A-t-on forcément besoin d‘évoluer dans son travail pour être heureux ?

30 oct. 2023

5min

A-t-on forcément besoin d‘évoluer dans son travail pour être heureux ?
auteur.e
Coline de Silans

Journaliste indépendante

contributeur.e

Vous aimez votre job, vous avez des responsabilités, votre salaire est en adéquation avec vos missions… Bref, vous êtes « au top de votre progression ». Tout va bien… sauf quand vous vous posez pour réfléchir à vos perspectives d’évolution. Un meilleur salaire ? Compliqué, vous êtes déjà en haut de la grille. Un titre plus valorisant ? Déjà fait. Des missions variées ? Check. Mais, peut-on se satisfaire d’un poste dans lequel il n’est plus possible d’évoluer ? Et a-t-on nécessairement besoin de progresser pour être heureux ?

Une promotion professionnelle repose souvent sur trois leviers : le salaire, les missions et le titre. L’idéal étant, pour que la promotion ait du sens, de réunir ces trois variables. Or, quand on est déjà senior, en haut de la grille salariale, ou que nos missions sont déjà dûment remplies, difficile de trouver un moyen d’avancer ou de se sentir reconnu. Pourtant, promouvoir quelqu’un dans le monde de l’entreprise reste l’un des principaux moyens de montrer la valeur du travail fourni. Et quand on sait que 84 % des salariés estiment que la reconnaissance obtenue dans leur travail est indispensable à leur bien-être, selon une étude OpinionWay de 2022, on comprend mieux l’importance de la progression de carrière.

Une reconnaissance encore fortement corrélée à l’augmentation salariale

« En soit, je suis très contente de mon poste actuel, explique Camille, chargée RH senior en start-up. Notamment parce que ce dernier évolue tout le temps et que je suis sans cesse en train de remplir de nouvelles missions. Sauf qu’au bout d’un moment, je me rends aussi compte de la frustration que cela m’apporte : acquérir toutes ces nouvelles compétences me demande tellement d’efforts et crée un tel niveau de stress, que j’aimerais que ces efforts soient reconnus, soit par une augmentation salariale ou, a minima, via un changement de titre. »

Problème : Camille est déjà senior et est déjà au sommet de la grille salariale de son entreprise. Se trouver à assurer plus de missions que ne le laissait présumer sa fiche de poste de départ est une situation assez fréquente dans les start-ups, plus agiles et moins hiérarchisées que les entreprises plus établies. Dans ce contexte, les promotions passent généralement par l’attribution d’un titre plus ronflant, auquel certains collent l’adjectif « senior » sans nécessairement que l’expérience ne le justifie, voire par une petite augmentation… mais le système se heurte rapidement à ses limites. « Je me rends bien compte du problème puisque je suis moi-même au département RH, soupire Camille. Quand on veut valoriser un salarié chez nous, on utilise plutôt le levier du salaire ou du titre de poste, parce que si on devait faire un avenant au contrat à chaque fois que les missions évoluent, on ne s’en sortirait pas ! Sauf qu’au bout d’un moment, on ne peut pas augmenter les salaires indéfiniment, car cela coûte cher à la boîte, ni inventer de nouveaux titres. Résultat, on a certains salariés pour lesquels on est bloqués. »

D’ailleurs, pour la plupart des salariés, l’évolution des missions ne suffit pas à se sentir reconnus. C’est d’ailleurs ce que vit, Justine, 34 ans, gestionnaire de données : « Vu que mon métier est un peu nouveau, ma fiche de poste évolue souvent par rapport à ce qui était convenu au départ, explique-t-elle. Je ne vais donc pas me sentir « valorisée » parce que mes missions changent, disons que c’est plutôt le cours naturel des choses. Je vais être heureuse de les faire, je vais continuer à en faire plus, mais à un moment, je vais forcément avoir envie d’être augmentée pour ce travail supplémentaire. » Un son de cloche également partagé par Laure, responsable marketing de 31 ans : « Aujourd’hui, l’augmentation salariale et le changement de titre sont les principaux leviers de reconnaissance au travail. J’aurais du mal à me sentir stimulée sans avoir ces objectifs en ligne de mire. »

Manager, le passage obligé ?

