Doc Amine, médecin influenceur : « Les réseaux, c’est un peu mon défouloir »

13 févr. 2023

8min

 Doc Amine, médecin influenceur : « Les réseaux, c’est un peu mon défouloir »
auteur.e.s
Clémence Lesacq Gosset

Editorial Manager - Modern Work @ Welcome to the Jungle

Elise Assibat

Journaliste - Welcome to the Jungle

Le jour, Amine alterne les gardes en libéral, lutte contre les déserts médicaux avec SOS Médecins, prête main-forte à l’hôpital public… Le soir, une fois les consultations terminées, il vulgarise la santé sur Instagram. Entre convictions, révolte et philanthropie, le jeune médecin aux plus de 115k followers nous raconte comment il articule ses deux métiers, à l’heure où le monde médical français enchaîne malaises et grèves.

Médecine, éthique et réseaux sociaux, c’est compatible ?

Difficilement. D’abord parce que tu te retrouves très vite dragué par des laboratoires pharmaceutiques, dès que tu commences à avoir une petite notoriété en tant que médecin sur les réseaux sociaux. Et forcément l’appât du gain est assez important. Mais je résiste car je n’ai pas besoin d’être riche, je suis bien avec ce que j’ai. Bien sûr, c’est aussi difficile car notre code de déontologie pour les médecins est le même depuis toujours. Il n’est pas du tout adapté à l’ère des réseaux sociaux ou aux nouvelles technologies. Le seul commentaire à ce sujet est que le médecin doit donner des informations validées scientifiquement. Alors en tant que créateur de contenu c’est compliqué puisque tu vulgarise des concepts dans des termes et des images pas forcément scientifiques, justement dans le but que les gens comprennent.

Au fil du temps, tu as réussi à trouver le meilleur moyen de concilier vulgarisation et santé ?

Je me sens toujours un peu sur une ligne de crête mais je m’adapte, oui. Pour traduire du contenu scientifique, j’essaye d’être simple sans être simpliste et sérieux sans me prendre au sérieux. Plus concrètement, je vérifie absolument tout ce que je dis. Bien sûr ça m’est déjà arrivé de faire des erreurs mais c’est important pour moi de savoir les reconnaître et de faire mon mea culpa. Le buzz peut être tentant pour certains, mais il faut faire attention à ne pas s’aventurer là-dedans.

Aujourd’hui, plus de 115K personnes suivent ton compte Instagram @docamine_. Pourquoi as-tu décidé de prendre la parole sur les réseaux sociaux ?

J’étais en 6ème année d’études et au début, c’était une blague avec mon petit frère. Comme je le faisais rire, il m’a créé une page Facebook et pendant les pauses, entre deux révisions, je me suis mis à écrire des blagues sur le milieu médical. Ça a commencé j’avais 0 like, puis 1 et le lendemain s’est monté à 10, 100, 1 000 et rapidement ça a continué d’augmenter tous les jours.

« Au début c’était vraiment des vannes puis le confinement est arrivé, les gens étaient inquiets et ont commencé à me poser beaucoup de questions en privé » - Doc Amine, médecin influenceur

L’explosion de ton nombre d’abonnés a-t-il changé la manière dont tu créais ton contenu ?

Oui et il y a eu un vrai tournant avec la crise sanitaire. Au début c’était vraiment des vannes puis le confinement est arrivé, les gens étaient inquiets et ont commencé à me poser beaucoup de questions en privé. Alors j’ai adapté mon contenu, je me suis mis à faire de la vulgarisation médicale, à donner mon avis sur les décisions politiques et l’information sur l’accès aux soins.

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T’es-tu posé la question de savoir si tu avais les compétences pour ce nouveau métier qui n’a rien à voir avec celui de médecin ?

Tant que c’était pour m’amuser il n’y avait pas vraiment d’enjeu. C’est surtout quand on a commencé à me proposer des partenariats que la question s’est posée. Évidemment je n’ai rien accepté et je me suis renseigné à droite et à gauche sur le fonctionnement de chacun. C’est en parlant avec Major Mouvement, un kiné présent sur les réseaux que j’ai entendu parlé du rôle des agences d’influenceurs et que j’ai pu trouver ma propre agente. Depuis, c’est elle qui gère les demandes d’interview, de conférence, de partenariat… Ça me permet de me concentrer sur la partie créative.

Tu exerces ton métier de médecin en libéral tout en développant ce nouveau rôle d’influenceur… Comment fais-tu pour jongler entre les deux ?

