Les Bureaux du cœur : permettez aux plus démunis de dormir dans vos locaux

13 juil. 2023

4min

Les Bureaux du cœur : permettez aux plus démunis de dormir dans vos locaux
auteur.e.s
Romane Ganneval

Journaliste - Welcome to the Jungle

Depuis 2020, Les Bureaux du cœur permettent à des personnes précaires de trouver un coin de réconfort dans des locaux encore trop souvent inoccupés la nuit. Reportage dans ce sas de stabilité pour « les invités ».

Au dernier étage d’un ancien bâtiment industriel qui accueille de jeunes entreprises et des start-up dans le XIXe arrondissement de Paris, les derniers employés de Yemanja – une entreprise qui conçoit et réalise des aménagements de bureaux sur-mesure – quittent tranquillement leurs postes de travail. Si ces locaux ressemblent à s’y méprendre à un loft new-yorkais avec une grande verrière, des fauteuils disséminés un peu partout dans l’open space, une cuisine ouverte équipée et des salles de réunions insonorisées, ils sont aussi depuis quelques semaines l’appartement temporaire de Youssef (1).

À son arrivée à partir de 18 h, il suffit de quelques minutes pour transformer le coin canapé en une coquette chambre à coucher. Dans cet espace optimisé et réfléchi pour un double usage bureau et couchage, « l’invité » – comme on appelle les personnes qui sont hébergées bénévolement par les entreprises partenaires de l’association des Bureaux du cœur –, n’a plus qu’à tendre la main pour récupérer ses affaires rangées dans de larges tiroirs fermés par cadenas la journée.

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« Ce n’est pas très contraignant »

« Un de nos collègues avait entendu parler de cette association qui mettait en lien des personnes vulnérables et des entreprises pour une aide temporaire au logement. Quand on a eu des locaux plus confortables fin 2022, je me suis dit que nous pouvions nous aussi soutenir cette initiative en rejoignant le réseau d’entreprises bénévoles, explique Marie Vaillant, associée et fondatrice de Yemanja. Ce n’est pas très contraignant parce que l’invité n’est pas présent dans les locaux pendant les heures ouvrées et je pense que si on s’y mettait tous, on pourrait aider un grand nombre de personnes qui n’arrivent plus à se loger dans les grandes villes. »

Donner la possibilité aux plus démunis de dormir dans leurs bureaux vides à la nuit tombée et le week-end a toujours fait sens pour les quatre-vingt-cinq dirigeants d’entreprises partenaires de l’association, mais l’explosion du nombre de mètres carrés de locaux professionnels vacants depuis le Covid semble avoir renforcé ce sentiment. Alors que les salariés des grandes villes ont de plus en plus de difficultés à se loger, 4,4 millions de mètres carrés de bureaux sont inoccupés rien qu’en Île-de-France, selon l’Institut Paris Région (IPR). « C’est assez ubuesque quand on y pense », s’indigne la cheffe d’entreprise.

Au petit matin, les personnes hébergées bénévolement par les entreprises rangent leurs affaires et quittent leur domicile de fortune pour vaquer à leurs occupations, comme la recherche d’emploi ou de logement. « Certaines travaillent avec des associations partenaires, d’autres comme Youssef (1) actuellement accueilli chez Yemanja, sont en période de recherche autonome d’emploi », explique Julian, bénévole aux Bureaux du cœur.

De temps en temps, il arrive que les salariés croisent l’invité et qu’au bout de quelques semaines des liens se tissent entre eux. Ce n’est pas le but premier de l’opération, mais quand ça arrive, cela permet de resocialiser la personne en situation de précarité, d’évoquer d’autres sujets comme le travail et de l’autre côté, de sensibiliser les salariés à la fragilité. Youssef est la deuxième personne que l’entreprise d’aménagement de bureau accueille et Marie Vaillant semble ravie de cette cohabitation qui va durer encore deux mois. « Quand ça se passe si bien, est-il possible de prolonger l’accueil ? », demande-t-elle au bénévole de l’association. Si au cas par cas, il est envisageable d’adapter les conditions d’hébergement, Julian rappelle qu’il est dans l’intérêt de tous que cette solution soit temporaire afin de rester dans un processus de réintégration.

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Les entreprises au service de la dignité

À l’origine de cette initiative d’entraide toute simple ? Un entrepreneur nantais, Pierre-Yves Loaëc, dirigeant de l’agence de communication Nobilito et président du Centre des jeunes dirigeants de Nantes, qui s’est lancé en 2018 après avoir vu une femme dormir dans un parking près de son bureau. Comme ses locaux étaient équipés d’une cuisine, d’une douche, de toilettes, il s’est dit qu’il ne manquait pas grand-chose pour proposer à cette femme d’être accueillie avec dignité. Quelques semaines plus tard, Les Bureaux du cœur étaient nés. Depuis, l’association s’est structurée autour des grandes agglomérations et compte près de 85 bénévoles pour mettre en lien les futurs invités et le réseau d’entreprises partenaires, pour des périodes d’accueil allant de trois à six mois.

L’organisme a tout de même érigé une liste de critères pour faciliter la cohabitation : l’invité doit être seul (sans animal ni famille), être majeur, ne pas avoir de problème d’addiction ni de suivi médical spécifique, et être accompagné par une association dans une démarche d’insertion professionnelle ou déjà en emploi. Malgré ces critères et la présence de l’association aux côtés de l’entreprise, Marie Vaillant estime qu’il est important de rassurer les employés et de discuter longuement avec eux pour évacuer les éventuelles réserves avant de se lancer. « Tout le monde n’est pas automatiquement à l’aise avec l’idée qu’un sans-abri cohabite avec eux. Il y a toujours des craintes sur ce qu’il peut se passer si la personne ne se comporte pas bien, s’il y a des vols, donc sur le choix de “l’invité”. Mais je pense qu’il faut passer au-dessus de ça et faire confiance à l’association qui sélectionne des profils qui correspondent à chaque entreprise. »

Depuis son lancement, la formule a fait des émules et plus de 150 précaires ont déjà été accueillis dans une vingtaine de villes du territoire métropolitain. À partir du moment où les règles sont claires entre l’invité et l’entreprise d’accueil, « tout se passe généralement bien », ajoute Julian. À l’hiver 2022, l’idée a même été reprise par le ministère du logement afin d’avoir plus d’hébergements d’urgence, et une page web pour que des entreprises candidates puissent se manifester a été créée.


(1) Le prénom a été modifié.
Article édité par Ariane Picoche, photos : Monsieur Roni

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