Se faire embaucher sans période d’essai : aubaine ou traquenard ?

08 févr. 2023

4min

Se faire embaucher sans période d’essai : aubaine ou traquenard ?

Carpet. Et s’y l’on mettait la période d’essai au tapis ? Plus de test, plus de stress, on joue l’embauche cartes sur table. Coup de bluff ou coup de maître pour le salarié ? Et le jeu en vaut-il la chandelle ? On passe l’embauche sans période d’essai au banc d’essai…

La loi est claire, elle n’impose ni à l’employeur, ni au candidat, de se soumettre à une période d’essai. Le code du travail se contente d’encadrer sa durée et ses modalités (renouvellement, préavis). Ce fameux sas d’entrée dans une nouvelle entreprise, longtemps rendu systématique, n’a donc rien d’obligatoire. Il s’agit d’un droit, celui de rompre le contrat de façon anticipée, que vous ou votre employeur pouvez exercer. Ce n’est pas un devoir. Or, si jusqu’ici, tout le monde affectionne la période d’essai, sa pratique est aujourd’hui remise en question.

Se passer de période d’essai : une pratique à la marge

Phénomène rare, l’embauche sans période d’essai fait discrètement son apparition sur les tables de négociation. Parfois mise sur le tapis par un candidat en position de force, elle a pu être acceptée par le recruteur afin de sécuriser l’embauche. La suppression de la période d’essai constitue également un joker auquel ce dernier peut recourir s’il souhaite débaucher un profil expérimenté.

Certaines entreprises ont même fait de cette pratique une véritable tactique. Pionnier en la matière, le Groupe Saur, géant français du secteur de l’eau, a carrément décidé de se passer de la période d’essai pour ses nouvelles recrues. En effet, chez Saur, du cadre dirigeant à l’ouvrier, aucun contrat de travail n’est tenu à une telle clause. Un coup de maître qui lui a permis de se distinguer et d’être récompensé par le Prix de l’innovation RH 2021.

Si, selon eux, la rupture du contrat au cours de cette période intervient le plus souvent à l’initiative du salarié, déçu par la réalité du poste occupé (charge de travail, difficultés managériales, missions confiées), ou débauché par un autre employeur, c’est que le processus de recrutement de la boîte n’a pas permis au candidat de bien appréhender son futur poste. Ainsi, soutient le DRH du Groupe Saur dans une interview accordée à l’ANDRH, lorsqu’un candidat sollicite une période d’essai, « nous répondons défavorablement à cette demande car, si quelque chose n’est pas sûre dès le départ, c’est que le projet n’est pas clair ou qu’il manque des éléments pour que le candidat prenne une décision éclairée. »

Embauche sans période d’essai : les atouts

Perte de temps considérable, déception, baisse de motivation, lorsqu’elle est rompue, la période d’essai est source de frustrations. Pour les partisans de l’embauche sans période d’essai, le jeu de cette clause constitue un double frein pour les candidats.

Un frein à l’embauche d’abord, notamment si vous êtes un profil expérimenté. Car, la simple idée de perdre son emploi pour le remettre en jeu, le temps d’une période d’essai, peut suffire à nous décourager de candidater.

La période d’essai peut également représenter un frein à la mobilité. Elle handicape notamment les jeunes salariés qui peinent à trouver un bail pour se loger tant que leur, parfois très longue, période d’essai n’est pas terminée. Cette clause refreine aussi la mobilité géographique des cadres supérieurs qui attendent prudemment la confirmation de leur poste pour déménager le foyer familial et se projeter à long terme.

Communément renouvelée, la période d’essai est souvent vécue comme un temps long et incertain. Vous vous sentez sur la sellette, livré au bon vouloir de votre employeur. Supprimer cette période délicate présenterait ainsi l’avantage de vous aider à gagner en confiance et en sérénité.

Selon ses défenseurs, l’embauche sans période d’essai participe d’ailleurs à valoriser les candidats et à booster la confiance réciproque entre les deux parties. Libéré de l’aléa inhérent à cette période, vous auriez alors davantage envie de vous investir et d’engager vos pleines capacités dès l’embauche.

Alors oui, dès lors que vous êtes sûr de votre coup et que vous avez toutes les cartes en main pour prendre une décision éclairée, être embauché sans période d’essai peut se révéler une stratégie astucieuse. Privé de cette phase de test, vous vous retrouvez propulsé à la table des joueurs confirmés et bénéficiez des mêmes atouts.

Mais un jeu risqué, à double tranchant

Audacieuse, la suppression de la période d’essai, n’est-elle pas un jeu dangereux ? N’y a-t-il pas là un coup à se faire plumer ? Selon les derniers chiffres de la Dares, en 2019, 19 % des CDI ont été rompus durant la période d’essai, tous secteurs confondus. Une clause de rupture de la collaboration qui, certes, coûte cher à l’employeur (entre 50 000 et 100 000 euros), mais qui se trouve être le plus souvent activée par le salarié (61% contre 39% pour l’employeur).

Et pour cause, la période d’essai est votre joker ! Vous vous sentez floué par l’entreprise qui vous a recruté ? La fiche de poste n’est qu’un coup de bluff comparé à la réalité du métier ? Votre manager se révèle avoir un jeu agressif ? La période d’essai est la combinaison parfaite pour vous extirper de ce mauvais pas, vous autorisant à quitter la partie sans tarder pour vous recaver.

En fait, l’embauche sans période d’essai équivaut à une partie de poker à la mise de départ conséquente. Vous pariez sur une entreprise et un job, tandis que l’employeur mise sur votre profil. Parfois, c’est la quinte flush, le jackpot. Mais le jeu peut aussi se solder par un échec, les deux parties sont alors en tilt. Supprimer la période d’essai a cette conséquence indéniable qu’elle partage plus équitablement les risques entre candidat et employeur. En consentant à l’exclure délibérément, vous acceptez de nouvelles règles du jeu et les risques qu’elles comportent.

Ainsi, sans période d’essai, si vous souhaitez vous retirer de la partie, il faudra démissionner. Dans cette hypothèse, les conséquences sont les mêmes que pour la rupture de la période d’essai : vous ne bénéficierez pas du droit à l’allocation chômage.

Si, au contraire, c’est votre employeur qui souhaite quitter le jeu, il devra vous licencier. Un processus qui, certes, vous donne droit au chômage, comme pour la rupture de la période d’essai à l’initiative de l’employeur, mais qui s’avère bien plus lourd et périlleux pour le salarié. Car, là où la période d’essai n’a pas à se justifier, le licenciement, lui, invoque un motif relatif aux compétences ou au comportement du salarié et risque de mettre en jeu votre réputation.

L’embauche sans période d’essai s’avère donc globalement plus risquée. Parfois, le jeu en vaut la chandelle. Toutefois, elle implique de repenser intégralement le processus de recrutement. Chaque entretien est une opportunité de cerner l’autre et de lire dans son jeu. C’est aussi l’occasion de jouer cartes sur table en exprimant clairement vos attentes (poste, missions, rémunération, perspectives d’évolution). Des rencontres décisives, mais qui favorisent des échanges sincères et vous feront gagner du temps lors de la prise de poste. Plus de poker face, ni de bluff, l’embauche sans période d’essai nous force à faire tapis d’emblée pour le meilleur et pour le pire.

Article édité par Aurélie Cerffond ; Photographie de Thomas Decamps

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