Sous haute tension : le burn out autistique, décrypté

18 mars 2021

6min

Sous haute tension : le burn out autistique, décrypté
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« Sans rien comprendre, je me suis refermée sur moi-même, c’était le noir total. Ça a duré six jours. J’étais sur les rotules, angoissée, incapable de travailler, en état de saturation générale. » Katie Durden est développeuse informatique. Elle a 35 ans, est aveugle depuis l’âge de quatre ans mais n’a appris que récemment qu’elle était autiste. Depuis deux ans et demi, elle subit des phases de burn out autistique, qui l’empêchent de se concentrer et de mener à bien ses activités quotidiennes, avec une apparition soudaine de tics nerveux : pieds qui tapent le sol, tête qui se balance… Mais qu’appelle-t-on le « burn out autistique » ? En quoi se distingue-t-il du syndrome d’épuisement classique ?

Des crises violentes

Le burn out autistique est un phénomène bien connu des adultes autistes. Il se traduit par un état d’épuisement mental et physique, accompagné d’une incapacité à travailler, d’un effondrement émotionnel (le terme anglais de meltdown est généralement employé, plus familièrement, on pourrait parler d’un gros craquage nerveux) et d’une grande difficulté à gérer les stimuli sensoriels. La durée et la sévérité des épisodes de burn out varient d’une personne à l’autre – il faut à certains des mois pour s’en remettre, quand d’autres souffrent de crises plus courtes mais plus fréquentes.

« Quand ça t’arrive, tu ne peux plus rien faire, tu perds toutes tes capacités », témoigne Rebecca Jackson, 37 ans, ingénieure pédagogique dans le Yorkshire, en Angleterre. Elle a été diagnostiquée autiste en septembre 2020, après une série de burn out particulièrement violents. « Ça m’est tombé dessus pour la première fois il y a deux ans. J’étais tellement mal sur le plan physique et émotionnel que j’ai été arrêtée pendant plusieurs mois. Il n’y a pas longtemps, j’ai essayé de reprendre à temps complet et j’ai refait un burn out. »

Les déclencheurs

La France compte environ 700 000 adultes atteints d’un trouble du spectre autistique (TSA), dont un tiers au moins rencontrent des problèmes d’ordre psychique. Une certaine difficulté à interagir avec les autres, à gérer les changements de programme soudains ou l’hypersensibilité au bruit et à la lumière. Or ces symptômes du TSA provoquent une forte anxiété pouvant mener au burn out.

Dora Raymaker est professeure chargée de recherche au Regional Research Institute for Human Services à l’université d’État de Portland et rédactrice en chef adjointe de la revue Autism in Adulthood (« Autisme à l’âge adulte »). L’une de ses études montre que les épisodes répétés d’angoisse et de dépression peuvent être des déclencheurs, mais que l’une des principales causes de burn out est aussi la répression des comportements autistiques spontanés. On appelle cela le « camouflage social ».

Les adultes autistes passent en effet une grande partie de leur temps à essayer de dissimuler leur TSA pour s’intégrer au monde neurotypique qui les entoure : un effort mental particulièrement intense qui pèse parfois trop lourd sur leur vie. C’est ce qu’explique Alan Robinson, ingénieur à Portsmouth, en Grande-Bretagne : « Nous avons tendance à masquer notre autisme pour nous faire une place au travail et dans la société. Cela veut par exemple dire éviter les contacts visuels directs ou mener des conversations hyper balisées, préparées d’avance. Cela représente une vraie surcharge pour le cerveau et au bout d’un moment, on craque. »

Alan n’a découvert son autisme qu’à 53 ans. Des mois durant, il a eu les plus grandes peines du monde à travailler car il souffrait d’un burn out autistique. « J’ai été arrêté pendant six mois, je dirais. J’étais hyper anxieux, je ne parvenais même plus à faire des phrases complètes. J’ai mis un an à retrouver mes pleines capacités professionnelles. »

Quelles différences avec le burnout “classique” ?

Les symptômes du burn out autistique peuvent ressembler à ceux du burn out professionnel, explique Amanda Dunagan, orthophoniste au Saint Mary Medical Center, en Californie. La principale différence se situe dans la manière dont on les traite. « Dans le cas d’un épuisement professionnel, se couper du travail quelques temps peut suffire, alors qu’un burn out autistique se situe presque au niveau vital. S’en sortir est d’autant plus difficile. »

Les symptômes habituels du TSA – une tolérance réduite aux stimuli sensoriels, par exemple – peuvent s’accentuer au cours d’un épisode de burn out autistique, précise Amanda Dunagan. Chez les personnes souffrant d’un burn out professionnel, on constate surtout un manque d’efficacité et d’enthousiasme dans le travail.

