Engagement au travail et salariat : et si l’alliance était possible ?

31 déc. 2018

5min

Engagement au travail et salariat : et si l’alliance était possible ?
auteur.e
Lucie Goutagny

Rédactrice

Toutes les études sont d’accord : le taux d’engagement des salariés est en berne. En France, seuls 6 % sont engagés dans leur travail selon la dernière étude Gallup, contre 10 % en Europe de l’Ouest. La France est donc le cancre d’une classe de mauvais élèves. Pourtant l’enjeu est de taille car l’engagement des salariés impacte la performance économique : les entreprises où le taux d’engagement est élevé sont 17% plus productives et 21% plus rentables que les autres.

Qui est le coupable du désintérêt massif des employés ? Le salarié, d’une exigence sans commune mesure avec celle de son ancêtre l’ouvrier fordiste ? Ou bien est-ce le système du salariat tel qu’on le connaît aujourd’hui ?

Qu’est ce que l’engagement au travail ?

Être engagé signifie être extrêmement investi et impliqué. L’engagement présuppose une grande motivation qui se traduit en actes concrets au bénéfice de l’entreprise. Le salarié engagé donne le meilleur de lui-même. Il prend des initiatives et mobilise l’ensemble de ses capacités pour faire avancer et réussir son entreprise. En bref, il arrive le lundi matin hyper motivé !

Pourquoi seulement 6% des salariés français se retrouvent-ils dans cette définition ?

« Petite Poucette » va trop vite pour l’entreprise

L’explication vient tout d’abord d’un profond changement de la société. Le philosophe Michel Serres explique très bien la révolution actuelle :

« Nous connaissons actuellement une période d’immense basculement, comparable à la fin de l’Empire romain ou de la Renaissance. Le passage de l’imprimé aux nouvelles technologies est majeur. »

Nous vivons donc une période de crise et de profonds changements. La Petite Poucette de Michel Serres (la digital native qui écrit des sms plus vite que son ombre avec le pouce) vit et pense différemment de nos grands-parents et entraîne toutes les générations dans son sillage. Il est ordinaire pour un jeune aujourd’hui de passer son week-end à Barcelone grâce à un vol low-cost, de créer son entreprise en trois clics le lundi, de retrouver ses copains rencontrés au Brésil lors d’une année de césure le mardi, de participer à un challenge 48h chrono pour un projet étudiant le mercredi, etc. Tout va vite, très vite. 

Pourtant, le monde de l’entreprise, c’est l’inverse ! Le temps ne s’y est pas accéléré de la même manière. Il faut de nombreuses semaines pour monter un projet, recruter une équipe, tester un produit, etc.

La jeune génération s’ennuie et se rebiffe

Dans ce monde de l’entreprise, Petite Poucette se désespère devant des tâches qui n’ont pas de sens pour elle, obéit un temps, puis s’en va.

La désillusion est de plus en plus rapide, elle va même jusqu’à la maladie, du mal de dos psychosomatique aux graves troubles psychiques. Le salarié se met en pilote automatique pour résister à l’ultra performance, à l’évaluation permanente, à la concurrence, aux tâches qu’il déteste exécuter, etc. Il renie ses principes et ses envies, et petit à petit, il tombe malade. La propension des jeunes de 25-30 ans en reconversion professionnelle était nulle il y a encore dix ans. Aujourd’hui, ils se bousculent dans les canapés des coachs de vie ou autres ateliers de reconversion, pour créer leur propre boîte ou se lancer dans des métiers manuels, loin des« bullshits » jobs.

On ne fera pas revenir l’être humain en arrière, vers un monde obéissant et hiérarchique. C’est à l’entreprise de changer.

On peut juger égoïste ou irrespectueux ce salarié qui ne daigne travailler que lorsqu’il est parfaitement épanoui. Mais on ne fera pas revenir l’être humain en arrière, vers un monde obéissant et hiérarchique. C’est à l’entreprise de changer. Car sinon les salariés continueront de prendre la poudre d’escampette.

Mais de quoi a-t-il besoin ?

Les résultats d’une enquête réalisée par Capgemini et The Boson Project en 2015 sont édifiants : plus de 80% des participants ont répondu qu’ils avaient besoin de rêver pour s’engager dans leur travail! Et 63% des sondés considèrent le rêve en entreprise comme vital. Les salariés considèrent donc aujourd’hui l’entreprise comme une machine à rêver leur vie, comme une entité qui va les aider dans leur quête de sens et d’épanouissement.

Nous sommes arrivés au dernier échelon de la pyramide de Maslow : la quête d’épanouissement.

