« J'ai suivi une formation de manager sans l'être, voilà ce que j'ai appris »

14 sept. 2023

7min

« J'ai suivi une formation de manager sans l'être, voilà ce que j'ai appris »
auteur.e
Pia Le Ficher

Rédactrice web

contributeur.e

« Manager » est pour moi un terme un peu flottant. Un titre dont le périmètre évolue au gré des employeurs, des équipes et des personnalités. Je m’appelle Léa, j’ai 25 ans et je travaille comme chef de projet junior dans une entreprise de l’Économie Sociale et Solidaire depuis bientôt 2 ans. C’est mon premier CDI mais j’ai déjà eu différents managers au cours de ma (courte) carrière et je me rends bien compte que la relation prend du temps à se mettre en place, que « diriger » ne s’improvise pas et que la personne sur laquelle on tombe peut nous faire vivre la meilleure comme la pire des expériences pros. Si tout le monde s’accorde à faire du management une sorte de Graal professionnel, moins nombreux sont ceux qui ont su clairement m’expliquer ce que ce rôle demande comme compétences, énergie et responsabilités. Alors, quand l’opportunité s’est présentée de me former sur le sujet, bien que je ne sois pas manager et que je n’ambitionne pas forcément de l’être, j’ai foncé. Et cela m’a été utile, au-delà même du pur plan professionnel.

Pourquoi cette démarche ?

Lorsque je me lance dans cette démarche, je suis « junior » dans ma boite. Je n’envisage donc pas de devenir manager tout de suite, et de toute façon, il n’y a pas d’opportunité dans la structure dans laquelle je travaille à ce moment-là.
Malgré cela, mon poste évolue pour inclure de plus en plus de responsabilités techniques et opérationnelles. Je suis épanouie dans mon poste, je m’entends bien avec mes collègues et je découvre un mode de management plus horizontal et direct que ce que j’ai connu lors de mon apprentissage dans un grand groupe. Je peux donner mon avis, proposer des idées et on les prend en compte, et ça n’est pas pour me déplaire.

Malheureusement, assez rapidement après mon arrivée, l’entreprise connaît des difficultés économiques, obligeant la direction à mettre en place des changements organisationnels qui entraînent notamment, le départ d’une partie des salariés. Les responsabilités sont redistribuées et cela génère des tensions. L’ambiance se dégrade et maintenir le dialogue peut s’avérer compliqué au sein de l’équipe.

C’est dans ce contexte qu’un module de formation au management en temps de crise, incluant une partie sur la communication non-violente est proposé par les RH.
Bien que je n’aie pas de responsabilité managériale, je me dis tout de suite que cette formation pourrait m’être utile pour gérer des situations de conflits au travail et je me porte volontaire pour y participer. Ma demande est comprise et bien reçue : la structure étant assez souple et horizontal, ce genre d’initiative n’est pas tabou.

Avec le recul, je ne pense pas que j’aurais pu me former sur ces sujets par un autre moyen. Mais seule une formation dispensée au sein de mon entreprise me permettait d’aborder les situations singulières que je rencontrais. Ensuite, ces formations coûtent en général assez cher donc quand l’opportunité de se former se présente, il faut la saisir.

Alors, comment ça se passe ?

Je suis plutôt enthousiaste à l’idée de suivre cette formation : je m’apprête à passer deux jours avec des collègues dans un cadre différent du quotidien, à affiner nos relations professionnelles, échanger sur nos ressentis et découvrir le fonctionnement d’autres pôles que le mien.

Mais la veille, j’appréhende un peu : je crains de ne pas me sentir à ma place, de m’ennuyer, que la formation soit « bullshit » ou trop axée sur des concepts de développement personnel auxquels j’adhère peu. Aussi, je me demande si je vais être suffisamment à l’aise pour partager mon quotidien professionnel, surtout si mes N+1 et N+2 sont dans la salle avec moi (je ne sais pas exactement qui est inscrit).

