Comment mener des batailles dans son entreprise, sans nuire à sa carrière ?

10 févr. 2021

7min

Comment mener des batailles dans son entreprise, sans nuire à sa carrière ?
auteur.e
Aurélie Cerffond

Journaliste @Welcome to the jungle

« On doit bannir les gobelets en plastique au bureau, l’équipe n’a pas eu la prime de fin d’année qu’elle méritait, et je propose une pétition pour changer de fournisseur de café ! » En entreprise, il y a ceux qui se laissent glisser et ceux qui se lèvent pour défendre toutes les causes. Si mener des combats personnels ou collectifs auprès de la direction est tout à votre honneur, cette attitude contestataire est aussi utile au groupe qu’elle peut se révéler agaçante pour les autres et néfaste pour votre carrière. Porté par une âme de justicier, comment continuer à faire avancer les sujets qui vous tiennent à cœur tout en évoluant sereinement dans le monde du travail ? Il serait peut-être temps de choisir vos batailles… Éric P., coach spécialisé dans le développement de la carrière professionnelle, nous donne quelques pistes pour faire la part des choses.

L’open space, ce champ de bataille

Qualité de l’air, performance du matériel informatique ou encore transparence des salaires : au travail, le contestataire “en chef” de l’open space, porte souvent de nombreux combats. À ne pas confondre avec le “râleur de service”, il s’agit plutôt d’une personnalité engagée et combattante qui tient à faire progresser l’organisation de l’entreprise et améliorer le quotidien de chaque salarié. Et s’il peut monter au créneau pour obtenir une place de parking afin d’améliorer sa situation personnelle, il décuple la même énergie pour défendre l’intérêt collectif. Avec la pandémie, c’est lui qui a harcelé le boss pour dépêcher un ergonome spécialiste du télétravail, au domicile de tous les salariés et demander au référent Covid d’investir dans des masques FFP2. Parfois même, il s’empare de sujets plus grands que lui : par exemple, voulant faire de son entreprise un exemple de parité, il milite pour l’extension de la durée du congé paternité à l’égal du congé maternité. Les batailles qu’il mène sont un savoureux mélange de revendications personnelles (meilleur salaire, avancement de carrière) et de convictions (égal traitement des salariés) qui, dans tous les cas, sont censées améliorer les conditions de travail de tous.

Un côté chevalier, noblement motivé

En multipliant les combats au travail, ce collaborateur engagé attire voire monopolise l’attention. Un comportement qui peut agacer les autres membres de son équipe, tentés de penser que ses prises de position sont juste une stratégie pour se mettre en avant. Mais on aurait tort de sous-estimer son sens de la justice. Les motivations de ce genre de profil sont généralement plus profondes, estime le coach professionnel : « Souvent, c’est un collègue qui a cœur de perpétuer des valeurs de loyauté, d’engagement et de fidélité qui sont ancrées en lui. Avant de se plaindre de sa présence, reconnaissons le bien-fondé de sa démarche et la pureté de ses motivations. » D’ailleurs lorsqu’il se permet d’interrompre la présentation annuelle du boss qui se gargarise des bons résultats de la boîte, c’est toujours pour mieux souligner l’absence de reconnaissance du travail accompli par son équipe.

Au péril de sa carrière

Avec sa personnalité conquérante, parfois à la limite du politiquement correct, le contestataire ne rentre pas toujours dans le moule de l’entreprise. Une position qui, sur le long terme, n’est pas sans risques pour sa carrière.

Le manque d’alliés

  • Un discours agressif

Si les causes que ce salarié défend sont presque toujours louables, c’est souvent sa façon d’exprimer ses demandes ou ses besoins qui posent problème. Emporté par ses convictions, il peut se montrer un peu maladroit, tranchant voire trop ferme. En entreprise, même s’il faut éviter d’imprimer une présentation de 75 pages, il est tout de même malvenu d’hurler sur le directeur commercial de l’entreprise en l’accusant de décimer la forêt amazonienne ! « *En adoptant une posture “moralisatrice” le “contestataire de service” infantilise ses interlocuteurs, ce qui n’est ni agréable ni responsabilisant pour la personne qui est visée* », explique l’expert. Une attitude exigeante qui met une certaine pression sur ses collègues, et qui peut même attiser des réactions négatives auprès de ceux qui aspirent à des rapports plus détendus au travail.

  • Une réputation de “rabat-joie” en chef

Pour obtenir gain de cause, tout est bon à prendre. Contrairement aux autres, le frondeur ne va pas hésiter à venir “déranger” ses collègues pour remettre en question leur façon de travailler. Un jour, il reproche au technicien IT les défaillances du système informatique, le lendemain il explique au DRH que les salaires sont trop bas et le jour suivant, c’est le manager qui est incapable de régler un problème de communication… « Même s’il agit dans son bon droit, il passe pour “l’empêcheur de tourner en rond”, qui critique tout et tout le monde », précise l’expert.

