La conscience de soi, une force de plus en plus recherchée par les recruteurs

12 avr. 2023

6min

La conscience de soi, une force de plus en plus recherchée par les recruteurs
auteur.e
Cécile Pichon

Psychologue du travail, coach et consultante RH

S'il n'est plus à prouver que les recruteurs sont aujourd'hui tout particulièrement attentifs aux softs-skills, certaines de ces compétences humaines et relationnelles pourraient bien faire une grande différence entre les candidats. Après l’autonomie et la créativité, la nouvelle qualité très prisée par les employeurs pourrait bien être la « conscience de soi ». Mais qu’est-ce que cette drôle de compétence et quel pourrait être le réel atout lié à une bonne conscience de soi quand on est candidat ? Décryptage.

Conscience-de-soi, conscience-de-quoi ?

Pour faire simple, la conscience, et plus particulièrement la conscience de soi, désigne un pouvoir de représentation de l’individu de sa propre existence. C’est en quelque sorte une capacité de méta-cognition, c’est-à-dire une faculté à avoir une réflexion abstraite sur soi, sur ses pensées, ses ressentis et son comportement. Si la conscience “tout court” semble être l’apanage des êtres vivants les plus complexes et les plus évolués, la conscience de soi quant à elle, serait spécifiquement aboutie chez les spécimens de notre drôle d’espèce : les humains.

Mais comment cette conscience de soi apparaît-elle ? En réalité, son développement est assez progressif. L’enfant, à sa naissance, a une perception un peu nébuleuse de lui-même et du monde qui l’entoure. Mais au fur et à mesure de son développement, il commence à se percevoir comme distinct de sa mère, puis reconnaît son reflet dans le miroir, découvre sa singularité jusqu’à finir par s’observer de l’extérieur, dans les yeux des autres. C’est la naissance de la conscience de soi.

Penser sa propre pensée… Faire un pas de côté, examiner la manière dont on fonctionne, tout en étant attentif à la manière dont nos actions, humeurs et émotions affectent les autres, c’est prendre de la hauteur, ce qui est utile à nos interactions avec les autres et avec le monde. Dans ce sens, la conscience de soi se présente comme un processus cognitif complexe qui participe de l’intelligence émotionnelle et relationnelle, donc de l’intelligence de manière générale. La qualité en quelque sorte des êtres humains mûrs et entièrement développés !

Comment expliquer l’engouement autour de « la conscience de soi » ?

Dans un contexte culturel et social qui valorise le développement personnel et l’idée d’une amélioration continue de soi, on conçoit aisément que la conscience de soi prenne une place prépondérante. Se comprendre - autant que possible, être présent à soi et au monde autour, sont des éléments qui prennent alors une importance grandissante.

Et pourtant… Une étude menée par la psychologue Tasha Eurich publiée en 2018 a observé que si 95% des personnes se considéraient comme “conscient d’eux-mêmes”, seuls 10 à 15% l’étaient vraiment. Amusant, non ? Mais d’où vient ce décalage ? De l’idéalisation de la conscience de soi, probablement ! Comme cette qualité semble être hautement désirable socialement parlant, nous serions nombreux à penser que nous en sommes doté et à un bon niveau. Alors que dans les faits, on possède une bien moins bonne « conscience de soi » que ce que l’on pense !

Enfin, parce que l’on vit avec soi-même, on a souvent l’impression de bien se connaître. Et là encore, c’est complexe. On peut parfois manquer de clairvoyance, parce que notre perception de nous-mêmes reste subjective et soumise à notre propre grille de lecture, c’est-à-dire à nos schémas de pensées et nos biais cognitifs… On n’est jamais totalement objectif, même si l’on reste toujours plus ou moins conscient de soi.

Ce qui est valorisé et prisé de nos jours alors, c’est en fait d’avoir un niveau de conscience en soi, supérieur à la moyenne.

Pourquoi cette compétence est prisée par les recruteurs ?

Toujours à l’affût des meilleurs candidats, les recruteurs cherchent les petits plus qui feraient la différence. Et une bonne conscience de soi pourrait bien être un véritable atout pour un profil. C’est l’ancienne vice-présidente de Google, Claire Hughes Johnson, qui a mis le sujet sur le tapis dans une interview datée de mars 2023. Les nombreux recrutements qu’elle a conduit durant sa carrière lui ont fait réaliser à quel point cette qualité qui pouvait être un réel facteur de succès dans un poste, était rare. En effet, les candidats montrant une bonne conscience d’eux-mêmes étaient bien souvent plus motivés à apprendre et progresser, car ils étaient plus clairvoyants et apaisés avec leurs axes d’amélioration.

Une réflexion qui va tout à fait dans le sens de ce sur quoi investissent les entreprises aujourd’hui. Face à l’obsolescence permanente des compétences techniques, on mise davantage sur le profil des candidats, leurs compétences comportementales et leur capacité d’adaptation. Logique, à une époque où, pour former de bons managers, les entreprises investissent autant dans le coaching que la formation. Mieux se connaître, tout autant qu’apprendre des techniques de management, semblerait ainsi être le secret pour des entreprises plus performantes et humaines.