Les burn out sévères peuvent, chez l’adulte, être le signe d’un TSA, comme cela a été le cas pour Rebecca Jackson : « J’ai vécu avec l’autisme toute ma vie, mais je ne l’ai découvert qu’après des épisodes de burn out répétés. C’est un peu comme si je venais de recevoir le mode d’emploi de mon cerveau. D’un côté, cela a été un vrai soulagement de pouvoir enfin poser une étiquette sur ce que j’avais, d’avoir les mots pour en parler à mes amis, à mes collègues. De l’autre, j’étais en colère de ne pas l’avoir su plus tôt. »

Gérer un burnout autistique

Les adultes autistes passent leur vie à louvoyer dans un monde pensé par et pour les neurotypiques. La frustration et les tensions s’accumulent, d’où un besoin de passer du temps seul. Bethany Black, 42 ans, humoriste, actrice et écrivaine, connaît bien ce sentiment : « Je ne suis pas du tout câblée pour des journées de boulot classiques. Je me suis fait virer treize fois en un an parce que je n’y arrivais pas. »

Bethany a été diagnostiquée autiste à 38 ans. Les crises de burn out, elle connaît bien : « Quand je fais du stand-up, si je dois aller sur scène six soirs de suite, que je dois faire plus de deux choses par jour, tu peux être sûr que je vais m’enfermer dans ma voiture avant et après, et y rester toute seule un bon bout de temps. J’en ai besoin pour récupérer quand je me retrouve en situation d’interactions sociales répétées. »

Lorsque les premiers signes du burn out se manifestent, ils sont nombreux à recourir, comme Alan Robinson, à des techniques de relaxation. « En général, quand l’anxiété monte, je sens d’abord une agitation incontrôlable dans les cuisses. J’appuie fort dessus, ça me calme un peu. » Aller marcher une fois la nuit tombée ou exprimer ses pensées par écrit lui fait aussi du bien.

Le rôle des employeurs

Diverses solutions s’offrent aux entreprises souhaitant mieux accompagner leurs employés autistes et réduire les risques de burn out.

L’information, le nerf de la guerre

Si les mentalités évoluent doucement, 98 % des autistes en âge de travailler sont sans emploi. Les employeurs craignent souvent de ne pas savoir « s’y prendre » et l’image du personnage de Raymond dans Rain Man a la vie dure. Selon l’orthophoniste Amanda Dunagan, la première étape devrait être d’inciter les employeurs et les salariés à se renseigner davantage sur l’autisme. « En encourageant les équipes à mieux comprendre ce que sont les TSA, on évite que les salariés autistes se sentent contraints de dissimuler leurs symptômes – ce qui constitue l’un des premiers facteurs de burnout autistique. »

Les collègues de Rebecca Jackson ont par exemple bénéficié d’une formation sur la neurodiversité et la compréhension de l’autisme. « C’est important que mes collègues puissent repérer les signes avant-coureurs d’un burn out chez moi. Il arrive qu’ils m’échappent, ce n’est pas rare chez les personnes autistes. On peut passer à côté de nos sensations ou de nos émotions, donc ça m’aide vraiment que mes collègues captent des signaux, le rouge qui me monte aux joues par exemple, avant que le burn out ne me tombe dessus. »

Vers plus d’investissement dans le recrutement de profils autistes ?

Dans le plan autisme annoncé par le gouvernement en 2018, il est peu fait mention de l’accès à l’emploi des adultes autistes. Certaines initiatives individuelles et associatives prennent le relai : Autisme France a ainsi publié un guide pour réussir les entretiens d’embauche avec des candidats atteints d’un TSA.

Des environnements de travail inclusifs

Des mesures simples, comme le fait d’avoir des bureaux bien rangés et une pièce séparée, au calme, peuvent apporter un immense soutien aux employés autistes. Pour Katie Durden, mettre des bouchons d’oreille ou casques antibruit à leur disposition peut aussi beaucoup aider. « Je ressens vite un trop-plein quand il y a du bruit autour de moi. Si je devais passer mes journées dans un environnement bruyant, je ne tiendrais pas et ce serait le burn out. Ma boîte m’autorise à porter un casque quand je suis au bureau. »

Des contrats de travail adaptés

Alan Robinson se réjouit aussi de la généralisation actuelle du télétravail. « La crise sanitaire a eu cela de bon qu’elle a permis une prise de conscience : les entreprises ont compris que le télétravail est possible. Cela faisait des années que les adultes autistes le réclamaient. Je vais beaucoup mieux sur le plan psychique parce qu’on ne vient plus m’interrompre à mon bureau et que je n’ai plus à mener de conversations “scriptées”. C’est franchement génial. »

Après un burn out, il est très difficile de retravailler à temps complet. Il est temps que les entreprises remettent leurs pratiques en question et trouvent des solutions concrètes, estime Rebecca Jackson. « On peut traiter les burn out autistiques au travail. Mais avant de devoir en arriver là, comprendre et accepter que les personnes avec un TSA ne peuvent pas toujours assurer à temps complet serait déjà un grand pas en avant. La mise en place de la semaine de 4 jours pourrait tous nous aider. Aux entreprises de s’adapter à nos besoins ! »

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Photo d’illustration by WTTJ, traduit de l’anglais par Sophie Lecoq

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