  • … qui ne font pas l’unanimité

Dans tous les cas, sa personnalité clivante ne fait pas toujours l’unanimité au sein du groupe, et cela peut être un frein dans sa progression professionnelle, les postes de managers étant plus facilement confiés à des profils qualifiés de “politiques”. Concrètement des personnes plus nuancées, comme l’explique Eric P. : « Des diplomates qui ménagent leurs interlocuteurs, mettent les formes et enclines à abandonner certains combats ». Avec sa personnalité entière, parfois trop directe, le chevalier de la machine à café aura donc plus de difficulté à composer avec les contraintes qu’impose un poste d’encadrement : comment soutenir la décision de la direction de couper certains postes de dépenses quand on milite soi-même à offrir plus de confort à son équipe ? Si sa promotion professionnelle peut être retardée ou empêchée par son attitude combattante, il s’expose à un risque beaucoup plus important à court terme…

Duel avec son manager

Selon l’entreprise dans laquelle le salarié revendicatif évolue et la maturité managériale face à lui, il pourrait vite se retrouver sur la touche. Pourquoi ? Certains managers n’auront tout simplement pas envie de se confronter à cet élément perturbateur, surtout si ce dernier a tendance à les interpeller trop régulièrement. Un boss qui se sent acculé, pourrait même être tenté de le pousser vers la sortie.

Sur ce point, la culture d’entreprise est déterminante, l’esprit critique est par exemple mieux valorisé au sein des petites structures et des start-up. Avec une hiérarchie plus horizontale et dans une perspective d’innovation, on encourage les équipes à remettre en question les façons classiques de travailler. Un esprit entrepreneurial, plus adapté au collaborateur “revendicatif”, qui pourra plus facilement exprimer ses opinions et entretenir une bonne relation avec son manager. « La formidable énergie de ce type de collaborateur sera alors mise au profit de l’entreprise, explique le coach professionnel. On utilisera ses sources de convictions et sa capacité à mobiliser pour faire progresser la boîte. »

Quelques conseils pour que votre âme de justicier ne nuise pas à votre carrière

Si vous vous reconnaissez dans ce profil du collaborateur contestataire, plutôt que de renoncer à combattre pour préserver votre carrière, voici quelques conseils pour adapter votre plan de bataille en douceur !

1. Arrêter de partir en croisade

Si vous êtes obsédé à l’idée d’obtenir gain de cause, attention à ne pas perdre vos capacités d’écoute. « Parfois, pour mieux porter une idée ou un projet, on agit sans se rendre compte qu’on s’est coupé du groupe, précise le coach. Cette attitude est négative car les autres n’auront plus envie de vous écouter, ils pourraient même vouloir vous mettre des bâtons dans les roues. » Si pour réaliser des économies d’énergie, vous souhaitez baisser le chauffage de deux degrés au sein des bureaux, demandez plutôt à vos collègues s’ils sont partants pour s’habiller plus chaudement, quitte à baisser d’un seul degré si l’initiative ne fait pas l’unanimité. En entreprise, faire preuve de souplesse et d’agilité vous aidera davantage à atteindre vos objectifs confirme notre expert.

2. Choisir ses batailles

Au travail, à force de prendre position sur tout, on finit par être inaudible. Lassés de devoir écouter nos revendications, nos interlocuteurs ne prêtent souvent plus attention aux positions que l’on défend. Résultat ? On s’épuise en éparpillant notre énergie sur tous les fronts pour obtenir que peu de résultats Pour éviter d’en arriver là, la meilleure solution vise à hiérarchiser ses batailles et de se consacrer uniquement aux sujets que l’on estime les plus importants, mais aussi ceux qui seraient les plus compatibles avec notre job et notre entreprise.

Pour y arriver, il suffit d’établir votre liste de priorités en fonction de vos valeurs, de vos priorités professionnelles et personnelles, de vos projets et vos rêves. Puis, il faut objectiver cette liste à votre environnement professionnel afin de choisir quelles idées on veut défendre et les dossiers sur lesquels on pourra avoir un vrai impact. Avec la généralisation du télétravail et la détresse psychologique qu’elle génère chez certains collègues, vous pourrez par exemple choisir de vous concentrer sur des mesures favorisant le soutien et les échanges au sein des équipes et veiller à ce que chacun puisse exercer son droit à la déconnexion, et ainsi remettre le projet de cantine végétarienne à plus tard.

3. Apprécier les petites victoires

Une bataille est un processus sur lequel on peut progresser à petits pas : « Une grande bataille est toujours une suite de petites victoires, d’avancées, de reculs, de pauses… », constate le coach professionnel. Le changement, surtout au travail, peut prendre du temps, c’est pour cette raison qu’il est important de se satisfaire de chaque petite avancée obtenue. Cette attitude vous donnera de l’énergie et vous permettra d’atteindre vos objectifs sur le long terme. Alors plutôt que de foncer bille en tête, on peut aussi choisir de mener une action plus lente : expliquez vos intentions plusieurs fois, trouvez des appuis, ralliez d’autres collègues à votre cause… Si vous rêvez que votre entreprise prenne le tournant du “zéro déchet”, vous pouvez déjà vous réjouir de la mise en place des poubelles de tri sélectif, de l’abandon des gobelets jetables et saluer vos compagnons de lutte qui ont adopté l’usage d’une gourde réutilisable. Acceptez qu’il y ait une multitude de façons d’atteindre vos objectifs peut être libérateur et générer plus de cohésion de groupe.

Au travail, pour partager ses convictions sans risquer de heurter, braquer, ou d’être incompris, on aura donc tout intérêt à abandonner la manière forte, trop revendicative. Mais aussi, en conscientisant ce qui est important pour vous et en vous ouvrant à toutes les méthodes possibles pour faire avancer vos idées, vous arriverez davantage à faire évoluer positivement votre entreprise tout en évitant de finir sur la sellette.

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Photo by WTTJ