Ça prend beaucoup de temps, il faut être organisé ! J’ai la chance de ne pas avoir beaucoup besoin de sommeil. Alors souvent c’est en rentrant du travail le soir et jusqu’à 2h du matin que je m’occupe de mes réseaux. Je réfléchis à des idées pour tourner des sujets de vidéos pour ma future chaîne Youtube, je prends des notes, je m’inspire… C’est drôle, je me sens toujours très créatif la nuit. Comme si la journée mon cerveau était centré sur la concentration avec les patients, et quand le soir arrive cette partie s’endort et laisse la place à ma fibre artistique.

Ta casquette d’influenceur n’a jamais empiété sur tes journées de médecin ?

Si, ça m’est déjà arrivé que mes collègues ou mes supérieurs m’en parlent. Après, 90% du temps c’est en bien, on me fait des retours et c’est intéressant d’échanger avec eux. Mais j’ai déjà eu un chef de service quand j’étais interne qui m’avait convoqué pour me dire qu’il trouvait ça inadmissible comme distraction. M6 lui avait fait une demande pour venir me filmer à l’hôpital et il avait carrément dit non. Je pense qu’il ne comprenait pas pourquoi les journalistes voulaient suivre un interne pour répondre à leurs questions plutôt que le chef de service. Parfois aussi des patients me reconnaissent et dans ce cas-là ça m’embête. Car si quelqu’un vient se présenter à moi comme un abonné, la relation médecin-patient va être biaisée et je ne vais pas être parfaitement objectif avec lui. Alors quand ça arrive je laisse la main à un collègue pour garder la bonne distance.

« On dit : “l’enfer c’est les autres”, mais moi c’est mon paradis » - Doc Amine, médecin influenceur

Qu’est-ce que tu tires de tes échanges avec tes abonnés ?

Du contact ! C’est ce que j’aime le plus et c’est d’ailleurs pour ça que je suis devenu médecin. Et sur les réseaux, même si c’est virtuel tu communiques avec tes abonnés, ils te challengent. Parfois on me pose des questions auxquelles je n’ai pas de réponse alors je pars faire mes recherches avant de leur répondre. J’ai l’impression de continuer à apprendre plein de choses avec eux. On dit : “l’enfer c’est les autres”, mais moi c’est mon paradis.

La méritocratie c’est quelque chose qui fait sens pour toi ?

Oui complètement. Je me souviens quand j’étais gosse et qu’on vivait à quatre dans le T2 d’un HLM. Aujourd’hui, je suis très fier de ma réussite et de celles mes frères et sœurs aussi. L’un est ingénieur et les deux autres sont infirmiers en réanimation. Alors certes on a dû travailler plus, on a dû faire nos preuves. Mais ça a payé. Aussi grâce à nos parents bien sûr, qui ont tout sacrifié pour nous offrir une bonne éducation. Je leur en suis très reconnaissant et j’essaye de leur rendre la pareil, financièrement déjà. Mais surtout en étant présent. Ils savent qu’ils peuvent m’appeler à 3h du matin et que je serais là pour eux.

« Les réseaux me forcent à faire quelque chose de toute l’émotion que j’emmagasine jusqu’au soir » - Doc Amine, médecin influenceur

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Depuis que tu combines les deux, tu as parfois eu envie de lâcher l’un de ces deux métiers pour te concentrer sur un ?

J’ai déjà pensé à arrêter la création de contenu, oui. Dans les phases où l’inspiration vient à manquer, je me dis que j’ai fait le tour. Mais après ça repart alors je continue de jongler entre les deux. Je pense aussi que ça me force à faire quelque chose de toute l’émotion que j’emmagasine jusqu’au soir. Les réseaux, c’est un peu mon défouloir. Et pour ce qui est de la médecine, je suis complètement passionné par ce que je fais et même si le parcours pour y arriver a été dur - notamment d’un point de vue mental - je sais que je suis bien où je suis aujourd’hui. Le statut de médecin libéral me convient très bien, j’aime organiser mon temps et toucher à plusieurs pratiques.

En parlant de santé mentale, tu décryptes une émission sur la question pour Brut depuis novembre dernier. Comment t’es venu l’idée de ce nouveau projet ?

D’abord en raison de mon vécu personnel. Je n’en ai jamais parlé sur mes réseaux mais j’ai vécu une période difficile pendant mes études de médecine. Avec du recul je pense avoir traversé une dépression pendant un long moment. Aussi car il faut lever ce tabou sur ces souffrances qui touchent tellement de monde.

