Parental Act : 105 entreprises s’engagent à allonger le congé paternité
12 févr. 2020
5min
Journaliste - Welcome to the Jungle
105 entreprises françaises viennent de signer le Parental Act, un dispositif proposant un mois de congé au second parent, rémunéré à 100% par l’employeur à la naissance d’un enfant. Alors que le congé paternité ne dépasse pas les onze jours en France, cette mesure doit favoriser l’égalité femme-homme.
À la naissance d’un enfant, seulement 11 jours de congés pour le père
Après un geste de recul, Julien s’apprête à couper le cordon ombilical de son fils Yuri. Le grincement des pinces résonne dans chaque cellule de son corps. « C’est un acte symboliquement fort, confie-il. À ce moment précis, j’étais moi aussi acteur de la naissance de mon fils. » Comme chaque nouveau parent, Julien a peur de mal faire et regarde avec admiration les gestes sûrs de la sage-femme qui lave puis emmaillote le nouveau-né. Avec Yuri dans ses bras, Julien se sent pour la première fois de son existence viscéralement attaché à quelqu’un. Le trentenaire promet de faire son possible pour faire « pousser droit » selon son expression, ce petit truc qui peine encore à crier et gesticuler.
Apprendre les gestes pour nourrir, coucher, laver son enfant mais aussi adapter sa vie de couple, gérer ses émotions, son sommeil et son emploi du temps… le couple devra s’y confronter dans les prochaines semaines. L’arrivée d’un enfant après un accouchement ou d’une adoption chamboule le quotidien et mérite un certain temps d’adaptation. Pourtant comme tous les pères et second parents en France, le jeune papa sait qu’après un congé bébé de trois jours au moment de l’accouchement ajouté à un congé paternité de onze jours consécutifs week-end inclus, il devra retourner au travail. Et laisser sa compagne gérer, seule.
Encourager les hommes à prendre leur congé paternité
Mais les lignes bougent. Pour 105 dirigeants d’entreprises qui emploient 19 000 personnes dans l’Hexagone, le délai légal prévu dans la loi n’est pas suffisant. Face à ce constat, ils ont décidé de s’engager à travers le “Parental Act”, une charte dans laquelle ils promettent de prendre en charge à 100% un “congé second parent” d’un mois minimum pour chaque salarié qui accueille un enfant. Une petite révolution pour les jeunes parents, dans un pays où le congé paternité, mis en place en 2002 et payé par la Sécurité Sociale n’excède pas onze jours (dix-huit jours pour une naissance multiple). Comme le congé paternité, le Parental Act sera accessible au second parent quel que soit son sexe et son statut conjugal, « car notre société évolue et que les modèles de famille sont aussi variés que riches et divers » notent les entreprises partenaires dans une tribune publiée le 5 février dans les Échos.
Les structures qui ont mis en place le dispositif devront aussi « encourager les collaborateurs à prendre ce temps en famille afin qu’il ne soit ni tabou ni discriminant de prendre un congé parental. Cela est, pour nous, un droit fondamental pour tout salarié, et un devoir pour l’entreprise, soulignent-elles. Ce dispositif sera rémunéré à 100%, car il est important que les moyens financiers ne soient pas un élément déterminant pour être un parent présent. » Dans les faits, 7 pères sur 10 ont pris le congé paternité en 2013 en France, détaille la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DRESS). Son recours est plus fréquent dans les familles qui partagent les tâches familiales. Et quand les deux parents sont salariés, les seconds parents ayant le plus recours au congé paternité sont ceux du secteur public (9 sur 10). À l’inverse, quand la mère n’a jamais exercé d’activité professionnelle, les pères ou seconds parents prennent moins souvent de congé à l’arrivée d’un enfant.
« Prendre ce temps en famille ne doit être ni tabou ni discriminant (…) Cela est, pour nous, un droit fondamental pour tout salarié, et un devoir pour l’entreprise » - les entreprises signataires du Parental Act
Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), publié en septembre 2018, préconisait de porter le congé paternité à deux ou trois semaines et de le rendre au moins en partie obligatoire, pour augmenter la proportion de pères qui demandent à en bénéficier. En réaction, Marlène Schiappa, la secrétaire d’Etat chargée de l’Égalité entre les hommes et les femmes annonçait sur BFMTV elle aussi être « favorable à l’allongement du congé paternité à titre personnel, ça fait des années que je milite pour cela » sans faire de proposition concrète. Sous la mandature de François Hollande, un allongement de onze à quatorze jours du congé second parent avait pourtant été voté en première lecture à l’Assemblée nationale en février 2017. Les élections présidentielles avaient interrompu le processus législatif.