Le programme s’articule autour de mises en situation à partir d’expériences professionnelles vécues et ressenties comme agréables ou désagréables. L’objectif est de les « déplier » en groupe, d’analyser chaque situation et de les rattacher à des émotions. Ensuite, on travaille sur des méthodes de management basées sur la communication non-violente et on s’exerce à gérer la situation différemment. Chaque participant amène une ou deux situations à déplier et on les traite pendant deux jours.

Nous sommes un petit groupe d’une dizaine de personnes. Heureusement, pas de N+1 direct sur cette session, donc je me sens plus libre dans ma manière de dire les choses. On commence par un tour de table des attentes, et j’évoque mes doutes quant à la pertinence de ce qui nous est proposé. Je suis curieuse de découvrir ces pratiques mais je doute de leur réelle efficacité, j’espère que ça va être un peu plus concret que juste nous rappeler d’être « bienveillants les uns envers les autres ». Je crains aussi que les conseils dispensés soient décorrélés de ma réalité professionnelle et que je ne puisse pas les appliquer.

Finalement, je suis rapidement rassurée. Partir de situations réelles rend les deux jours très intenses (tour à tour des larmes coulent, des rires fusent et des frustrations s’expriment) et niveau concret, je suis servie. Je découvre que la communication non-violente n’est pas un truc de « bisounours » mais un exercice exigeant et qui demande de la pratique. La formatrice est super et aborde les différents concepts de manière pragmatique et en s’appuyant sur de nombreux exemples. Il y a beaucoup de temps d’échanges et elle fait en sorte que tout le monde participe, quel que soit notre âge ou notre rôle dans l’entreprise. L’ambiance est excellente et nous adoptons tous une posture plus ouverte et détendue.

Ce que ça m’a apporté ?

Deux jours de formation sur la gestion de crise et la communication non-violente, cela secoue, mais c’est très enrichissant, tant d’un point de vue professionnel que personnel. En effet, en parlant de management, on traite finalement de notre rapport aux autres.
J’ai notamment compris que les émotions fortes qui peuvent nous traverser dans des situations de travail, qu’elles soient négatives ou positives (colère, frustration, empathie, fierté…) sont en fait connectées à nos valeurs, à ce qui fait sens pour nous. Se rendre compte de cela, c’est se doter d’une grille de lecture pour mieux comprendre ce qui se passe en nous et chez nos collègues et ainsi mieux interagir avec eux, éviter de se braquer…

J’ai très vite intégré que cela me permettrait de désamorcer certaines situations avec des collègues et d’améliorer nos rapports sur le plus long-terme.

Ce qui m’a également marquée, ce sont toutes ces petites astuces qui permettent de fluidifier les rapports, comme éviter la formulation accusatrice du « tu », si on souhaite faire un feedback pertinent, recontextualiser une situation pour permettre à son interlocuteur de mieux comprendre, reformuler les propos pour être sûr d’avoir compris, pratiquer le « feedback » dès qu’on travaille à plusieurs pour définir des axes d’amélioration mutuels, retracer son raisonnement pour son interlocuteur plutôt qu’exposer ses résultats de but en blanc afin de laisser la place au dialogue et aux questions, etc. Cela parait simple comme ça, basique me direz-vous : mais appliquer ces astuces chaque jour, quelle que soit son humeur est un vrai défi.

Je me suis également rendu compte que ces formations n’offrent pas de solutions miracles, clés en main, car - évidemment - chaque situation que nous rencontrons est unique. Les formateur.trices mettent des outils à notre disposition et charge à nous de les utiliser. Aussi, je me suis demandée si on avait toujours les moyens de le mettre en place dans notre quotidien professionnel, surtout si on est face à un collègue/boss qui n’a pas lui-même été formé… De mon côté, j’ai appris des choses, j’ai davantage conscience de certaines de mes réactions et je sais désormais mieux les analyser (pourquoi je suis agacée par un.e collègue par exemple), je fais plus attention à mes formulations mais je n’ai pas intégré d’outils concrets directement dans mon quotidien professionnel. Par ailleurs, certains éléments comme la bienveillance et l’écoute me semblent relever du bon sens. Ceci dit, cela n’enlève rien à la pertinence de la formation car je me suis rendu compte que ces notions n’étaient pas évidentes pour tout le monde : cela dépend des expériences de vie, de l’éducation reçue, des personnalités de chacun. Ce qui est un réflexe pour certains ne l’est pas pour d’autres.

