Quelles sont ces green skills de plus en plus recherchées par les entreprises ?

19 janv. 2023

5min

Quelles sont ces green skills de plus en plus recherchées par les entreprises ?
auteur.e
Laure Girardot

Rédactrice indépendante.

La prise en compte de la transition écologique n'est plus une option en entreprise. Pour répondre à l’urgence de la durabilité environnementale, les organisations misent sur les compétences vertes, les « green skills ». De quoi parle-t-on ?

Après les mad et les soft skills, ce sont les « green skills », « green comp » ou « compétences vertes » qui déferlent dans les offres d’emploi. Derrière ces dénominations, de quelles aptitudes est-il question ? Selon un rapport LinkedIn 2022, « les compétences vertes sont celles qui assurent la durabilité environnementale des activités économiques. » Selon Geoffroy Belhenniche, directeur du Campus UniLaSalle Rennes et du développement durable (à l’échelle du groupe), il en existe deux grandes typologies : « Les aptitudes opérationnelles ou techniques (savoir faire un bilan carbone, régler les aspects énergétiques…) qui sont indispensables à l’entreprise car elle doit aujourd’hui faire face à des obligations réglementaires et se mettre en conformité pour réduire sa consommation énergétique. L’autre catégorie répond davantage à une réflexion globale et transversale : elle doit aider à une prise de décision différente pour tendre vers un changement profond de modèle. Ces compétences s’adressent à l’ensemble des salariés. »

5 compétences green sur lesquelles parier

En janvier 2022, la Commission Européenne a présenté son nouveau cadre européen de compétences « vertes », « les green comp », où elle exhortait les enseignants et formateurs à placer la durabilité au cœur du système éducatif, et par extension, du monde professionnel. L’enjeu ? Proposer un « modèle général de référence qui s’appuie sur l’enseignement d’une pensée écologique et durable la plus complète possible. » Un panel de compétences très large allant de la valorisation du concept de durabilité, le soutien de l’équité et la justice climatique, à la promotion de l’écologie. Une dizaine de compétences sont mises en lumière afin de faciliter la gestion de la complexité d’un monde durable : l’esprit critique, l’inventivité, l’adaptabilité, la capacité à résoudre un problème et à penser son environnement de façon systémique ou encore à envisager des futurs possibles.

Geoffroy Belhenniche confirme ce socle et revient plus spécifiquement sur cinq compétences qui permettront, selon lui, « d’engranger une transformation profonde des modèles et de notre rapport à la nature pour tendre vers changement de paradigme. »

  1. Adopter une vision systémique : « L’idée est de réfléchir à la structure globale d’une entreprise et de comprendre les répercussions d’une décision sur l’ensemble des parties prenantes. »
  2. S’inscrire dans une approche prospective : « Il faut se placer dans une vision long terme en incitant les collaborateurs à réfléchir sur leurs prises de décision et impacts sur le futur de l’entreprise. »
  3. Travailler en mode collectif : « Il faut des personnes capables de collaborer à la fois en interne et en externe, grâce à une démarche collective et transversale. »
  4. Être éthique et responsable : « Systématiquement, dans toutes les actions et décisions, il faut prendre en compte les aspects sociaux et environnementaux. Il s’agit de développer cette nouvelle pensée économique en se référant à la théorie du Donut de l’économiste Kate Raworth, également autrice de “La Théorie du Donut, l’économie de demain en 7 principes”. » Sa vision ? Pour comprendre comment la conception économique peut parvenir à l’objectif d’une société plus juste et sûre, il faut d’abord comprendre comment l’économie actuelle fonctionne et quelles en sont ses limites. L’ouvrage est composé de sept chapitres, exposant chacun des principes à suivre pour concevoir l’économie de demain. Pour illustrer sa pensée et en faciliter l’appropriation, l’autrice a imaginé un donut qui constitue « l’espace juste et sûr » dans lequel nous pouvons prospérer. Il est délimité par « le fondement social et le plafond écologique », limites à ne pas dépasser et qui représentent les besoins essentiels à l’épanouissement de chaque personne ainsi que les contraintes planétaires.
  5. Devenir un moteur du changement : « Insuffler des réflexes auprès des salariés afin qu’ils puissent agir en faveur de la transformation des organisations. » Il s’agit de leur donner les moyens d’être contributeur actif ainsi que moteur auprès des autres.