Voici quelques conseils pour prendre en compte les besoins de ce nouveau salarié :

  • Il est indispensable de proposer des projets qui ressemblent à de vraies aventures au sein de task-force autonomes et temporaires. Il faut de l’agilité, de la variété et un management horizontal. 
  • Mettre en place une évaluation basée sur les résultats et non sur les moyens, qui doivent rester à la discrétion de Petite Poucette. L’autonomie et la confiance sont des éléments clés.
  • Le salarié doit être encouragé par un mentor et ressentir sa confiance. Il doit continuer à apprendre et créer son propre parcours d’apprentissage, totalement adapté à ses besoins et ses talents.

Face à l’individualité, il faut du sur-mesure.

Le chantier est immense pour l’entreprise. Beaucoup reste à inventer et aucune recette globale ou collective ne pourra fonctionner. Face à l’individualité, il faut du sur-mesure. Mais est-ce possible ?

Pouvons-nous tous devenir des artistes

L’idéal de la réalisation de soi est devenu la nouvelle idéologie. Est-ce la fausse bonne idée de notre époque, devenue une source de souffrance au travail car inatteignable ? Comment exprimer sa personnalité, suivre sa voie, réaliser sa propre humanité et ne pas se conformer au modèle imposé par l’entreprise, la génération précédente, la religion, etc. ? Comment prendre ses distances avec un destin tout tracé, réfléchir librement sur sa vie tout en répondant à ses e-mails en retard, en s’occupant de ses enfants et en remboursant ses crédits ?

D’ailleurs, faire constamment des choix pour trouver et suivre sa voie peut aussi devenir la source de maladies dépressives, une grande fatigue peut survenir lors de cette quête de l’idéal, comme l’explique Alain Ehrenberg dans son livre « La Fatigue d’être soi » C’est bien plus reposant de suivre une voie toute faite, sans trop réfléchir.

L’artiste engagé est la figure emblématique de cette personnalité qui revendique sa propre expression, son originalité et ses combats. Pouvons-nous tous devenir ou souhaiter devenir « des artistes engagés » ? Voici quelques pistes de réponses pour l’entreprise.

Et si la solution était toute douce ?

- Passer du paternalisme à l’entreprise « maternante »

Emmanuelle Duez, fondatrice de The Boson Project, préconise de changer le management et d’évoluer vers une entreprise « maternante », très concernée par l’épanouissement de ses employés. Le paternalisme est synonyme de mise en tutelle de l’autre, de son infantilisation, de la pression, du bâton et de la carotte. Le concept ne fait plus recette. Au contraire, les neurosciences montrent que le stress est contre productif pour obtenir une performance efficace. Il faut à l’inverse réhabiliter des qualités comme la confiance, la responsabilisation, les émotions, l’attention à chaque individu via de vrais dialogues et de la reconnaissance. Les managers de demain se situent au cœur de ces changements en œuvre et devront accepter de faire confiance, de ne pas tout contrôler, de passer d’un modèle autoritaire vertical à un modèle participatif horizontal.

- Devenir un peu son propre patron

Il semble impossible de déplacer des montagnes, de s’engager vraiment si on n’est pas – à minima – le patron de soi-même ! Les salariés en quête de sens doivent devenir des entrepreneurs de leur vie professionnelle et de leur formation. Ils doivent choisir ce qu’ils veulent pour le monde de demain et pour eux-mêmes. Sauf que c’est plus facile à dire qu’à faire ! Il n’est pas si aisé de savoir ce que l’on veut faire et ce qui nous convient. Chaque personne a ses propres clés de motivation : certains préfèrent travailler en équipe, d’autres préfèrent travailler seuls, etc. Les actions globales des entreprises ont davantage tendance à démobiliser les salariés qu’à les encourager.

Et si la stratégie payante pour stopper la fuite des talents était de faire du sur-mesure ?

Pour embarquer et faire naître des engagements, l’entreprise doit inciter le salarié à avoir le courage de se retrouver, de dire non, de choisir ce qui lui plait vraiment sans être terrassé par la peur de perdre son emploi, de déplaire, de se tromper. Si l’entreprise lui offre le terreau propice pour découvrir sa propre voie et s’y engager sereinement, alors elle aurait les moyens de recruter une armée de salarié dédiée à sa cause et à son chiffre d’affaire ! Cela implique des coaching personnalisés, du temps, du lâcher-prise, etc. L’entreprise de demain aura t-elle le courage de ses ambitions ?

Photo @WTTJ

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