« On me propose un statut freelance alors que je postulais en CDI » : que faire ?

04 janv. 2024

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« On me propose un statut freelance alors que je postulais en CDI » : que faire ?
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Vouloir décrocher un CDI peut prendre des allures de parcours du combattant. Surtout quand on vous propose en fin de process de recrutement de travailler en freelance, alors que vous postuliez pour un contrat de travail en bonne et due forme. La douche froide laisse vite place au doute : il peut être tentant d’accepter, faute de mieux. Tentative d’enfumage ou bon plan ? On vous aide à y voir plus clair.

Après 15 années d’expérience dans la communication, Clémence postule en 2022 pour un CDI dans une petite association. Elle travaillait depuis un an en auto-entrepreneure, le temps de trouver un job stable et séduisant. Quand une association lui propose de travailler en freelance pour « tester la collaboration », elle décide d’accepter l’offre. « J’ai pris beaucoup de risques en me coupant de deux clients pour me dégager du temps pour cette asso pour laquelle je travaillais en 4/5e », raconte-t-elle. Très vite, elle ressent une confusion : « On me présentait comme la nouvelle directrice communication, j’avais même une stagiaire à manager alors que je n’avais ni contrat ni badge des locaux, c’était étrange. » Elle comprend finalement que le poste est peu adapté à ses compétences et envies. « On a décidé d’arrêter, d’un commun accord. Je ne regrette pas l’expérience, mais cet entre-deux étrange m’empêchait en permanence de me projeter dans l’année à venir. » Avec un réseau solide dû à son expérience, Clémence a pu rebondir rapidement. Mais ce genre d’histoire peut vite finir en chute raide…

Une pratique illégale mais courante

Ce type de récit est malheureusement fréquent depuis la création du statut d’auto-entrepreneur en 2008, mais difficile à chiffrer au niveau national. « Beaucoup d’entreprises font appel à des personnes ayant le statut d’auto-entrepreneur pour économiser les cotisations sociales et rompre plus facilement le contrat de travail, qui n’en est pas un ici », explique Elise Fabing, avocate en droit du travail. « Quand la personne travaille à temps plein, ça s’appelle du travail dissimulé. C’est un détournement du droit du travail, un délit qui est d’ordre pénal », met rapidement en garde l’experte du Lab de Welcome to the Jungle. Chaque mois, on lui présente de nouveaux cas de freelances qui demandent une requalification de leur mission en contrat de travail devant les tribunaux.

Ce genre de proposition est donc le signe d’une entreprise a priori malhonnête, qui vous fait miroiter un contrat en CDI avant de retourner sa veste. On vous a peut-être vendu le freelance comme une façon de tester la collaboration, mais c’est pour cela qu’existe la période d’essai, légalement de deux mois minimum. « On est face à un employeur qui n’est pas respectueux du droit du travail et de la sécurité du salarié. Un ou une freelance n’a pas droit au chômage, pas de préavis de départ. Mais il faut rester pragmatique : on n’a pas toujours le luxe de pouvoir choisir », soupire Elise Fabing. Surtout si le poste fait rêver, ou qu’on est dans un secteur en tension où les CDI sont rares (métiers créatifs, journalisme, ou le monde associatif comme décrit plus haut…) C’est pourquoi la proposition pourrait vous paraître tentante. Faut-il se laisser séduire ? Ou prendre cela comme un red flag et fuir à tout prix ? Pas de panique, voici 3 conseils pour réagir sereinement et en accord avec la loi.

« On me propose un statut freelance alors que je postulais en CDI » : que faire ?

1. Se poser les bonnes questions

Si on vous fait cette proposition alors que vous n’avez jamais travaillé en freelance, pensez d’abord à bien évaluer la situation et à vous poser les bonnes questions : quelles sont vos autres options ? L’entreprise a-t-elle l’air fiable ? Pouvez-vous vous permettre de refuser une telle proposition ? Que pourrait vous apporter cette expérience ? Quels sont les risques pour vous et comment y pallier ?