Les atouts des profils “les plus conscients”

Dans ce contexte, bien se connaître et avoir du recul sur soi semble présenter de nombreux avantages pour faire face aux défis de la vie professionnelle et communiquer de manière plus efficace avec les autres :

Bien connaître ses atouts et ses faiblesses, la sagesse des conscients

Lorsque l’on a une bonne conscience de soi, on connaît davantage ses points forts, mais aussi les failles de son profil, ce qui nous rend plus à même de nous diriger vers des postes qui nous correspondent vraiment, sans présumer de nos forces ni minimiser nos zones d’amélioration. Plus facile alors de se faire confiance quand une mission relève de notre compétence. Et plus acceptable de se faire aider quand notre expertise est limitée, le tout sans se sentir en danger !

Savoir apprécier les feedbacks comme des outils utiles à la croissance

Avec une bonne conscience de soi, on est plus enclin à recevoir les feedbacks pour ce qu’ils sont : des informations sur soi reçues depuis l’extérieur qui peuvent nous donner des clés d’améliorations. Cela ouvre des opportunités d’apprentissage !

Se comprendre et mieux comprendre les autres, une qualité essentielle pour les relations

Avoir une bonne conscience de soi, c’est être vigilant à la manière dont nous sommes perçus par les autres… Ce qui au passage nous informe sur la manière dont ces derniers fonctionnent ! Un véritable coup de pouce pour la communication et la collaboration en milieu professionnel, notamment à des postes de management ou dans les métiers relationnels !

Prendre de meilleures décisions et actionner sa motivation

Lorsque l’on possède une bonne conscience de soi, on comprend mieux ses besoins, ses aspirations et ses valeurs. Plus facile alors de prendre des décisions et de trouver de l’énergie pour agir lorsqu’on est orienté vers ses objectifs personnels. Les choses trouvent un sens, ce qui peut conduire à une plus grande implication et une plus grande satisfaction au travail.

Bien sûr, ces avantages pour les recruteurs à embaucher des personnes conscientes d’elles-mêmes ne fonctionnent que si les personnes et les buts qu’elles poursuivent vont dans le même sens que ceux de l’entreprise. Car une personne consciente de ses besoins et de ses aspirations pourrait également choisir de prendre ses jambes à son cou si elle se retrouve parachutée dans un environnement de travail toxique ou mal aligné avec ses valeurs.

Comment mettre sa conscience de soi en avant en entretien d’embauche

Mettre en avant notre bon niveau de conscience de soi lors des processus de recrutement et notamment en entretien d’embauche sans en faire trop, est-ce possible ? Bien sûr ! C’est peut-être une question de posture et d’attitude ! Voici quelques pistes pour bien préparer un échange avec le recruteur :

  • Prenez le temps de présenter vos atouts et vos points forts avec humilité et sobriété,
  • Admettez avec simplicité vos zones de progression, ce avec quoi vous êtes moins familier, sans vous critiquer, ni sans vous justifier particulièrement,
  • Parlez de votre parcours et vos expériences avec recul, expliquez sobrement vos fiertés, mais montrez aussi que vous savez tirer des enseignements de vos erreurs avec sagesse et détachement - ou pourquoi pas, avec humour,
  • Montrez que vous savez assumer vos responsabilités tout en restant à une juste place par rapport au collectif : ne prenez pas toutes les victoires pour vous, ni n’attribuez toutes les défaites aux autres, et vice versa,
  • N’hésitez pas à évoquer vos envies de progression et de croissance, en partageant certains projets que vous auriez ou en vous intéressant aux formations et aux évolutions à long terme proposées par l’entreprise,
  • Donnez des clés de lecture sur votre fonctionnement : ce qui vous motive, ce qui est important pour vous, quelques valeurs qui vous conduisent. Cela permettra au recruteur de mieux comprendre votre profil et vos aspirations, afin de mieux savoir comment s’y prendre avec vous.

Rassurer le recruteur sur votre bon niveau de conscience de soi, c’est avant tout montrer que vous n’avez pas toujours toutes les réponses, que les choses ne sont pas figées et que plus que tout, vous êtes capable de vous remettre en question. Une manière de montrer, avec humilité, recul et prudence, que l’on s’est bien apprivoisé soi-même mais que l’on reste souple et à l’écoute, parce que la vie peut aussi nous amener à évoluer !

Vous sentez que vous avez besoin de progresser sur le sujet ? Bonne nouvelle, la conscience de soi peut grandir chez chacun d’entre nous, un peu comme la sagesse vient avec l’âge. Mais alors, comment l’alimenter ? C’est avant tout une attitude à cultiver, une certaine façon d’aborder les choses… Développer une vie intérieure, se connecter à ses émotions, s’interroger sur ses envies, ses goûts, ses valeurs, questionner l’impact de ses actions… Cela peut passer par le fait aussi de soigner tout particulièrement son estime de soi qui permet de mieux s’accepter tel que l’on est non pas tel que l’on aimerait être. Une vraie clé pour apprendre à se voir sans jugement ni poudre aux yeux, et accepter sereinement d’être imparfait !

Article édité par Aurélie Cerffond, photographie par Thomas Decamps

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