Green skills : « Leur développement n’est plus une option »

Au niveau macro, les impératifs environnementaux et sociétaux imposent un « changement radical dans l’économie mondiale », selon Ryan Roslansky, CEO de LinkedIn – changement qu’il nomme « Great reshuffle. » « Les professionnels développent de nouvelles compétences et s’investissent dans de nouveaux projets. (…) Nous sommes confrontés au besoin urgent de transformer notre société et de développer une économie verte pour répondre à la menace du changement climatique. » Infuser un nouveau logiciel de pensée, de travail et de management, à la fois plus vert et social, relève de la survie des entreprises et de leurs parties prenantes. Nous assistons déjà à une croissance des compétences et des emplois verts : sur LinkedIn (issu du même rapport), le nombre de profils verts dans la population active mondiale est croissant, avec une augmentation de 9,6 % en 2015 à 13,3 % en 2021 (soit une progression de 38,5 %). En 2021, 10 % des offres d’emploi incluaient au moins une compétence verte.

Cette tendance est portée politiquement par l’Union européenne qui a initié un pacte du climat impliquant le développement de ces compétences vertes : « La transition vers une économie neutre pour le climat entraînera une transformation radicale dans un large éventail de secteurs. De nouveaux emplois seront créés, tandis que d’autres seront remplacés et certains redéfinis. » Les politiques européennes s’engagent ainsi à promouvoir et à soutenir les emplois verts, à traiter la question de la qualification et de la reconversion des travailleurs et à anticiper les changements sur les lieux de travail de demain.

L’engouement pour les green skills est donc loin d’être un simple effet de mode. « Leur développement n’est plus une option », souligne Geoffroy Belhenniche. Pourquoi ? « Nos ressources sont limitées : tous les décideurs doivent en prendre conscience. Nous n’avons pas d’autres choix que de repenser l’intégralité de notre fonctionnement : marketing, production, service RH ou encore source d’approvisionnement. » De plus, « la conjonction des calendriers », avec un renchérissement du prix de l’énergie et une rareté de certains matériaux, priorise ces questionnements à des niveaux stratégiques.

Green skills de demain : comment les développer dès maintenant ?

1. S’appuyer sur les « transféreurs »

Une étude sociologique a mis en lumière le mécanisme social autour du transfert de pratiques environnementales du domicile au travail par certains salariés. Les sociologues les appellent les « transféreurs » : des passionnés qui convertissent leurs collègues afin de multiplier des pratiques plus vertueuses au bureau. Joko, start-up spécialisée dans le cashback, s’appuie sur cette dynamique : « Spontanément, de plus en plus de collaborateurs ont envie de s’impliquer sur les sujets RSE et à impact. Ils organisent, par exemple, des ateliers où ils transmettent leur passion sur un sujet environnemental ou sociétal. C’est une gestion décentralisée qui facilite l’appropriation des enjeux et les changements comportementaux », explique Valentine Mandon, DRH de l’entreprise.

2. Lancer des projets RSE internes

« Récemment, les équipes RH, avec l’appui du board, ont proposé divers projets verts transversaux sur la base du volontariat. Cela permet aux équipes de développer l’esprit collectif et collaboratif autour de sujets qui ont du sens, tels que le calcul de notre empreinte carbone. D’ailleurs, toutes ces initiatives ont servi à obtenir la labellisation B-corp : un vrai moteur de reconnaissance et de cohésion », souligne Valentine Mandon.

3. Faire de la veille continue et sensibiliser à tous les niveaux de l’entreprise

Sowen, agence spécialisée dans les espaces de travail, est au cœur des enjeux environnementaux car tous les acteurs d’un projet – architecture, travaux et mobilier – doivent maîtriser les obligations et contraintes écologiques. « On a besoin de ces compétences pour être force de proposition : c’est au contact d’experts, grâce à une veille sur notre marché et un gros travail de sourcing que nous montons en compétences sur ces sujets », explique Muriel Houel, associée chez Sowen. « Nous voulons aussi impulser une prise de conscience auprès de l’ensemble de nos salariés. Tous les métiers et expertises doivent converger vers une vision globale de la transition écologique. Pour 2023, nous envisageons donc des ateliers de sensibilisation tels que la Fresque du Climat. »

4. Créer des synergies entre les mondes universitaire et professionnel

En mutualisant les compétences et en s’appuyant sur la recherche, les organisations peuvent accélérer leur transition, selon Geoffroy Belhenniche. Les moyens ? « Certains étudiants de nos campus forment les salariés de grands groupes. Ou encore, il peut être très pertinent de professionnaliser des experts internes en les formant sur des compétences vertes clés, telles que l’économie circulaire par exemple. Comme ils connaissent le terrain, ce sont eux qui sauront mener les changements pertinents et de manière pérenne. »

Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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