Mise au point : Les déserts médicaux en France vus par le photographe Idhir Baha

02 mars 2022

3min

Mise au point : Les déserts médicaux en France vus par le photographe Idhir Baha
auteur.e
Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Dans un département classé désert médical, Idhir Baha, photographe Franco-Algérien est parti à la rencontre de Leïla, jeune médecin trentenaire, qui, après quelques années à voyager, a posé ses valises dans un village de 800 habitants en Dordogne. Entre les rendez-vous à son cabinet, les visites à domicile et les urgences du centre hospitalier de Villeneuve-sur-lot, à une heure de chez elle, Leïla parcourt chaque jour des dizaines de kilomètres pour aller à la rencontre de patients souvent isolés et privés de soins.

À travers tes reportages et même tes portraits, on sent une réelle volonté de faire témoigner des personnes sur leur quotidien, leurs difficultés. La photo est-elle le médium le plus adapté pour cela ?

Merci, je prends ça comme un compliment ! Bien que cliché, je l’assume et le répète ici : si on n’est pas curieux ; si on n’a pas la volonté de faire témoigner les gens sur leur quotidien ; si on a la flemme d’aller les chercher et d’être patient ; si on n’a pas cet engagement de servir de haut-parleur ; alors, je suis persuadé qu’on ne peut pas exercer de travail documentaire.

Je suis autant à l’aise sur la photo que sur le texte et je pense d’ailleurs que tous les médiums sont adéquats pour faire témoigner des personnes.

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Que ce soit dans des portraits de politiques, des reportages dans des manifestations, ou dans les hôpitaux, l’humain est l’objet central de ton travail. Comment fais-tu pour capter avec tant de précision le quotidien de ces personnes ?

Ce n’est pas toujours possible, mais j’essaie de passer un maximum de temps sur place, en toute discrétion et de créer une proximité, un lien de confiance avec les personnes que je photographie. Ça prend du temps parce que pour faire un reportage pertinent, il faut pouvoir comprendre les motivations, les difficultés, les joies et les contraintes de chacun. Et comme il s’agit d’humains, il ne faut pas oublier de capter les silences, les non-dits, à côté des réponses officielles qui sont tout aussi importants que les postures, les regards et les mimiques.

Ceci dit, chacun a une sensibilité propre : en tant que journaliste, je pense que plus on cherche la neutralité, et plus on s’éloigne de l’objectivité. À ce sujet je m’inspire beaucoup du travail d’Irène Pereira (Docteure en Sociologie).

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Peux-tu nous expliquer la série sur Leïla, une médecin de campagne en Dordogne : qui est-elle ? Qu’as-tu voulu montrer à travers ce reportage ?

Leïla est ma sœur ! Elle va super bien et elle est toujours docteure. Elle continue de jongler entre l’adrénaline et la vitesse du service des urgences du centre hospitalier, et la pratique généraliste de proximité avec son cabinet et ses visites à domicile.

J’ai fait ce reportage il y a trois ans, quand j’étais l’assistant du photographe Ferhat Bouda. Il n’arrêtait pas de me pousser à essayer de nouvelles choses. Je venais de me lancer pleinement dans la profession, et je voulais faire un documentaire photo très intime et dans un environnement oublié. Et ça tombait bien : Leïla voulait se fixer après de longues années d’études et de stages dans le monde. Elle venait de s’installer dans une des 1883 communes françaises qui se situe dans un désert médical reconnu, un petit village de la rurale Dordogne.

Ça a été une aventure très forte de bosser sur le quotidien de ma sœur. Je pense qu’il n’en est sorti que du positif : tant sur notre relation personnelle que sur l’intimité recherchée pour la qualité du documentaire. Je voulais d’abord découvrir son univers et le partager, mais aussi rendre compte de l’importance capitale du métier de médecin de campagne. Disons que c’est un environnement très particulier pour notre génération de citadin.e.s !

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La désertification des campagnes est au cœur des préoccupations des praticiens sur place, toi qui est allé à la rencontre de cette France faite de villages et de hameaux, qu’as-tu ressenti à travers ton objectif ? As-tu trouvé des choses que tu ne t’attendais pas à découvrir ?

Comme j’ai toujours vécu dans une grande ville, j’avais beaucoup de fausses images en tête. Je pensais trouver un environnement très froid et vide d’animations. Je pensais que mes photos tireraient sur les bleus et les verts, des ambiances froides. Je pensais qu’être une jeune femme, avec des origines, serait un énorme obstacle à son installation à la campagne. Mais j’ai été agréablement surpris par cette chaleur humaine et cette gentillesse. Dans le village, Leïla fait dorénavant partie du trio de choc avec le maire et l’instit.

Les gens sont en général bien accueillis par les locaux et sont vite adoptés. Ils ont pu voir les effets néfastes de l’exode rural et ils en souffrent beaucoup. L’installation de jeunes actifs est vitale pour leur survie ! Lorsque le citadin doit prendre les transports quelques minutes pour se rendre dans un centre hospitalier avec tous les services de soins, on parle d’heures dans des zones de désert médical.

J’ai pu rencontrer plusieurs nouveaux arrivants, souvent des néo-ruraux venus de grandes villes et de zones péri-urbaines. Ou des jeunes de la région établissant leurs activités professionnelles sur place après s’être formés ailleurs. Je suis plutôt confiant et optimiste pour la suite : je pense que la France rurale va attirer de nouvelles personnes. Sans parler des conséquences des confinements, du télétravail, et de l’augmentation des prix de l’immobilier en ville.

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Photos : Idhir Baha

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