Les circonstances diffèrent d’un cas à l’autre : si le signal paraît plutôt négatif dans l’ensemble, votre employeur potentiel n’est pas forcément mal intentionné. L’option permet par exemple de rester en lien avec son entreprise à l’issue d’un stage ou d’une alternance si celle-ci ne peut pas embaucher, mais a aimé la collaboration. « J’allais être diplômée en août 2019, et je voulais faire une année sabbatique au début 2020, raconte Marie, jeune diplômée d’une école de commerce alors en stage dans une start-up. Quand j’ai dit que je voulais rester seulement quelques mois de plus, mon manager m’a proposé de rester en tant que freelance. Ça convenait bien à mon besoin niveau temps, et le salaire était plus intéressant. »

L’inconvénient majeur du statut d’auto-entrepreneur est qu’il ne vous protège pas en cas de difficulté. Avec l’arrivée du Covid, les projets de voyage de Marie ont été repoussés. Et face aux difficultés économiques de l’entreprise, l’évolution est devenue plus difficile à négocier. « C’est le seul moment où j’ai eu le sentiment que le statut de freelance m’était imposé. Cette fois-ci, ça les arrangeait plus que moi », explique celle qui a fini par signer un CDI après les premiers confinements.

2. Clarifier le besoin et poser ses conditions

Avant d’accepter la proposition, n’oubliez pas que vous avez l’opportunité d’échanger avec l’employeur potentiel, voire de négocier. « Je conseille de jouer la carte de la transparence avec l’entreprise, il faut se sentir légitime à poser des questions », affirme Aurélie Jourdon, directrice d’un cabinet de recrutement. Parle-t-on d’un besoin cadré dans le temps ? Y a-t-il des évolutions envisagées ? Quel est le volume horaire par semaine estimé du poste, et est-il amené à varier ? « On peut tout à fait parler de son besoin de stabilité par exemple. Quand on débute notamment, on n’ose pas toujours poser ses conditions », poursuit Aurélie Jourdon.

L’ouverture de ce dialogue vous permettra peut-être de détecter d’autres signaux négatifs. Un employeur qui ne laisse aucune porte ouverte, par exemple (« c’est du freelance ou rien ») ou qui vous presse pour prendre une décision (« il y en a 30 qui attendent derrière vous… ») peut présager d’une future relation toxique. Dans ce cas-là, il est plus sage de refuser et partir, sans attendre !

3. Se renseigner sur les contours des deux statuts

À savoir qu’un CDI ou CDD est un contrat de subordination : votre employeur a le droit de vous imposer des horaires, un ordinateur et un lieu de travail. À l’inverse, le rapport freelance-client est une collaboration. Vous devez pouvoir dire non à certaines demandes. L’auto-entrepreneuriat permet des rémunérations plus élevées les mois travaillés car les cotisations sociales sont allégées, mais vous n’avez droit ni aux congés payés ni aux avantages employeurs (mutuelle, tickets restaurant, titres de transport). Vous cotisez pour votre retraite, mais pas pour le chômage, ce qui ampute du droit à celui-ci en fin de collaboration. Enfin, vous devez légalement travailler à temps partiel ou pour une durée déterminée.

Si vous envisagez le freelance, assurez-vous d’avoir de l’épargne de côté en cas de pépin, et négociez une rémunération qui prend en compte la précarité du statut. Pour cela, il peut être bon de calculer ses revenus lissés sur l’année (en prenant en compte vos congés), par exemple avec le simulateur officiel des auto-entrepreneurs.

4. Connaître ses droits et garder une trace écrite

La signature d’un contrat de travail ouvre des droits au salarié, qui peut porter plainte aux prud’hommes si ceux-ci ne sont pas respectés. « Même si vous signez un contrat de prestation en tant que freelance, le juge ne regardera qu’une chose : s’il y a un lien de subordination entre vous et l’employeur », explique Arthur Tenard, avocat au barreau de Paris. Si l’opportunité de poste est belle, il reste difficile d’imposer un CDI à votre interlocuteur. « Un point sur lequel le freelance peut insister, c’est de garder une flexibilité sur les horaires et la charge de travail, et travailler en temps partiel pour développer une clientèle, conseille l’avocat. Si jamais ça se passe mal par la suite, les meilleures preuves devant la justice restent les mails, comme par exemple une exigence de travailler sur certains horaires. » En amont, rédiger un contrat de prestation peut aider, pourquoi pas en s’appuyant sur une aide juridique extérieure. Même s’il a une faible valeur de preuve devant un tribunal, le document permet d’objectiver les négociations, et garantir que vous êtes aligné avec l’employeur sur les contours de la collaboration.

Vous voilà maintenant mieux armé·e pour faire face à des employeurs peu réglo, en attendant des jours meilleurs où ce n’est pas aux candidats de faire respecter la loi !

  • Le prénom a été modifié