« Pour un secteur qui soigne les gens, c’est terrible une prise en compte de la santé mentale à ce point inexistante » - Doc Amine, médecin influenceur

As-tu l’impression que la parole s’est libérée sur les questions de santé mentale au travail ?

De manière générale, j’ai l’impression que les entreprises comprennent de mieux en mieux que quelqu’un d’heureux dans son travail va être infiniment plus productif que quelqu’un à qui on met la pression. Après, ça dépend encore aujourd’hui de chaque boîte et de la manière dont le management gère cette question individuellement. Et paradoxalement, c’est à l’hôpital qu’on trouve la hiérarchie la moins compréhensive qui soit. Je reçois tellement d’infirmières que je ramasse à la petite cuillère. Pour un secteur qui soigne les gens, c’est terrible une prise en compte de la santé mentale à ce point inexistante.

L’été dernier, tu es allé prêter main forte aux Urgences de Marseille, alors en pleine pénurie de personnel… Cette tension, tu la ressens toi aussi dans ton quotidien de libéral ?

Oui, c’est partout la merde. Quand je travaille avec SOS médecin vers Aix, tous les petits villages sont complémentement désertiques, il n’y a pas un seul médecin à la ronde et je tire des bords pour aller d’un patient à un autre. On peut remercier les dirigeants d’il y a vingt ou trente ans qui ont réduit le numerus clausus pour faire des économies. Ils se sont dit moins de médecins, moins de dépenses mais on se rend compte aujourd’hui que non seulement c’est faux mais qu’en plus l’inverse s’est produit.

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C’est ainsi que tu expliques en partie les récentes grèves du début d’année dans le corps médical ?

Oui, des années à ne pas écouter les sonnettes d’alarme du personnel soignant. Un peu comme un immeuble dont on refait la façade à chaque fois alors que l’intérieur est en ruine. Les soignants préviennent que ça va s’écrouler. Mais on remet toujours un coup de peinture pour faire illusion. Alors entre la fonte des effectifs, le salaire à l’hôpital qui est une catastrophe, tout ça sans que personne ne t’écoute… C’est normal que les gens finissent par se barrer au bout d’un moment. On veut bien un service public et les valeurs qui vont avec mais il y a des limites.

Le management dans les hôpitaux, dont tu parlais, est aussi l’une de ces raisons ?

Complètement, le management est totalement dysfonctionnel et ce dès les études. Quand j’étais en médecine il y avait déjà un problème de considération vis-a-vis des étudiants. Ma dépression était clairement liée à la manière dont le système est encadré. Tu ne t’en sors pas et en plus on te demande de faire des choses illégales d’un point de vue médical. Par exemple rester 12h de plus pour une garde qui n’est pas censée durer plus de 24h. Tu n’es pas rémunéré ou payé au lance pierre, trois mois après. Même jusque dans les plateaux repas qu’on sert à l’hôpital on sent qu’on n’est pas respecté. Ça peut sembler être un détail mais lorsque c’est la goutte d’eau, tout peut exploser

« Moi je n’ai jamais eu ça, dans aucun des services ou j’ai travaillé, juste un référent qui t’écoute » - Doc Amine, médecin influenceur

Finalement, les centres hospitaliers qui voient revenir les soignants sont ceux qui essayent de changer les choses ?

Tout à fait. Après bien sûr ce n’est pas Disney non plus. Mais rien que le fait que tu puisses avoir une oreille qui écoute quand tu te plains pour pouvoir faire remonter des problèmes, c’est déjà énorme. Je connais certains hôpitaux qui organisent plusieurs fois par semaine des réunions de service entre les directions et les soignants. Ils ne disent pas forcément grand-chose mais déjà ils écoutent, ils prennent des notes. Moi je n’ai jamais eu ça, dans aucun des services ou j’ai travaillé, juste un référent qui t’écoute.

En tant que jeune médecin, tu continues de te projeter dans le milieu médical ?

Bien sûr, je ne me vois pas arrêter. En revanche, je songe à partir à l’étranger malheureusement. J’adore la France, j’aime ce pays qui m’a tout donné mais je sens trop de mépris pour notre travail. Et c’est tellement dommage parce qu’on a des professionnels qui sont hautement qualifiés, une médecine très poussée, une formation incroyable… Mais le système ne les a pas assez valorisés, alors ils s’en vont. Et j’y pense de plus en plus pour moi aussi.

Article édité par Clémence Lesacq - Photo Thomas Decamps pour WTTJ

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