Recherche du premier job : « Je ne pensais pas autant galérer financièrement »

28 nov. 2022

6min

Recherche du premier job : « Je ne pensais pas autant galérer financièrement »
auteur.e
Coline de Silans

Journaliste indépendante

Exclus des systèmes d'aides étudiants après leurs études, certains jeunes diplômés en recherche de leur premier job se retrouvent dans une grande précarité. Quelles conséquences sur leur intégration sur le marché de l'emploi ?

Si les divers confinements ont permis de mettre le sujet de la précarité étudiante sur le devant de la scène, la précarité des jeunes diplômés reste, elle encore, largement invisibilisée. Pourtant, nombreux sont ceux qui, au sortir de leurs études, mettent plusieurs mois, voire parfois plusieurs années, à décrocher leur premier emploi. Exclus des systèmes d’aides étudiants, les plus précaires se retrouvent alors contraints d’enchaîner les petits boulots pour subsister, s’éloignant encore un peu plus d’une situation professionnelle stable. Entre fins de mois difficiles, petits jobs d’appoints et retour chez les parents, ces jeunes diplômés témoignent des difficultés qui entravent leur recherche d’emploi.

Le sentiment de ne pas avoir été préparé

« Je n’aurais jamais pensé autant galérer. » La phrase de Flavie, 24 ans, résume peu ou prou ce que la plupart des étudiants restés bloqués sur le seuil d’un marché de l’emploi peu clément ont pu ressentir à un moment donné. Comme la plupart des jeunes diplômés ayant fait des études post-bac, Flavie était persuadée de trouver rapidement un emploi à la sortie de ses études. Mais c’était sans compter sur le Covid, qui avait fortement mis à mal le secteur dans lequel elle venait tout juste d’être diplômée : celui de l’hôtellerie et du tourisme. Pourtant, les premiers mois, la jeune femme reste positive, gardant en tête les mots de son école, qui a assuré à ses étudiants qu’avec leur année de stage, ils trouveraient un emploi facilement. « J’ai l’impression d’avoir été totalement lâchée par mon école : je vis en Suisse romande, et le portail emploi de l’école ne concernait que des offres en Suisse alémanique, c’est-à-dire pour des personnes de langue maternelle allemande. Quand je leur ai demandé s’ils n’avaient pas d’autres offres, ils m’ont envoyé deux-trois mails, auxquels j’ai postulé et qui n’ont rien donné. Ils nous avaient dit que l’on serait accompagnés dans notre recherche d’emploi, mais que dalle ! »

Même sentiment d’abandon du côté de Stéphanie, 25 ans, diplômée en communication et marketing. « Quand on est diplômé, on nous dit toujours qu’on va trouver quelque chose rapidement alors qu’en fait non ! Ce qu’on nous dit en classe et la réalité du marché du travail, sont deux mondes bien différents ! J’aurais aimé qu’à la fac on nous parle plus de cette période, qui peut être difficile : quelles sont les démarches pour avoir des aides si on en a besoin, obtenir un suivi psychologique… » Si quelques aides existent, il est vrai qu’elles sont peu nombreuses, et la plupart d’entre elles sont restées temporaires, comme l’ARPE, mise en place en 2016 pour les jeunes diplômés bénéficiant d’une bourse de l’enseignement supérieur, et supprimée dès 2019.

Petits boulots et isolement social

Face au manque d’informations et de solutions, et parce qu’ils ne bénéficient plus des aides accordées aux étudiants, les jeunes diplômés qui ont besoin de revenus se voient vite contraints de trouver des plans B : accumuler les petits boulots, revenir chez leurs parents… Autant de situations parfois difficiles à vivre psychologiquement, et peu compatibles avec une recherche d’emploi. « Depuis mai, j’avais un job étudiant, j’étais hôtesse d’accueil dans un centre nature, ce qui était encore à peu près en lien avec ma formation dans le tourisme, relate Flavie. Quand en août, j’ai vu que je ne trouvais toujours rien, j’ai postulé à des petits jobs en plus, et à partir de septembre j’ai commencé à les enchaîner : j’ai fait des jours d’essai pour être barmaid, je distribuais des chocolats dans les gares… J’arrivais à peu près à me débrouiller financièrement mais ce n’était pas gratuit, je faisais parfois des journées de 12h ! »

Cumuler des petits boulots pour pouvoir gagner sa vie, mais se priver du temps nécessaire pour postuler à des offres d’emplois… Une situation inextricable que certains ont réussi à éviter en retournant vivre chez leurs parents afin de diminuer leurs charges, non sans une certaine culpabilité. « J’avais quand même des sous de côté, parce que j’avais fait des jobs étudiants, mais en fait je n’avais pas assez pour cette période de recherche qui a duré 5-6 mois, se remémore Stéphanie. Je suis retournée chez mes parents, à la campagne alors que j’étudiais à Paris. Un choix par défaut, difficile à vivre… » Même sentiment de retour en arrière chez Alexandra, 24 ans, diplômée en communication. « Je suis revenue chez ma mère parce que je ne pouvais plus payer mon loyer. Je me suis retrouvée projetée dans ma vie d’avant, je le vivais un peu comme une régression ».

