« Pour les hommes, se faire coacher peut être considéré comme une faiblesse »

23 avr. 2024

5min

« Pour les hommes, se faire coacher peut être considéré comme une faiblesse »
auteur.e
Nitzan Engelberg

Journaliste Modern Work

contributeur.e

Le coaching a-t-il un sexe ? En tout cas, il est genré ! Selon de nombreuses études, les femmes seraient plus nombreuses que les hommes à souhaiter en bénéficier et à voir ses avantages personnels comme collectifs pour elles et l’entreprise. Pourtant, elles sont également moins nombreuses à se voir proposer du coaching par leurs employeurs… Décryptage.


« Pendant longtemps, j’ai eu des préjugés à propos du coaching. Je pensais que j’étais au-dessus de ça. Je croyais qu’il fallait que je trouve toujours les solutions par moi-même. » Arnaud (1), 34 ans, qui a travaillé jusqu’à l’année dernière dans le marketing dans une grande entreprise de services en ligne à Paris, se souvient du jour où il a finalement eu un déclic. « La situation au travail était cauchemardesque, je n’avais aucun encadrement pour m’aider. Ma compagne me conseillait fortement d’aller voir un·e coach·e, alors j’ai fini par y aller… »

Les hommes sont-ils moins susceptibles que les femmes à faire appel à un·e coach·e dans leur vie professionnelle ? Certains le croient, comme la coache professionnelle Valérie Peltier, qui publiait en 2020 un poste sur le sujet sur LinkedIn. Les données de son cabinet étaient en tout cas sans appel : 80% de sa clientèle était des femmes, et elle interrogeait : où sont les hommes ?

Selon une étude de l’International Coaching Federation (l’ICF) de 2022, l’écart est moins grand que l’exemple de Valérie Peltier, mais la tendance semble confirmée : 58 % des clients du coaching sont des femmes, 42 % des hommes. Et selon une étude de la même fédération, datée de 2020, 70% des coachs dans le monde sont… des femmes ! Le coaching serait-il donc une technique plébiscitée par les femmes ? boudée par les hommes ? L’analyse semble plus complexe.

Les hommes se voient “naturellement” plus proposer du coaching

Dans son cabinet, Valérie Peltier commence par faire une distinction : le “coaching d’entreprise” versus le “coaching privé”. C’est dans ce dernier, où les clients viennent par eux-mêmes sans passer par leur employeur, que la coache voit une différence de taille : « Je dirais que j’ai quasiment 90 à 95 % de femmes qui viennent à moi dans une démarche solitaire, en dehors de leur entreprise. Il est très rare que les hommes viennent me voir en privé. » Selon elle, cette différence est culturelle : « Nous vivons encore dans une société très patriarcale, où le rôle de l’homme est souvent perçu comme fort. Accepter de se faire accompagner peut être considéré comme une faiblesse. »

Pour Noémie Le Menn, psychologue du travail et coache, la situation est similaire : en ce qui concerne le coaching à titre privé, elle a majoritairement des femmes. « Souvent, les motivations des femmes qui désirent se faire coacher sont directement liées à leur poste, aux conditions de travail, et donc finalement aux besoins mêmes de l’entreprise. Elles pourraient donc demander à l’entreprise de payer leurs séances de coaching, mais souvent elles n’osent pas ! » explique la coache, qui souligne le paradoxe de cette situation : « Les femmes demandent à être coachées afin de surmonter les difficultés qu’elles rencontrent en raison de la peur d’affronter la hiérarchie et les conflits. Mais comme elles ont peur d’affronter, elles n’osent pas demander à bénéficier d’un accompagnement. »

Dans le coaching proposé par les entreprises, la situation est inversée, et Noémie Le Menn a une majorité de clients hommes. Une situation qui ne la surprend pas. « Quand on regarde les organigrammes, on constate qu’il y a plus d’hommes cadres dirigeants et cadres supérieurs. Or, les entreprises investissent dans le coaching pour des postes stratégiques, des postes clés. Ce sont donc davantage les hommes qui se voient proposer un accompagnement », regrette-t-elle.

Pour Erin Eatough, psychologue du travail en santé et chercheuse, il se pourrait même qu’à poste égal, les hommes se voient “naturellement” plus proposer du coaching que leurs homologues féminines. « Inconsciemment, on continue à imaginer qu’un homme occupe ou occupera davantage un poste de direction, car cela a longtemps été le cas. Les entreprises leur proposent donc davantage de coaching, sans forcément en être conscientes ! » Selon une large étude - “Définir l’écart entre les sexes dans le coaching : qu’est-ce que c’est et comment y remédier” - menée par BetterUp aux États-Unis, 22% des salariés hommes interrogés s’étaient vu offrir une opportunité de coaching, contre seulement 16% des femmes.

