Habileté ou manipulation, faut-il être "politique" en entreprise ?

19 avr. 2022

5min

Habileté ou manipulation, faut-il être "politique" en entreprise ?
auteur.e
Coline de Silans

Journaliste indépendante

Au travail a-t-on déjà dit de vous que vous étiez politique ? Si oui, comment l’avez-vous pris ? Selon le contexte, cette remarque peut sonner comme un compliment, ou au contraire - et c’est le cas la plupart du temps -, comme un reproche. Car être politique en entreprise est encore souvent mal perçu : le politique, c’est celui qui fayote, qui manigance pour parvenir à ses fins. Et pourtant, au moment de décrocher une promotion, de négocier une augmentation, de changer de poste, n’est-il pas précieux de savoir faire preuve d’un minimum de sens politique ? Dans le jeu politique, tout est affaire de mesure, sans quoi le fin stratège peut vite se transformer en manipulateur. Décryptage d’une qualité à doser avec modération.

Qu’est-ce qu’être politique ?

Quand on dit de quelqu’un qui sait faire preuve de sens politique, le terme « politique » est à comprendre au sens ancien du terme. Ainsi, dans la Grèce Antique, quand Aristote disait de l’homme que c’est un « animal politique », il signifiait que, selon lui, l’homme est le seul être capable de vivre dans une société organisée, régie par des lois et des coutumes, et que c’est même ainsi, en vivant en communauté, qu’il devient homme. En ce sens, faire preuve de sens politique serait alors tout naturellement savoir vivre en communauté.

Celui qui est politique en entreprise n’est donc pas nécessairement celui qui manigance pour parvenir à ses fins, mais plutôt celui qui comprend les normes et les valeurs du groupe dans lequel il évolue, même lorsque celles-ci ne sont pas clairement énoncées. Une qualité plutôt indispensable quand on souhaite évoluer au sein de son entreprise !

Être politique, qualité ou défaut ?

Si être politique en entreprise est souvent perçu comme un défaut, c’est avant tout parce que ces personnes parviennent bien souvent à leurs fins… au grand dam des autres. « Souvent, on déteste le politique parce qu’on se dit que ce bougre sait y faire et a bien compris comment manœuvrer… », explique Benjamin Fabre, auteur de Comment devenir un parfait fayot, dans un récent article. Être politique demande souvent à s’adapter aux attentes des uns et des autres, tout en parvenant à ne pas perdre de vue ses objectifs personnels. Parce que le politique parvient généralement à ses fins, on a vite fait d’associer ce trait de personnalité à de la manipulation.

Pourtant, il ne faut surtout pas confondre les deux, selon Agnès Menso, coach en entreprise : « Il n’y a pas de honte à avoir un sens politique, on l’imagine souvent comme de la manipulation, une volonté de placer ses pions à tout prix sans tenir compte des autres, mais ce n’est pas forcément ça. C’est faire valoir une expérience, des talents, des compétences… Il n’y a aucun mal là-dedans ». Le sens politique s’apparenterait alors plus à une capacité à convaincre les autres, à les embarquer dans votre projet, en faisant appel à leurs sensibilités, en les séduisant, en mettant en avant les bons arguments, mais sans leur mentir pour autant.

Au boulot, être politique implique de s’adapter à son entourage, en analysant les attentes de chacun, afin d’être à même ensuite de mieux les faire adhérer à notre vision… Une qualité indispensable quand il s’agit d’atteindre plus rapidement ses objectifs. « Avoir un sens politique constitue un atout indéniable en entreprise, reprend Agnès Menso, à condition de l’appliquer de manière intègre et dans le respect de l’éthique ». Plus personne ne vous lâche un mot à la machine à café ? Vos collègues ont peut-être découvert votre petit jeu à force de manipulation ou de fayotage. Les masques tombent. Mais, une fois les frontières entre manipulation et sens politique posées, comment développer cette qualité ?

Comment être un « bon politique » ?

Pour être à même de naviguer dans les courants parfois tumultueux de l’entreprise, encore faut-il en maîtriser les codes. Et pour cela, pas de secrets : il faut apprendre à observer, et écouter. C’est en laissant les autres s’exprimer que vous percevrez progressivement qui tient les rênes, qui est sous l’influence de qui, qui est allié avec qui. Comprendre les règles tacites qui se jouent au sein de l’entreprise vous permettra alors, le moment venu, d’aller parler aux bonnes personnes de la bonne façon. « Il est judicieux de savoir identifier les personnes qui vont avoir de l’influence dans la réussite de ses projets pour distinguer ensuite celles qui vont être des alliées, celles qui vont hésiter et parfois celles qui vont s’y opposer. Pour développer son sens politique il est utile de développer une vraie sensibilité aux enjeux, aux objectifs et aux différents types d’acteurs qui sont autour de soi », explique Valérie Rocoplan, CEO du cabinet de coaching Talentis.

Faire preuve de sens politique ne demande pas seulement une compréhension des règles tacites de l’entreprise, il faut aussi accepter de s’y soumettre, ou, tout du moins, de s’y adapter. Ainsi, celui qui veut aller loin dans son entreprise devra faire preuve de finesse et apprendre à respecter les codes qui régissent l’entreprise dans laquelle il évolue.

Une question de dosage

Pour autant, faut-il renoncer à ses convictions ? Que nenni ! Être politique ne veut pas dire qu’il faut se conformer à ce que l’on voudrait que vous soyez, mais plutôt que vous appreniez à défendre votre bout de gras, avec tact. « Faire preuve de sens politique, cela veut dire être pleinement clair avec ses valeurs, ses idées, ses opinions tout en s’adaptant à un territoire, à une culture. Cela veut dire faire preuve de finesse », expose Valérie Rocoplan. Convaincre les bonnes personnes, en usant des bons arguments, et rester authentique, sous peine de vite passer pour la girouette de service.

Enfin, être fin stratège demande une certaine part d’audace : il faut accepter de prendre des risques, de saisir les opportunités lorsque celles-ci se présentent. « À un moment, il faut oser, car sinon les autres se positionneront pour vous. Il suffit de se faire avoir deux ou trois fois pour comprendre que ce que vous ne faites pas, les autres le feront à votre place », affirme Agnès Menso. Ne pas avoir peur de sauter sur une occasion si celle-ci peut vous permettre d’atteindre votre objectif, sans pour autant écraser les autres.

Car c’est là tout l’enjeu du politique : pour pouvoir avancer, il faut aussi pouvoir compter sur les autres. Et cela ne peut se faire sans coopération. « Le but n’est pas simplement de « prendre » mais aussi de « donner ». Cela permet de renvoyer une image positive, l’image de quelqu’un de coopératif et capable de s’adapter à un grand nombre d’interlocuteurs », affirme Valérie Rocoplan.

Finalement, si le politique a parfois une mauvaise image dans le monde de l’entreprise, c’est essentiellement parce qu’être fin stratège est souvent assimilé à de la manipulation. Or il est tout à fait possible d’arriver à ses fins en se basant sur une analyse fine de son environnement et de ses collègues, tout en restant honnête et aligné avec ses valeurs, sans écraser les autres. Cela demande une haute capacité d’écoute, d’observation, un zeste de témérité et tout le monde ne sera pas aussi à l’aise dans cet exercice. Mais rappelez-vous que vouloir atteindre ses objectifs n’a rien de honteux…tant que cela ne porte pas atteinte aux autres.

Article édité par Manuel Avenel
Photo par Thomas Decamps

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