient beaucoup plus simple. J’accorde aussi une grande importance aux process : les règles sont claires, co-construites et acceptées en amont, elles font office de loi interne.

Vos freins… en tant que femme

Je ne veux plus aborder le sujet de cette façon. Il y a un tas de choses susceptibles de me discriminer dans le milieu de la tech, comme mon manque de connaissance technique ou le fait que je ne sois pas passée par une grande école de commerce. Heureusement la société change. Je n’ai jamais rencontré de problème dans ce milieu, qui m’a très bien accueillie. Mes interlocuteurs me respectent pour mon parcours et personne ne m’a jamais prise de haut. Je m’attache à montrer que c’est possible. Il y a tout un tas de métiers à faire et les femmes y sont attendues ! Par ailleurs, je crois que pour beaucoup de femmes cette question de la réussite professionnelle rejoint avant tout les enjeux domestiques de gestion de la charge mentale. C’est un fait : on a clairement plus d’énergie à consacrer à ses projets professionnels quand on ne doit pas assurer les courses, la cuisine, le ménage 80% du temps. Beaucoup de femmes sont constamment interrompues dans leurs activités et c’est ce qui rend les choses difficiles.

Vos role models

Je pense à toutes mes collègues du Female Founders Fellowship de Station F, à Florian Douetteau qui m’a aidé à démarrer (le CEO de Dataiku, ndlr), Oprah Winfrey, ou encore Mathilde Lacombe, la CEO de Aime.co. Dans un tout autre registre, j’admire énormément l’autrice Maya Angelou : une femme noire, mère célibataire qui plus est, qui a écrit des livres merveilleux.

Photo par Thomas Decamps
Article édité par Ariane Picoche

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