Un besoin motivé par le plafond de verre

Pourtant, toujours selon l’étude BetterUp, les femmes seraient davantage désireuses de bénéficier d’un coaching, et sont prêtes à y consacrer plus de temps que les hommes. Le large panel permet également d’affirmer qu’elles auraient une meilleure compréhension et vision que leurs collègues masculins sur « la manière dont elles pourraient bénéficier d’un coaching si elles y avaient accès ».

Pour Erin Eatough, si les femmes sont plus enthousiastes envers le coaching, c’est qu’elles savent qu’elles rencontreront davantage d’obstacles dans leurs carrières. Le fameux plafond de verre lié au genre est loin d’avoir été brisé ! « Les femmes ont tendance à devoir réfléchir beaucoup plus consciemment à la façon dont elles se présentent, quelles compétences elles possèdent, comment elles vont parler d’elles-mêmes et se promouvoir… », explique-t-elle.

L’intérêt des femmes pour le coaching se reflète également dans l’étude de l’ICF de 2020, où il est indiqué que 68 % des femmes managers ont recours aux pratiques de coaching dans leur management, contre seulement 32 % des hommes managers.

Vers un coaching plus inclusif ?

Selon une étude de l’ICF de 2009, 70 % des clients de coaching bénéficient d’une amélioration de leur performance au travail, de leurs relations et de leurs compétences en communication plus efficaces. Les avantages du coaching, selon Erin Eatough, sont clairs : « C’est un privilège d’avoir quelqu’un qui est totalement dévoué à votre intérêt et qui veille sur vous. » Arnaud, le marketeur initialement sceptique, témoigne désormais de ces bienfaits. A tel point qu’après les quelques séances offertes par son entreprise, il a même décidé de continuer de son côté, en prenant une coach privée. « Cela a été extrêmement bénéfique. Avoir quelqu’un de l’extérieur, totalement neutre, capable de fournir des conseils basés sur ce qu’il observe, c’était précieux. En fait, j’ai même recommandé à des collègues de se faire coacher ! », déclare-t-il. Un véritable cercle vertueux pour Erin Eatough, qui insiste : « L’impact que le coaching peut avoir est durable et influence également toutes les personnes autour de vous et l’équipe que vous dirigez. »

Eve Loyola Courgeon, coach et membre d’ICF France, confirme elle aussi l’importance du coaching pour l’équipe de travail : « Après 8 à 10 séances de coaching, on apprend à communiquer avec les autres, à adapter sa communication en fonction d’une équipe qui peut avoir une culture différente, par exemple, et à évoluer vers un management plus bienveillant et empathique. Cela permet aussi de savoir comment écouter et prendre soin de son équipe. »

Pour Eve Loyola Courgeon, il est temps d’aider les hommes à se tourner davantage spontanément vers le coaching. Selon elle, il suffirait de changer la manière dont on communique sur le coaching, et de mieux expliquer ce dont il s’agit réellement. Parmi les axes de communication, la coache insiste par exemple sur celui de la santé mentale. « Le burn-out concerne autant les hommes que les femmes. Or le coaching permet d’apprendre à prendre soin de soi et des autres. Si nous transmettons cette idée, cela encouragera les hommes à avoir davantage recours au coaching de leur propre initiative. »

La coache Valérie Peltier voit elle un autre argument pour convaincre les hommes : « Le rôle du coach est d’aider la personne à devenir autonome, à créer ses propres solutions. Si les hommes comprenaient que c’est à eux de trouver leurs propres solutions, et non pas de juste prendre les conseils d’un “supérieur”, cela toucherait moins à leur ego, leur redonnerait un sentiment de force », explique-t-elle.

Du côté des femmes, les attentes sont fortes et il est temps également de réduire le gender gap. Cela passera par leur proposer autant de coaching que les hommes, mais également à rendre les séances de coaching… moins sexistes ! Car selon Noémie Le Menn, qui a réalisé l’étude “Le coaching et sa supervision sont-ils sexistes ?”, 92 % des coach·e·s ont exprimé au moins une croyance sexiste lors des questionnaires (par exemple, qu’une femme a moins d’autorite et de leadership qu’un homme par « nature »). « Si l’on veut que les femmes soient aussi bien coachées que les hommes, il faut absolument que les coach·e·s travaillent sur les notions de stéréotypes de genre et de sexisme ! » insiste la psychologue.

(1) Le prénom a été modifié


Article écrit par Nitzan Engelberg et edité par Clémence Lesacq - Photo Thomas Decamps pour WTTJ

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