Améliorer l’employabilité des femmes
Noélie Balez, maman d’une petite fille de neuf mois et co-fondatrice de Pampa Paris, une start-up qui propose depuis 2016 des fleurs fraîches et des bouquets originaux à la livraison, a signé le Parental Act. « Je pense qu’il devrait être illégal de ne pas prendre le congé paternité, mais surtout il devrait être plus long, explique-t-elle. Structurellement, en tant que chef d’entreprise je me rends compte que lorsque j’embauche une jeune femme, il a toujours une possibilité qu’elle disparaisse pendant trois mois si elle tombe enceinte. Dans certains secteurs, comme en restauration cela peut être un frein à l’embauche. Les recruteurs doivent réfléchir à potentiellement la remplacer à un moment et donc s’orienter vers des profils masculins. Si le père avait un mois de congé paternité obligatoire, cela équilibrerait un peu plus le rapport de force. »
Dans une interview au journal Le Monde, Hélène Périvier, économiste à l’Office français des conjonctures économiques (OFCE), estimait en juin 2017 que « réformer l’architecture des congés parentaux permettrait d’agir sur cette discrimination indirecte qui pèse sur les femmes qui travaillent. » En admettant que le temps consacré aux enfants soit réparti plus équitablement, « les inégalités entre parents et non-parents qui travaillent se substitueraient aux inégalités de sexe » estimait la spécialiste.
« Réformer l’architecture des congés parentaux permettrait d’agir sur cette discrimination indirecte qui pèse sur les femmes qui travaillent » - Hélène Périvier, économiste à l’Office français des conjonctures économiques (OFCE)
Les jeunes souhaitent un allongement du congé paternité
Si l’allongement du congé paternité peut réduire les inégalités femmes-hommes au travail, il répond aussi à une injonction exprimée par les jeunes générations à davantage s’investir dans leur paternité. Selon le baromètre de la Drees, le service statistique des ministères sociaux publié le 17 janvier, plus de six Français sur dix de 18 à 24 ans souhaitent l’allongement du congé de paternité. « Il y a une nouvelle génération de père qui souhaitent avoir plus de place à l’arrivée d’un enfant, dit Noélie Balez. Aujourd’hui, lorsqu’un jeune papa rentre de congé paternité, il est absorbé par son nouveau rôle même au travail et a envie d’être présent pour son enfant. On va dire que ce n’est pas l’employé le plus productif de l’année. » L’étude de l’IGAS souligne également que le congé paternité favorisait l’engagement paternel et la construction durable du lien père-enfant permettant ainsi un rééquilibrage dans le couple de la charge mentale.
En Europe, les jeunes font évoluer les schémas du couple et la tendance est à l’allongement du congé paternité. Les gouvernements s’engagent : l’Espagne a adopté une loi portant le congé paternité de cinq à huit semaines en avril 2019, l’Autriche accorde un congé d’un mois indemnisé à hauteur de 700 euros par la sécurité sociale depuis septembre 2019 et en 2021 la Finlande prévoit d’offrir aux seconds parents la même durée de congé parental indemnisé qu’aux nouvelles mères, soit six mois et demi. La France, elle, demeure à peine au-dessus des dix jours minimum sur lequel se sont accordés la présidence du Conseil et le Parlement européen en janvier 2019.
Pour les entreprises signataires du Parental Act, « la France est en retard sur la question du congé parental parce qu’elle reste attachée dans sa législation sociale à une division sexuée » Dans leur tribune, les 105 entreprises signataires rappellent « que les entreprises ont souvent été pionnières en matière d’avancées sociales : nous voulons assumer ce devoir d’exemplarité dans le combat pour l’égalité femme-homme. » Et d’ajouter : « Aucun changement dans les habitudes et dans les mentalités ne sera durable ni profond s’il n’advient pas d’abord par l’action de la société elle-même. Néanmoins, sans attendre la loi, sans espérer l’Etat, nous entendons assumer nos responsabilités. »
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Photo d’illustration by WTTJ
Quelques entreprises signataires : Doctrine, Luko, Mapstr, Cleany, Aircall, Too Good To Go, Yuka, Pampa, Qonto, Brigad, Jolimoi, Dataiku, Cheerz,.
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