Cette expérience a fait évoluer ma vision du management

Pour que ces formations soient réellement utiles, c’est surtout notre état d’esprit en s’y présentant qui fait la différence. L’idée n’est pas de s’y rendre en se disant qu’on va valider une étape ou confirmer des connaissances mais bien d’être volontaire, même si cela implique de s’auto-analyser, de se remettre en question et potentiellement de bouleverser nos pratiques. La principale leçon que je tire de cette formation est de ne pas oublier que, derrière les postures professionnelles, il s’agit de relations humaines. On ne peut pas nier l’humain derrière le « pro », avec ce qu’il a de positif et de négatif à apporter à la structure. Ne pas le traiter, c’est ignorer un éléphant dans l’open space. Lui donner une place et un cadre, c’est éviter qu’il déborde.

Personne ne naît manager, même s’il existe des personnes sans doute plus disposées à avoir une communication saine avec les autres, on peut tous évoluer.

Avant, j’avais plus de mal à définir ce qui faisait réellement un.e bon.ne manager. Pour moi, c’était une personne qui savait trancher, prendre les décisions et idéalement, était plutôt sympa avec ses équipes. J’avais aussi rapidement intégré que le monde du travail était dur, que c’était classique d’y rencontrer des comportements tyranniques.

Maintenant, je suis plus au clair sur ce qui me convient et ce que je suis prête à accepter ou non comme comportement. Désormais, un.e bon.ne manager est - pour moi - quelqu’un qui sait entendre les besoins et idées de ses collaborateurs ET arbitrer quand c’est nécessaire. Dans ma vision du travail aujourd’hui, le.la manageur doit accompagner chaque personne dans son parcours professionnel, de l’accueil au sein de la structure jusqu’à la sortie/prochaine étape et s’assurer que le voyage se passe bien pour tout le monde. Ce sont désormais des choses auxquelles je fais plus attention dans le travail et que je regarderai dans mes futurs jobs.

Enfin, ces temps de formation sont aussi des temps d’échanges. En écoutant les managers parler de leur quotidien, de leurs propres doutes et difficulté, j’ai eu l’impression de passer de l’autre côté du miroir et de mieux comprendre certains mécanismes de l’entreprise et certains comportements : pourquoi certains problèmes n’étaient pas réglés plus vite, les conséquences de telle ou telle prise de décision sur les équipes et l’entreprise qu’il faut anticiper, etc. J’ai aussi une meilleure vision des tâches du manager et notamment des tâches plus difficiles mais aussi invisibles pour son équipe : fixer un cadre et recadrer si nécessaire, et parfois même se séparer d’un collaborateur… Mieux comprendre ce qui se passe dans la tête d’un N+1 me donne donc de nouvelles clés de dialogue avec ma hiérarchie.

Formez-vous au management, cela vous servira forcément à un moment ou un autre de votre vie !

Je suis vraiment contente de cette expérience et je trouverais positif que les collaborateur.trices se forment aux questions de management de manière plus systématique. En revanche, il me semble important de penser la mise en pratique post-formation. Afin de mieux mobiliser les connaissances abordées, cela m’aurait été utile de pouvoir bénéficier de conseils ou de rappels de la part de la formatrice pour voir si je maitrisais toujours les concepts abordés, si j’avais pu m’en saisir ou non.

J’aimerais aussi pouvoir travailler avec mon manager sur des situations concrètes arrivées dans le mois afin de pouvoir appliquer les conseils dispensés. On pourrait mettre en place des temps d’échanges de pratiques par exemple pour comprendre les mécanismes qui ont opéré lors d’une réunion un peu houleuse ou au contraire, identifier les clés de succès quand une présentation s’est particulièrement bien passée. Au-delà des compétences techniques que j’acquiers auprès de mon manager, je compte aussi sur lui pour m’apprendre à apprivoiser les codes pros.

Article édité par Gabrielle Predko ; Photo de Thomas Decamps

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