Si cette solution permet aux plus chanceux de bénéficier de plus de temps pour postuler, la vie n’est pas rose pour autant. En l’absence d’aides étudiantes, l’argent pour les sorties vient vite à manquer, et la vie sociale en pâtit. « Étudiante, j’avais ma bourse, mais là je suis retombée à zéro revenu. Ma mère finançait les courses alimentaires, mais à côté de ça je ne pouvais plus sortir comme avant. À la fin je n’en pouvais plus d’être dépendante financièrement… », confie Alexandra.

Flavie a aussi dû mettre le holà sur les sorties : « Je ne fais plus de sport, je ne peux plus me payer de loisirs… Quand on me propose un resto, je décline, je compte chaque euro à chaque fois que je fais les courses. En stage, j’avais un petit salaire qui me permettait de m’acheter à manger sans trop faire attention, alors que là je dois faire des calculs savants pour chaque dépense. »

Et le manque de vie sociale n’est pas le seul écueil de cette période de recherche d’emploi. Tandis que leurs camarades font leurs armes dans leurs premiers jobs en lien avec leurs cursus, les jeunes diplômés qui ne parviennent pas à trouver de boulot ne peuvent pas construire leur expérience professionnelle, ce qui, paradoxalement, leur est souvent demandé comme prérequis au moment de postuler.

Une première expérience difficile à acquérir

« J’avais fait cinq ans d’études, et on me disait que je n’avais pas assez d’expérience, sauf qu’en ne me laissant pas ma chance, on ne me donnait pas la possibilité d’en acquérir ! J’ai très mal vécu cette situation », se souvient Alexandra.

De son côté, Flavie, qui enchaînait les petits boulots, se voyait reprocher son instabilité : « Comme j’avais cumulé plusieurs jobs, certains avaient peur que je ne m’investisse pas assez dans leur entreprise. Quand j’ai fini par prendre le premier CDI qu’on m’a proposé alors qu’il ne me plaisait pas, et que j’ai changé au bout de 6 mois, cela a été très mal vu. Je renvoyais l’image d’une personne peu fiable, alors que j’avais pris cet emploi par nécessité. »

C’est là l’autre risque de prolonger trop longtemps la période de recherche : l’exigence baisse, à mesure que la panique enfle, au risque de prendre un boulot qui ne correspond plus du tout à ses attentes. « À la sortie de mes études de droit, je suis tombée enceinte, donc je n’ai pas pu enchaîner les stages comme je l’aurais voulu, ce qui est nécessaire dans mon métier pour pouvoir obtenir un boulot ensuite. Résultat, après plus de huit mois à chercher un emploi en lien avec mon cursus , j’ai fini par prendre un job alimentaire », raconte Philippine, 31 ans. Parmi les désillusionnés du marché de l’emploi, nombreux sont ceux qui finissent par se reconvertir, à l’image de Flavie, qui songe à travailler dans l’horlogerie ou Philippine qui est finalement devenue communicante. D’autres ont revu leurs critères, comme Stéphanie, qui a accepté de changer de zone géographique. Auraient-elles pu trouver plus tôt, ou dans leur branche, si elles avaient pu bénéficier d’aides plus conséquentes ? La question se pose.

Des aides insuffisantes

Bien que peu nombreuses et pas toujours adaptées, quelques aides existent pour les jeunes diplômés :

  • Le contrat d’engagement jeune s’adresse aux jeunes entre 16 et 25 ans, qui ne sont plus en études et ne suivent pas de formation. Il consiste en un accompagnement personnalisé de 6 à 12 mois assuré par Pôle Emploi, assorti d’une allocation indexée sur les ressources pouvant aller jusqu’à 520€ par mois.

  • L’allocation aux jeunes diplômés est également une aide ponctuelle réservée aux jeunes diplômés sans emploi de moins de 26 ans, inscrits à Pôle Emploi ou à la Mission locale, qui ne touchent pas plus de 312€ nets par mois. Son montant varie en fonction des besoins et des situations de chacun.

  • Autre dispositif, le Fonds d’Aide aux Jeunes, qui varie selon les départements. Celui-ci s’adresse aux jeunes en grande précarité, et la demande se fait via les missions locales.

  • Le RSA jeunes actifs est également intéressant pour les jeunes de 18 à 25 ans ayant de faibles revenus. Seul bémol, il faut avoir travaillé pendant au moins deux ans pour en bénéficier, les stages n’étant pas pris en compte…

  • Certaines régions ont également pris sur elles de mettre en place des dispositifs locaux, comme Revenu Jeunes en Loire-Atlantique, ou Cap’J, en Gironde.

Finalement, si les dispositifs d’aide ne sont pas inexistants, ils restent globalement peu connus des jeunes diplômés, et s’adressent parfois plus généralement aux jeunes en situation de précarité, que spécifiquement aux jeunes diplômés. Dans tous les cas, Pôle Emploi ou les Missions locales restent encore les meilleurs moyens de s’informer.

Article édité par Aurélie Cerffond, photographie par Thomas Decamps

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