Si l’augmentation de salaire et le titre demeurent importants pour se sentir reconnu, ces critères sont aussi souvent corrélés, en France, au fait de passer manager. Une fonction que les salariés n’ont pas nécessairement l’envie ou les compétences pour exercer. Et qui, in fine, bloque leurs perspectives d’évolution professionnelle. « Dans ma précédente entreprise, le seul moyen pour moi d’évoluer à mon poste était d’accepter de manager une équipe de juniors, relate Céline, cheffe de projet digital. Or, je n’ai pas du tout les compétences d’encadrement que cela nécessite et je n’ai aucune velléité de manager. Sauf qu’à force de stagner, de voir les projets me passer sous le nez et les salaires des autres augmenter, j’ai fini par me lancer. » Un an et un burn-out plus tard, la jeune femme s’est promis de ne plus jamais refaire la même erreur. « Je pense que si je pouvais revenir en arrière, je me contenterai de rester au poste où j’étais au moins deux ou trois ans de plus, avec les missions que j’avais. Mais je reconnais qu’il est très difficile de mettre son ego de côté dans une société où l’on est toujours poussé à en faire plus ! »

Alors comment valoriser ceux qui ne peuvent pas ou ne souhaitent pas passer par des fonctions de manager ? Pour éviter que des salariés restent bloqués, certaines entreprises ont mis en place des « parcours experts », comme dans l’entreprise de Juliette, data analyst de 36 ans. « Cela permet en interne d’être considéré comme spécialiste d’un sujet, explique-t-elle. J’estime que c’est une bonne alternative quand on est déjà au maximum de ses compétences. On est identifié comme tel dans l’annuaire de l’entreprise et n’importe qui peut nous solliciter comme référent sur ce sujet. »

D’autres entreprises proposent des parcours en intrapreunariat, ou créent des groupes de réflexions sur des missions transverses, pour inciter les salariés à s’investir autrement. « Je pense qu’il y a plein de façons de se sentir reconnus au travail, en s’investissant dans des projets qui nourrissent différentes facettes de notre personnalité, sans nécessairement qu’il y ait un lien avec notre salaire ou notre titre », souligne Juliette.

Certains vont se porter volontaires pour organiser des événements, s’engager dans la politique RSE de l’entreprise, proposer des brainstorms sur des sujets communs pour faire avancer une problématique, ou encore mentorer des collègues… Plus qu’être promus, l’important est avant-tout de se sentir reconnus. Et cette reconnaissance peut aussi émaner de ses collègues, à qui l’on peut apporter une expertise, ou avec qui l’on peut s’unir sur des sujets communs. « Je pense que ce qui est le plus important pour moi est de me sentir utile, réfléchit Juliette. Je préfère être reconnue par mes pairs et mes collègues pour la valeur de mon travail et par mes managers pendant l’entretien annuel, que par une augmentation salariale sortie de nulle part, même si elle est toujours bienvenue. »

Promouvoir avec raison

Pour ces salariés, l’entreprise qui mise uniquement sur l’augmentation de salaire, l’élargissement des missions, ou le changement de titre fait fausse route. « Il y a quelques temps, ma boîte a fusionné avec une plus grosse entreprise, au fonctionnement très hiérarchisé, assez archaïque. On m’a alors attribué un nouveau poste, avec un titre assez vendeur et plein de nouvelles missions à la clé, se souvient Laure, responsable marketing de 31 ans. Sauf que dans les faits, j’avais perdu toute autonomie : je me suis retrouvée à devoir rendre des comptes, à ne plus du tout pouvoir mener mes projets comme je l’entendais… J’avais complètement perdu le sens de ce que je faisais. Alors sur le papier j’avais été promue, mais je ne me suis jamais sentie aussi invisible et inutile qu’à ce moment. » Pour rester motivés, ces salariés estiment que la promotion doit avoir un sens. Augmenter un salaire, changer un titre ou attribuer de nouvelles missions, si elles ne répondent pas à un besoin spécifique, risque d’être bien plus nuisibles que bénéfiques pour le salarié.

Finalement, pour les salariés qui semblent être au maximum de leurs compétences, il existe toujours d’autre moyens de se sentir valorisé sans nécessairement en passer par un titre trompeur, ou une augmentation parfois impossible à tenir. Cela passe par des mots, des encouragements, un management de proximité, la célébration des réussites, le droit à l’erreur… Malheureusement, tant de pratiques qui peinent encore à s’implanter dans la culture d’entreprise française.

Article édité par Romane Ganneval, photographie par Thomas Decamps

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